Interview Hélène Lé – vendredi 28 mai 2021

Mon métier me plait toujours, on ne lit jamais la même chose.

Interview Hélène Lé – vendredi 28 mai 2021

Correctrice au Canard enchaîné depuis 16 ans

« J’ai soixante ans. Je me suis formée sur le tas, puis j’ai passé le Formacom comme mes collègues plus jeunes. Je suis au Canard depuis seize ans, avant j’étais correctrice au Journal des finances (devenu Investir), puis j’ai travaillé dans l’édition jeunesse. J’ai débuté au Canard comme pigiste. Quand le chef-correcteur est parti à la retraite, j’ai été embauchée. »

Hélène Lé, dynamique correctrice du Canard enchaîné, décrit avec enthousiasme son métier ce vendredi 28 mai.

Quelles sont les spécificités de la correction-relecture au Canard ?

Il y a quatre correcteurs pour huit pages. En fait, quatre correctrices.
Elles travaillent les lundis et mardis : le mardi, les fichiers partent à l’imprimeur à 15 h 15. « C’est une journée horrible ! » Le lundi, elles ne travaillent qu’une demi-journée, consacrée aux pages 6 et 7, les « pages froides » – cinéma, culture – et un peu la page 5. Tout le reste du journal arrive le mardi (la journée commence à 7 h 30). Avant la Covid, tout le travail se faisait sur papier (les ordinateurs servaient aux recherches). Les corrections étaient intégrées par l’imprimerie Publications Élysées, ancien photograveur du Canard. C’est toujours ce prestataire extérieur qui monte les pages.
Depuis la Covid, la rédaction est en télétravail.

Quel est le circuit de la copie ?

« Le journal envoie les fichiers sous Word. Une première lecture du fichier (L1) est faite par une des correctrices. On vérifie les noms, les fonctions, les dates et les chiffres, on corrige les fautes d’orthographe. Pour les corrections, on utilise le Larousse (Le Canard suit la marche Larousse) et le Robert pour le sens des mots. Pour vérifier les noms liés à l’actualité, on va sur le site du gouvernement, les sites des personnes elles-mêmes, on croise les données de différents sites ; si on n’arrive pas à vérifier les noms, on retourne vers l’auteur ou le rewriter… »

Les corrections apparaissent en suivi des modifications dans les docs Word.

« Le fichier L1 est relu par une deuxième correctrice qui ne s’occupe que des éventuelles coquilles (toujours sous Word). La correctrice 2 envoie le fichier L2 à l’atelier. Le fichier est récupéré par l’atelier et les SR (ils sont quatre). Une fois tous les fichiers livrés, la page est montée. La morasse (page montée) M1 est alors relue par un SR, les auteurs des articles, le rédacteur en chef, le rewriter et une troisième correctrice.
Un SR et une correctrice sont spécifiquement en charge d’une page donnée, ainsi qu’une personne de l’atelier. On reçoit alors un PDF qui est annoté via des bulles de parole, textes surlignés, textes en surbrillance. L’atelier intègre aussi certaines corrections demandées par les auteurs sur les pages. Ces corrections sont pointées à leur tour par les correcteurs. Il n’y a souvent pas le temps de tout relire le mardi.
Et il est très difficile de faire un bouclage en télétravail.
On vérifie une M1, une M2, etc., autant de fois que des corrections sont apportées, jusqu’au BAT (il y a parfois quatre ou cinq morasses). »

La réécriture et les relations avec les auteurs des textes.

« Il y a peu de réécriture, on fait des propositions qu’on n’applique qu’avec l’accord de l’auteur. On intervient beaucoup sur la ponctuation ! Les pages 3 et 4 sont gérées par un rewriter qui fait la jonction entre les journalistes et le rédac-chef de ces pages (Jean-François Julliard). Les correctrices sont en lien avec le rewriter.
Pour les autres pages, deux chefs sont en alternance chaque semaine.
Le chef appelle les journalistes s’il y a un problème. Les papiers relus sont envoyés le lundi à certains auteurs pour accord sur modifications. Mais le mardi on n’a plus le temps d’attendre un accord, on n’appelle que s’il y a de gros problèmes.
Il faut être très diplomate, et il faut aller vite pour répondre aux questions, résoudre les problèmes.
Avant la Covid, le mardi, toute la rédaction était réunie dans une seule grande pièce avec les SR et l’atelier.
Cabu était toujours présent. Il dessinait sur un coin de table. »

Les dessins de presse

« Les dessinateurs détestent qu’on touche à leurs œuvres. Le titre du dessin peut être changé par les SR pour des raisons de cohérence avec le reste des pages, mais dans les bulles, on n’intervient vraiment que si c’est fautif. Ainsi j’ai corrigé un « y’a que » dans une bulle en « « y a que », j’ai reçu un SMS de remerciement. Mais d’habitude ce sont plutôt les SR qui sont en relation avec les dessinateurs.

Tout se passe bien mais il y a énormément de tension au moment du bouclage.»

Pire anecdote ?

« Dans les mots croisés, il faut s’assurer que l’atelier a intégré la bonne grille. Une fois c’est passé à l’as, il manquait une case noire, le standard a été submergé d’appels. Ce qu’on redoute vraiment, c’est le gros titre, j’ai trop peur d’avoir laissé un truc énorme dans un titre. Notamment dans les « oreilles ». Pourtant maintes fois relues. Je n’écoute du coup jamais la radio le mercredi matin.

Les « Pan sur le bec » ? Ils concernent parfois les journalistes aussi (et il n’y a pas de tournée générale… mais une fête du Canard, trois fois par an) : certaines choses ne peuvent être revérifiées par les correctrices, comme les chiffres.»

Un très bon souvenir ?

« On trouve un truc énorme (erreur de nom) mais personne ne vous dit merci, c’est un plaisir personnel. Les correctrices se félicitent entre elles.
Les retours se font plutôt sur les erreurs…laissées.

Un très bon souvenir ? L’affaire Fillon, pour l’émulation qu’elle a suscitée au sein de la rédaction pendant des semaines. Tout le monde était suspendu à l’article suivant. »

Quelles recommandations pour un jeune correcteur ?

« Faire une formation de SR en même temps car on n’emploie quasiment plus de correcteur « pur », la correction sur papier n’est pas un métier d’avenir.

Mon métier me plait toujours, on ne lit jamais la même chose. »

 

Article du blog des correcteurs du Monde sur le Canard :

la morsure du Canard

Interview réalisée par Astrid L. et relue par Sophie L.

1 commentaire

  1. Merci et bravo Astrid pour cet entretien. Le premier d’une série (une vingtaine !), j’espère, qui nous donnera un panorama actualisé de la profession…

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