À Montreuil, les gilets jaunes gèrent la cantine solidaire de l’Aeri chaque mercredi. Des déjeuners à prix libre, ouverts à tous et à toutes, qui font vivre les valeurs du mouvement.
Chaque mercredi, dans les locaux de l’Association humanitaire d’entraide et rencontre (Aeri) à Montreuil, des tabliers jaunes s’affairent. Tomates coupées, ail émincé, œufs fouettés… En cuisine et en salle, les mains gesticulent et les langues se délient. De la loi « immigration » au contexte géopolitique, les sujets s’entrechoquent dans une ambiance conviviale. Les mercredis à l’Aeri, ce sont les gilets jaunes qui cuisinent.
« Cantine de lutte »
Les lames de couteau heurtent les planches en bois dans des « tac tac tac » affirmés. Au menu : soupe de tomate, haricots à l’ail, ragoût de pommes de terre et cake à la banane. Dans cette cuisine autogérée, créée au début de 2020, les produits sont récupérés le dimanche à Rungis et cuisinés le mercredi matin pour être servis le midi, à prix libre. Ici, pas de manageur ni de référent. « C’est un lieu de liberté où l’on évite les rapports de force », explique Anne, lunettes sur le nez, souriante, pour qui « faire différemment du reste de la société », très hiérarchique, est important.
« En général, il y a une soixantaine de mangeurs », indique Peter. Ce retraité de l’Éducation nationale tient à le préciser : « Ici ce n’est pas les Restos du cœur, c’est une cantine de lutte », qui finance des caisses de grève. Ce mercredi 20 décembre, ce sera pour les sans-papiers grévistes. Les « mangeurs » sont des habitants du quartier ou des personnes à faibles revenus. Parfois, ils viennent de loin. C’est le cas de Momo. Chaque mercredi, il parcourt la distance entre Neuilly-sur-Marne et Montreuil pour se rendre à la cantine : « J’ai une petite retraite de 600 €, alors, avec l’inflation, c’est devenu compliqué. » Aujourd’hui, il a donné 4 € pour son repas.
À l’accueil, Monique,réputée pour « dormir avec son gilet jaune », comptabilise les personnes venues se restaurer. Elle est là « depuis la première heure, depuis le premier samedi », premier acte du mouvement des gilets jaunes. À l’instar d’autres membres du groupe, ce sont les revendications pour la justice sociale et fiscale qui lui ont parlé. À 77 ans, l’ancienne prof de maths avait déjà beaucoup manifesté dans sa vie. « Mais là, au moment des gilets jaunes, on a commencé à se faire tabasser sérieusement. » Pas de quoi la dissuader. Si le mouvement n’est aujourd’hui « qu’un souvenir, il repartira sous une autre forme ». Encore faut-il trouver la bonne recette.
Texte : Emmanuelle Milon – Photos : Délicia Boudraa