Que l’on opte pour l’inhumation ou la crémation, passer de vie à trépas pollue. Si en France des pratiques vertueuses se développent, elles sont encore peu répandues. Reportage au cimetière parisien d’Ivry-sur-Seine, où le carré « écologique » compte de nombreuses concessions encore disponibles.
Plutôt déroutant. Dans la 44e division du cimetière parisien d’Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne), les sépultures se limitent à des stèles et sont toutes recouvertes de végétation. Les tombes sont disposées en quatre rangées orientées selon des axes différents et chaque alignement est adossé à une haie. Le sol n’a pas l’aspect d’une pelouse régulière mais celui d’un tapis vert bosselé et luxuriant. Avec une nature plus présente et plus libre, la compréhension de cet espace, qui déjoue les repères habituels, n’est pas immédiate. D’ailleurs, pas moins de trois panneaux explicatifs accueillent les visiteurs.
Le cahier des charges de cette division « écologique » précise que le gazon laisse place ici à une « prairie comportant des espèces indigènes et naturalisées d’Île-de-France ». Tout est fait pour respecter « l’aspect naturel » et « les qualités paysagères et écologiques » du lieu. Au-delà, l’objectif est de réduire l’empreinte environnementale du processus des funérailles (voir encadré en pied de page).
Des conditions d’inhumation spécifiques
Choisir un cimetière écologique implique le respect de règles particulières. Les soins de « présentation » apportés au corps des défunts sont réduits à une simple toilette. La thanatopraxie, impliquant le recours à des produits de conservation, est proscrite. L’habillement doit privilégier les fibres naturelles. Le choix du cercueil est également limité : il doit être en carton ou en bois écocertifié, non traité, non verni, avec des poignées constituées de matériaux naturels recyclés ou biodégradables (en cas de crémation, l’urne doit aussi être biodégradable). Une fois l’inhumation effectuée, la tombe prend l’aspect d’un monticule de terre qui, au bout de six mois environ, sera réensemencée. Après quoi, certaines sépultures vont prendre l’aspect d’un parterre floral, d’autres se fondre progressivement dans la végétation. Ne restent alors que les piquets délimitant la concession.
Les stèles sont autorisées, mais à certaines conditions : dimensions raisonnables afin d’impacter au minimum le caractère naturel des lieux, matériaux provenant d’Ile-de-France et absence de vernis chimique. À Ivry-sur-Seine, la plupart des tombes se signalent par un panneau en bois arrondi, mais on compte aussi trois croix. Plus original, une famille a opté pour une petite arche assemblée à partir de rondins en bouleau.
Une demande limitée
Selon Caroline Geneuvre, conseillère funéraire de la société de pompes funèbres L’Autre Rive, les proches apprécient de se recueillir dans cet espace « où la nature reprend ses droits et où la verdure prédomine ». Pour certains, l’argument financier joue également : une concession de trente ans coûte 989 euros dans la division écologique contre 1 442 euros ailleurs dans le cimetière.
Pour autant, passé l’effet de curiosité lié à l’inauguration de cette division en 2019, Caroline Geneuvre constate un essoufflement de la demande. A ce jour, sur plus de 150 concessions, seule une trentaine est occupée. Et le deuxième cimetière écologique parisien, situé à Thiais (Val-de-Marne), reste inoccupé. Au niveau national, on compte moins d’une dizaine de divisions écologiques. C’est peu, au regard des 40 000 cimetières que compte le pays. Est-ce dû au poids des traditions ou au rôle de prescripteur des services de pompes funèbres ? Selon une enquête d’octobre 2023 du Journal de l’éco de France Culture, les professionnels du secteur ne seraient pas enclins à encourager à la frugalité écologique, synonyme pour eux de factures en baisse.
L’écologie s’impose progressivement
Cependant, la réflexion sur le caractère peu écologique des obsèques se développe et influe sur les choix des familles. « Certains peuvent à la fois vouloir une pierre tombale classique et opter pour un cercueil écologique. En quelque sorte, ils coupent la poire en deux, ils disent qu’ils “font leur petit geste” », explique Isabelle Plumecocq, directrice adjointe des services funéraires de la Ville de Paris. Ils sont aussi de plus en plus nombreux à opter pour une sépulture en « pleine terre » (seule une « semelle » en béton recouvrant la fosse est obligatoire) ou bien « engazonnée » (dans ce cas, aucune maçonnerie n’est autorisée).
Les cimetières parisiens ont également changé de visage depuis que les services municipaux, en 2015, ont banni l’utilisation de produits d’entretien chimiques. « Les cimetières sont devenus des refuges pour la faune et la flore », assure la Mairie de Paris. Effectivement, à y regarder de plus près, à Ivry, les graminées foisonnent dans les allées et la mousse s’épanouit sur les pierres tombales. Les frondaisons résonnent des cris des corneilles, perruches et autres passereaux. Dans ce paysage, ce carré « écologique » n’en apparaît que moins atypique.
Un bilan carbone non négligeable
Selon l’Insee, les décès au sein de la société française pourraient connaître une hausse significative en passant de 613 000 en 2019 à 770 000 par an vers 2050. Une projection est à mettre en miroir de l’empreinte carbone de nos habitudes funéraires actuelles. Selon une étude de 2017, commandée par la Fondation des services funéraires de la Ville de Paris, une inhumation traditionnelle émet autant de CO2 qu’un trajet en voiture de 4 023 km. Le recours au béton pour la maçonnerie et l’importation de granit pour l’édification d’un monument pèsent fortement dans ce bilan carbone. La crémation, choisie actuellement dans 40 % des obsèques, génère bien moins d’émissions. Mais c’est l’enterrement en pleine terre et sans monument qui apparaît comme la solution la plus vertueuse. J.B.
Texte : Julien Bramy – Photos : Nicolas Moraud