À la fin du mois de mai, au sein du service d’hématologie spécialisé en greffe adulte de l’hôpital Saint-Louis à Paris, une infirmière en forme une autre, entre surveillance des malades, transfusions, préparation des soins et réunions d’équipe. Immersion dans un service où la prise en charge des patient·es greffé·es combine technique de pointe et relationnel de qualité, en dépit du manque de personnel infirmier.
Il est 6 h 45, la machine à café ronronne. Les douze heures de garde commencent. Brouhaha dans le bureau paramédical où se déroulent les transmissions entre les infirmières de nuit et celles de jour. Clics incessants des stylos quatre couleurs : noir ou bleu pour la tension et le pouls, rouge pour la température et la douleur… En ce 25 mai, Orlane, bientôt vingt ans de métier, encadre Safa, infirmière stagiaire, attirée par ce service d’hématologie pour son accompagnement plus humain.
Des cheveux dépend la coiffe : charlotte pour les fins, calot pour les épais. Chaussées de baskets ou de sabots, les infirmières parcourent toute la journée le périmètre du service. Un îlot central concentre les bureaux des médecins, psychologues, infirmier·es et aides-soignant·es, technicien·nes de recherche, cadre, ainsi que les locaux techniques, la pharmacie et les postes de soins ; le tout est entouré par les chambres des malades. Dans un coin, la salle de pause. Ici, café et chocolat à volonté pour les marathoniennes.
« Comme si c’était un membre de ma famille »
Malgré la pénurie de personnel, le service d’hématologie spécialisé en greffe adulte de l’hôpital Saint-Louis maintient une qualité de soins fondée sur une expertise technique et une prise en charge humaine. À condition de trouver un donneur, la greffe de moelle peut guérir d’une maladie du sang. Si elle prend et si la maladie ne resurgit pas. Sans parler des complications infectieuses et organiques à contrôler : une gageure pour les soignant·es. Un défi qui les soude. Les paramètres vitaux sont vérifiés toutes les quatre heures. En soins intensifs, un·e infirmier·e s’occupe de quatre malades.
Entre 7 h 45 et 8 h 20, après la récupération des produits à la pharmacie et avant le premier « tour de constantes » – température, pouls, tension, saturation en oxygène –, les infirmières petit-déjeunent en salle de pause et parlent d’un cas difficile. Les traitements ne fonctionnent pas. Safa s’inquiète : « Ce n’est pas trop déprimant ? » Orlane répond que l’équipe est là pour soigner et guérir. « Malheureusement on n’y arrive pas tout le temps. Ça fait partie du job, et on continue à être là après cinq, dix, quinze ans… » Sa collègue Aline acquiesce et reprend un carré de chocolat. « Je m’occupe de chaque malade comme si c’était un membre de ma famille, poursuit Orlane, même si ça peut faire mal. Quand j’entre dans une chambre, je suis moi-même : je tutoie, je ris, je pleure parfois. Je m’assois quand je vois que ça ne va pas. »
Une hospitalisation en « hémato », et particulièrement en greffe, dure entre un et quatre mois, parfois plus. Patient·es et soignant·es passent une tranche de vie ensemble, nouent une relation de longue durée que les infirmières affectionnent.
« Ici on apprend ce qu’est l’accompagnement, le lâcher-prise quand on arrive au bout, dit Orlane. Mais le service apporte aussi sa part de miracle ! » Elles sont interrompues par Pedro, le chef de clinique à l’accent brésilien, qui remonte du bloc : « Il y a de la place dans le frigo pour stocker mon prélèvement de moelle ? » Arrive Éléonore, cheffe de clinique, qui propose un apéro un soir de la semaine suivante. Boire un coup, se vider la tête, retrouver un instant cette naïveté qu’on perd quand on côtoie la mort et la maladie au quotidien. Se sentir vivant·e.
Des heures sup pour pallier le manque de personnel
L’équipe du professeur Peffault de Latour réalise 140 greffes de moelle osseuse par an. Même si, depuis janvier 2022, le nombre insuffisant d’infirmier·es contraint à laisser fermés en permanence 4 de ses 20 lits, ce service d’hématologie est le plus important en France et l’un des premiers sur les plans européen et international. Il accueille et forme médecins, infirmier·es et aides-soignant·es, en plus de se consacrer à la recherche clinique et fondamentale. Le personnel de jour tourne en heures supplémentaires de nuit pour combler les postes vacants. De nombreuses lettres de remerciements sont affichées en salle de pause. D’anciens malades surtout. Sur l’une, signée par le chef et la cadre du service, on peut lire : « Nous voulions vous exprimer notre immense gratitude de faire un peu plus tous les jours avec toujours un peu moins. »
Retrouvailles entre une infirmière et une ancienne patiente greffée, un épisode de la série podcast de Magali Bourrel
Texte : Magali Bourrel – Photo : Aurélien Pallier-Colinot