Bouleversé par les naufrages en Méditerranée de 2015, le peintre Fred Kleinberg est parti, magnétophone en poche et carnet de croquis en main, à la rencontre des femmes et hommes parqués dans les camps de migrants. Son exposition, Odyssée, retrace cette expérience.
Odyssée. Fred Kleinberg vient d’ouvrir ses portes à l’espace Niemeyer, place du Colonel-Fabien (Paris 19e). Peintre expressionniste, né à Paris au milieu des années 1960 et formé aux Beaux-Arts par Pierre Alechinsky, Fred Kleinberg se définit comme un créateur engagé. Jusqu’au 13 janvier 2024, il présente, dans une nouvelle mise en scène, la série de diptyques de 4 mètres sur 2 mètres, réalisés à l’issue de ses séjours dans les camps de migrants de Calais, Grande-Synthe, Kara Tepe et Moria (Lesbos, Grèce) en 2016.
Tel Ulysse, les migrants « affrontent des situations qui les poussent à développer une vitalité hors du commun », explique le peintre qui pétrit la matière de ces vies piétinées : la boue, les flammes, l’épuisement, l’attente et les rêves, l’incertitude, l’odeur de la peur ou du caoutchouc brûlé, la brutalité électrique des policiers qui entravent un jeune homme. « C’est un puissant témoignage sur l’exil, et le hasard a voulu que l’exposition commence au lendemain du rejet à l’Assemblée nationale de la loi Immigration présentée par le gouvernement », commente Pierre Laurent, ancien sénateur communiste et animateur du collectif Libres comme l’art, à l’origine du projet.
Révolté par l’« UE forteresse » et le spectacle de « nos mémoires et consciences saturées, devenues insensibles à ces récits et à ces visions (…) de la mort aux frontières de l’Europe », Fred Kleinberg restitue l’existence de celles et ceux, pour beaucoup des « enfants aux visages d’adultes », qui, dit-il, « ne vivent pas mais ne font que s’adapter ».
« J’aime la vie… »
Toute en bleu céruléum (dit aussi bleu céleste), Odyssée instaure une confrontation entre, d’un côté, en polychromie, les portraits des migrants conçus à son retour et, de l’autre, en bichromie, quelques-uns des chefs-d’œuvre de la peinture classique (de Doré à Delacroix) ou des mythes antiques (Homère et son Ulysse), qui peuplent notre inconscient collectif et que Kleinberg réinterprète. Par ces références au fonds culturel commun, le peintre veut faire comprendre ce que nous regardons et partager sa révolte contre notre indifférence.
« Peindre est l’art du silence, il existe avant même le langage », explique le créateur, dans le film inédit qu’il a co-réalisé avec Sébastien Guisset (2023), projeté devant 200 personnes lors du vernissage. « J’aime la vie mais pas comme ça », chantonne la voix douce d’Ammar, Irakien parti de Mossoul et croisé en mars 2016 par Fred Kleinberg, dans la « jungle » de Calais. Les images défilent. On est avec lui, les mains tendues en direction d’un faible brasero. En voix off, Fred Kleinberg explique que, désormais, Ammar ne chantera plus. Il s’est ôté la vie quatre mois après leur rencontre. « Approche, viens, je veux te dire quelque chose… Je t’aime. » Puis c’est le silence. Et des applaudissements à n’en plus finir.
Texte : Lydia Samarbakhsh Photos : Lola Cassinat
Le 18 décembre, une soirée de solidarité avec les migrants
Ce 18 décembre à 19 heures, dans le cadre de la Journée internationale des migrants, Fred Kleinberg propose une soirée spéciale, avec la projection du film Le Chant des vivants de Cécile Allegra, suivie d’une table-ronde où la réalisatrice sera rejointe par Jean-François Corty, vice-président de Médecins du monde et Pierre Micheletti, membre du conseil d’administration de SOS Méditerranée. Inscription obligatoire : accueil@espaceniemeyer.fr, entrée libre.
Informations pratiques
Exposition Odyssée. Fred Kleinberg, du 13 décembre 2023 au 13 janvier 2024.
Espace Niemeyer, 2, place du Colonel-Fabien (Paris 19e).
du mercredi au samedi de 14 heures à 18 heures. Entrée libre.