Entretien avec Alain Le Saux, correcteur multi-employeur

L’entretien a été réalisé début juin 2021. Alain Le Saux aura, bientôt, 62 ans.  Il est correcteur depuis une trentaine d’années. Il travaille à Médiapart, aux éditions Gallimard et Rivages.

LE PARCOURS PROFESSIONNEL

Après une maitrise de lettres modernes et classiques, il enseigne en collège le français et le latin, pendant trois ans. Il s’y ennuie beaucoup. Au retour du service militaire, il suit une formation de six mois, au Centre de formation pour la presse et les arts graphiques. Il a pour professeurs Jean-Pierre Colignon et Jacques Decourt.

Il est employé aux Éditions technique pour corriger des ouvrages médicaux et chirurgicaux. Puis il fait un remplacement aux éditions Bordas et y reste six ans pour vérifier et réviser une encyclopédie. Il travaille ensuite pour Larousse, puis Hachette où il intervient sur des manuels scolaires et sur un dictionnaire économique. A partir de 1992, il corrige des ouvrages de fictions aux éditions  Payot et Rivages. Il aime allier la correction technique et la « correction plaisir » en lisant des textes littéraires. Il travaille au CNRS entre 2003 et 2006, sur de la préparation de copie et de la lecture d’épreuves. Il a corrigé longtemps des ouvrages pratiques chez Reader’s Digest.

La solitude du correcteur, en tant que travailleur à domicile (TAD), est réelle. C’est pourquoi, lorsqu’on lui propose un poste d’enseignant à l’UBO (université de Bretagne occidentale), il accepte volontiers. Cette expérience a été enrichissante, car elle lui a permis de développer un « regard complémentaire » sur le texte.

Installé en Bretagne, il conserve cependant son emploi aux éditions Rivages. Cet éditeur lui permet de bien s’organiser, il lui envoie un planning des publications et les textes à corriger sont déjà nettoyés par Prolexis. Depuis 2005, il corrige pour Gallimard. Depuis 2016, il est correcteur pour Médiapart. Il est salarié à 75 % sous le statut de TAD, et travaille parfois pour trois ou quatre éditeurs en même temps.

Parti en résidence d’écriture en Argentine, il y a écrit des poèmes qu’il a publiés. Il a souhaité poursuivre l’expérience éditoriale en créant une maison d’édition Les Hauts-Fonds, à Brest.

ÉVOLUTION DU STATUT

Le métier de correcteur a considérablement évolué depuis le début de sa carrière. Les conditions de travail se dégradent. Initialement salariés, les correcteurs sont de plus en plus poussés à sortir du salariat. D’abord, les éditeurs leur ont proposé une rémunération en droits d’auteur [pratique devenue illégale, NDLR], aujourd’hui ils les incitent à s’inscrire comme autoentrepreneur. Un jour, la DRH de Hachette le menace : « Si vous voulez continuer à travailler avec nous, il faut passer au statut d’autoentrepreneur. » Son ancienneté dans l’entreprise et la reconnaissance de son travail lui ont permis de conserver le statut de salarié. Il regrette que les éditeurs, comme Larousse, soient de plus en plus nombreux à ne plus proposer le choix à leurs correcteurs : autoentrepreneuriat ou salariat. Dorénavant, 90 % des correcteurs sont des autoentrepreneurs. Même salarié, il est nécessaire de pouvoir revendiquer ses droits.

Se syndiquer pour équilibrer le rapport de forces

Alain Le Saux se syndique plus tard, par principe. Face à un groupe [Gallimard fait partie du groupe Madrigall[1], NDLR] « on ne pèse pas lourd ». Il a été huit ans, délégué du personnel chez Gallimard. « Chantage, vexation, le monde du travail s’est durci. Il est de plus en plus difficile de se faire reconnaître. Les charges de travail fluctuent. Les places sont chères. Les durées de corrections par texte diminuent, les budgets sont en baisse. Le métier se complexifie et les opérations sont multiples. La préparation de copie est théoriquement mieux payée que la lecture d’épreuves, mais l’éditeur demande de tout faire, sans être forcément mieux payé. »

« On est plus fort lorsque la revendication est soutenue par un syndicat. » Il cite l’exemple d’un procès gagné en cassation contre Bordas, concernant le paiement des indemnités de licenciement. La procédure judiciaire a duré cinq ans. Ils étaient deux correcteurs à se battre. Ils ont gagné mais au prix d’un burn-out pour sa part. Autre exemple, une procédure judiciaire contre Gallimard a duré huit ans. Le procès fut gagné, grâce au soutien du syndicat. Lors de la réunion annuelle des préparateurs de copie, chez Gallimard, seuls les délégués CGT émettent des critiques, les autres n’osent pas. « Le syndicat des correcteurs, affilié à la CGT, fait peur. » Ce glissement de la profession hors d’un cadre salarial remet en question le rôle du syndicat. L’organisation a pris la décision d’intervenir pour les autoentrepreneurs. Mais ces derniers le sollicitent peu.

CORRECTEUR CHEZ GALLIMARD

Gallimard a deux services de correcteurs : l’un pour la préparation de copie, l’autre pour la correction, soit quarante à quarante-cinq correcteurs, tous salariés. [plus de quatre-vingts correcteurs en tout d’après Guillaume Goutte, délégué CGT, NDLR]. Le préparateur de copie travaille avec l’auteur, du texte qu’il s’agisse d’œuvres de fiction, d’essais, ou d’ouvrages pratiques. Cette étape implique des rendez-vous avec l’auteur. Le préparateur vérifie les informations, les références, le style, la syntaxe. Il pose à l’auteur les questions nécessaires à la compréhension du texte . Toute la procédure de discussion est conservée. Si une incertitude subsiste à la fin de cette étape, l’auteur sera, à nouveau, interrogé au moment de la lecture sur épreuves.

Gérer sa concentration

Il n’existe pas de planning pour gérer les éditions. Cette absence de visibilité rend difficile l’organisation du travail, surtout quand on est multi-employeur, comme lui. Il peut avoir à corriger, en même temps, trois manuscrits. La charge de travail est comptée ainsi : 12 800 signes à l’heure pour la correction et 6 000 signes à l’heure pour la préparation de copie ; huit heures de travail par jour, à répartir entre le matin et l’après-midi, avec des temps de pause. Il ne faut pas travailler plus de cinq heures d’affilée, et ne pas oublier que la concentration maximum ne dépasse pas trois heures.

L’intérêt de corriger pour Gallimard est la diversité des textes lus, les collections étant nombreuses et variées.

LA CORRECTION À MEDIAPART

En 2008 à sa création, le site d’actualité n’avait pas de correcteurs. Le responsable, parti récemment à la retraite, a créé le service, à la demande d’Edwy Plenel, journaliste et l’un des créateurs du site d’actualités. L’équipe est maintenant composée de cinq correcteurs avec des contrats de travail à temps plein ou temps partiel. Le journal a trois éditions : le matin, le midi, le soir. Deux correcteurs travaillent de 16 heures à 20 heures, un renfort arrive entre 15 heures et 22 heures. Ils n’interviennent pas sur la titraille. Alain Le Saux y entre comme remplaçant, puis est engagé en CDI, à temps partiel. Il découvre de nouvelles expériences éditoriales. Les codes de la presse sont différents de ceux de l’édition, l’équipe rédactionnelle est jeune, ce qui donne un autre esprit. Il corrige uniquement sur écran. Le travail dans un quotidien en ligne est très « dense nerveusement ». « On n’a jamais le temps de peaufiner. » Aucun correcteur n’a souhaité remplacé le responsable, c’est un « apostolat », dit-il.

Actualités chaudes et corrections dans l’urgence

La veille de la mise en ligne, ils se concentrent sur la vérification d’informations en utilisant les moteurs de recherche. Chaque article est relu deux fois. Sauf en cas d’actualité brûlante. Ainsi, lors de l’assassinat de Samuel Paty, les journalistes ont connu les différentes identités de l’assassin, avant la police. Ils ont vite publié l’article sans corrections. Le texte comportait pourtant des erreurs entre autres sur le nom de la ville et du département où habitait l’assassin. La correction s’est faite après publication. Autre exemple, une urgence rédactionnelle a nécessité l’intervention du correcteur par-dessus l’épaule du journaliste pour aller plus vite. Une date erronée dans la légende de la photo, reprise dans le texte, est restée dix minutes en ligne, le temps qu’un lecteur la découvre, en fasse un commentaire et que le correcteur intervienne. Il n’assiste pas aux conférences de rédaction, il ne le souhaite pas.

Pas de correcteur informatique

Le correcteur a accès directement aux articles, sur la plateforme du site. Il voit les articles en attente, ceux à corriger. Médiapart n’utilise ni Prolexis ni Antidote, les textes ne sont donc pas nettoyés. Les espaces sont revues de manière artisanale. A propos de l’utilisation des logiciels orthographiques, il rapporte une anecdote que lui a raconté une correctrice de la Pléiade. Elle a demandé à l’éditeur le fichier Word d’un texte pour le nettoyer avec un correcteur informatique. Ce dernier a refusé, insinuant que si elle avait un tel besoin c’est qu’elle ne connaissait pas son métier.

Il a à cœur de rendre un texte le mieux corrigé, « je fais le maximum ». Car le responsable du texte c’est bien le journaliste.

LA RECHERCHE DE L’INFORMATION

Avant l’existence du Web, un éditeur lui avait envoyé le Vidal, la référence des noms de médicaments et un dictionnaire de médecine, pour corriger des ouvrages médicaux.

Internet a révolutionné le travail de recherche. Mais il est utile de savoir identifier l’information correcte. Il utilise pour les noms d’auteurs essentiellement deux sites : BNF-Gallica, et Amazon car les couvertures des ouvrages y sont numérisées. Il part du principe que l’information sur la page de titre est correcte, puisqu’elle a été validée par l’auteur. Il cite ensuite l’exemple d’un texte de Colette à réviser pour une réédition scolaire. Le texte comportait énormément de virgules inappropriées, en contradiction avec la qualité littéraire qu’il connaissait. Il trouve très vite sur Internet beaucoup de liens vers le texte identique à la version en sa possession. Sur BNF-Gallica, il lit l’édition originale avec les virgules correctement placées. Le professeur qui lui avait donné le texte s’était contenté des premiers résultats proposés par Google. Dernier exemple, pour corriger un ouvrage spécialisé sur Louis Pasteur, il a consulté la fiche Wikipédia, afin de vérifier les informations. L’auteur de la biographie lui a alors indiqué que la fiche est « truffée d’erreurs ».

DE LA MARCHE

Pour une révision d’ouvrages médicaux, une partie du travail portait sur la distinction claire entre le médicament et la molécule. Le parti a été pris de mettre une capitale initiale au médicament suivi du caractère de marque déposé.

Il n’y a pas de marche chez Gallimard, à proprement parler, mais des consignes annuelles, adaptables aux collections. L’outil de référence est le Petit Larousse récent (moins de trois ans), sauf si l’auteur en souhaite un autre. L’important est l’unification, d’où l’importance de se référer au service correction. Chez Mediapart, il existe un vadémécum de principes qui évolue rapidement. Alain Le Saux souhaiterait, cependant, une marche structurée sous la forme d’une base de données.

ÉVALUER SON TEMPS DE TRAVAIL

L’approche de la correction est complétement différente d’un ouvrage à l’autre. L’intervention sur des manuels scolaires est très compliquée, entre autres à cause du nombre important de renvois, et des codes couleurs. En cas de demande de devis, il est nécessaire de faire préciser sur quel type de document le correcteur interviendra : article de presse, roman, fascicule… Cela induit un type de correction spécifique, et donc un tarif différent.

L’EMBAUCHE DES CORRECTEURS

Le recrutement se fait essentiellement par le bouche-à-oreille. Mais si le correcteur, même recommandé, ne donne pas satisfaction, il n’est plus sollicité. Il peut aussi arriver que l’ambiance du service ne convienne pas au correcteur, c’est alors lui qui met fin au contrat. Il a vécu cette expérience.

De très rares maisons d’édition, dont Gallimard, recrute des correcteurs en CDI. Ces entreprises devront faire face, dans les prochaines années, au départ à la retraite de bon nombre de ces collaborateurs. C’est un gain de temps pour eux que de les fidéliser. Leur expérience, leur connaissance de la ligne éditoriale, leurs liens avec le directeur de collection et les auteurs facilitent le travail éditorial.

LA DISCRÉTION DES SOUTIERS

Les correcteurs sont les « soutiers de l’édition ». Ils exercent un métier discret. À sa connaissance, seul le Reader’s Digest mentionne le nom du correcteur et sa fonction.

LE TEXTE EN PRÊT

Il faut toujours garder à l’esprit que l’on est un maillon de la chaîne éditoriale. « Le texte n’est pas donné au correcteur, il lui est prêté. » L’intervention du correcteur est toujours dans le respect du style de l’auteur. « On ne réécrit pas une anacoluthe si elle fait partie du style. »

Il ajoute, « Un des grands principes de la correction est le doute. »

 

[1] Présentation du groupe Madrigall : dix-sept éditeurs dont Gallimard sont présentés dans la page recrutement https://madrigall.jobs.net/fr-FR/

Pour aller plus loin 

  • ACLF Association des correcteurs de langue française, « Les différents statuts du métier de correcteur » www.aclf.fr
  • CGT, « Les correcteurs à domicile et la révision de l’annexe IV de la CCN de l’édition : enquête », juin 2021 www.cgt-correcteurs.fr/.pdf
  • CAE (Coopératives d’activité et d’emploi) cooperer.coop/
  • Goutte, Guillaume, « Nouvelles formes de travail, quelles perspectives pour la CGT ? », Comité syndicaliste révolutionnaire, [s.d.] www.syndicaliste.com/auto-entrepreneurs
  • Mouton, Agnès, Coline Rouge, « Quel statut choisir en tant que correcteur.rice », juin 2021, medialibre.info
  • Vitse, Charles, [Stagiaire correcteur aux éditions Milan], Rapport de fin d’études, licence professionnelle édition, Université Jean-Jaurès, Toulouse, 2017, 58 p. dante.univ-tlse2.fr/pdf

C. Lebel, correcteur Nathalie Jérôme

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