Rechercher
Fermer ce champ de recherche.

Un squat anarchiste, féministe et « transpédégouine »

À Montreuil, un squat anarchiste féministe transpédégouine s’organise en mixité choisie, sans homme hétérosexuel, pour lutter contre le patriarcat.

À Montreuil, un squat anarchiste féministe transpédégouine s’organise en mixité choisie, sans homme hétérosexuel, pour lutter contre le patriarcat.

Dans la cuisine du squat, cinq personnes s’affairent pour préparer le dîner. Parmi elles, Ange*, 20 ans, cheveux mi-longs ondulés et silhouette androgyne, réchauffe une énorme marmite de curry de lentilles. Il sera distribué à la centaine de participants du festival qu’organise, début mars, les occupants de cet espace, situé à Montreuil. D’une durée de trois jours, ce moment festif est un condensé de l’esprit du lieu : anarchiste, féministe et TPG, « transpédégouine » (voir encadré ci-dessous).

« Ici, tout le monde met la main à la pâte », commente Ange, le regard bleu acier. Le jeune homme fait partie des fondateurs de ce squat anarchiste féministe transpédégouine ouvert il y a près d’un an et demi « par et pour les personnes qui subissent le patriarcat d’une manière ou d’une autre », à la fois lieu d’organisation politique et lieu de vie.

Le saviez-vous ?

Transpédégouine est un néologisme issu d’une fusion des termes : « trans », « pédé » et « gouine ». En France, le terme est apparu au cours des années 2010, dans le milieu militant queer, qui regroupe des personnes dont l’orientation ou l’identité sexuelle ne correspond pas au modèle social hétéronormé.


À travers ce terme, elles se réapproprient les discours de haine en les détournant, et en mettant en avant leurs expériences communes. C’est ce qu’on appelle l’autodétermination. Il est également utilisé pour souligner l’importance de l’inclusion et de la visibilité des personnes queers dans les luttes contre le patriarcat et pour l’égalité des droits.


Aussi écrit « TPG », le terme a notamment été popularisé en France par des collectifs militants queers féministes telles les Panthères roses ou l’association « Les Dégommeuses ».

Un espace en non-mixité pour guérir et militer

Victime de harcèlement à l’école et au sein de sa famille à cause de son homosexualité, Ange a fui le domicile parental il y a trois ans. Depuis, il vit en squat. C’est en 2021, à la suite d’une expérience émotionnellement difficile en squat mixte, qu’il s’organise, avec d’autres personnes en situation de rupture familiale ou victimes de discrimination en raison de leur orientation sexuelle, pour créer un espace autogéré en mixité choisie. C’est-à-dire ouvert uniquement aux personnes dont l’orientation ou l’identité sexuelle ne correspond pas aux modèles dominants et aux femmes cisgenres. Une personne cisgenre, ou « cis », est une personne qui se reconnaît dans le genre qui lui a été assigné à la naissance. « Dans les milieux cis-hétéros, seul l’aspect anarchiste militant compte. Nous, nous devons à la fois guérir et militer. C’est super difficile. C’est pour ça qu’on a ouvert ce squat anarchiste féministe transpédégouine. »

« J’ai réussi à m’en sortir. Ce squat m’a permis d’avoir un réseau de solidarité énorme », confie Ange. Aujourd’hui, dix-sept personnes occupent cet ancien dispensaire municipal fermé depuis 2009. Elles sont en majorité trans et gay. La plus jeune a 18 ans, la doyenne, 60 ans. Des cravates aux motifs bariolés décorent le plafond de ce refuge. On peut y trouver un espace d’accueil, d’organisation et de soutien pour les luttes, un centre d’archives et de ressources militantes, une salle de projection autogérée et des expos photos des luttes queers.

Les occupants du squat ont participé à la marche féministe du 6 mars 2023 en non-mixité choisie

Le squat organise des événements tous les week-ends. Certains sont parfois ouverts à tous, comme, par exemple, la soirée du 25 février donnée en faveur d’une association de cantine solidaire, qui affichait complet. Toutefois, à l’accueil, le ton était donné. On rappelait aux participants hommes hétérosexuels de se faire discrets, car ce squat n’est pas pour eux.

« Tout est plus fluide sans homme cis »

 Attablé ce soir-là un gobelet à la main, Dylan*, 27 ans, ne se sentait pourtant pas exclu. Cet homme hétéro-cisgenre comprend tout à fait que des personnes vivant des situations similaires veuillent rester entre elles.

« Parfois, c’est plus simple d’ouvrir un lieu différent plutôt que de batailler dans un endroit pour faire exister des questions auxquelles les autres ne sont pas réceptifs. »

Dylan

Au niveau de l’organisation collective, les occupants ont institué une assemblée générale hebdomadaire pour gérer le quotidien au sein de l’espace habitation. C’est le moment où les tâches peuvent être discutées et réparties. « Dans un squat sans mecs cis-hétéros, tout va plus vite et tout est plus fluide, notamment la gestion des conflits ou les tâches ménagères », reconnaît Ange. « Ce n’est pas possible de résoudre des clashs avec eux. Ils ont trop d’ego. C’est insupportable. Ou alors, c’est long. On doit faire des concessions pour qu’ils puissent entendre », poursuit-il, blasé.

Le patriarcat, un héritage négatif qui laisse des traces

Pourtant, même sans hommes cis-hétéros, difficile de garantir qu’il ne se joue pas de rapports de pouvoir et de domination. « On a forcément un héritage négatif issu de notre éducation, concède Ange, mais on travaille dessus. On se complète. Parfois, ça craque parce qu’il faut faire tourner les tâches, mais ça fonctionne. La voix de tout le monde compte. » Il admet avoir demandé, lors de la dernière assemblée générale, que cessent les couples au sein du squat . « Il n’y a aucune règle, mais dernièrement, il y avait trop de couples. Je trouvais ça chiant parce que moins de discussions et moments de convivialité en groupe. Tout ça car deux personnes restent en retrait et sont en train de se faire des bisous. C’est mort ! » Il finit cependant par dédramatiser : « Ce n’est pas un conflit, seulement un mini conflit qui se résout très vite. »

Chant du collectif anarcha-féministe Le Cri du Peuple lors de la marche du 8 mars 2021, Bordeaux

Ces frictions semblent inévitables. C’est l’occasion de comprendre pourquoi une personne acquiert, à un moment donné, plus de pouvoir au sein du groupe. « Le temps de vie d’un squat est très court, il faut le voir comme une expérimentation », conclut Ange, lucide. Le lieu est en effet expulsable à la fin de la trêve hivernale.

* : le prénom a été modifié

Texte : Pamela Eanga – Photos : Antoine Mermet