Face à la décision de la Mairie de Paris de céder leur terrain de pétanque, les membres du Club Lepic Abbesses Pétanque (CLAP) de Montmartre se mobilisent pour défendre leur espace de jeux et de vie. Ce lieu symbolique de l’âme de Montmartre est au cœur d’une bataille collective contre une pression administrative omniprésente.
Le Club Lepic Abbesses Pétanque (CLAP) est entré en résistance. Le 30 septembre 2022, la Mairie de Paris a lancé un appel à projet et a fait le choix de concéder la future occupation de cet ancien boulodrome à un hôtel particulier voisin. L’objectif annoncé est d’en faire un nouveau jardin en partie ouvert au public, en partie à la clientèle de l’hôtel. Cet arbitrage entérine l’expulsion des 287 licenciés du Club rattachés à la Fédération Française de Pétanque, là où une dizaine de squares et jardins occupent déjà le célèbre quartier de la butte Montmartre du 18ème arrondissement de Paris.
Bien plus qu’un Club de pétanque
Cette décision de fermeture est incomprise par les habitués de cette petite enclave montmartroise dédiée depuis plus de cinquante ans à la pratique de la pétanque. Ce terrain a été initialement cédé à l’amiable par les autorités municipales de l’époque et les successeurs officiels n’ont eu de cesse, au fil du temps, d’accompagner les différents aménagements. A partir de 2022, la Mairie de Paris a émis le souhait de régulariser la situation en lançant un appel d’offre remporté par le projet jugé le plus conforme aux attentes définies par le Plan Local d’Urbanisme (PLU), celui de l’Hôtel particulier Montmartre, dégageant par la même occasion le montant de redevance annuelle le plus élevé, soit 60 000€ par an.
Un lieu de transmission entre générations
Bien plus qu’un simple Club sportif, cet endroit reconnu de la pétanque parisienne a vu prospérer des générations de boulistes. Il s’y concentre aujourd’hui assez de convivialité et de fraternité pour être érigé en emblème de la vie montmartroise, une ambiance de village qui peine déjà à subsister face à la pression immobilière et le surtourisme.
“Du chef d’entreprise jusqu’au petit retraité, des gens de toutes conditions et de toutes origines se retrouvent autour d’une partie de pétanque mais pas que, parfois simplement pour prendre l’air, sortir de l’appartement, s’asseoir sur un banc, voir des gens, boire un verre d’eau ou une bière et discuter avec du monde, c’est un endroit essentiel.” témoigne Ariane Ravier, montmartroise et licenciée du Clap depuis plus de 20 ans.
Un joyau en plein cœur de Montmartre
Le CLAP, un acronyme en partie symbolique. On y entre comme dans un décor de cinéma, par une impasse pavée discrète et arborée le long du passage dit de la Sorcière. Or, c’est bien l’authenticité du lieu et de ses occupants qui saisit dès le premier regard : une entrée plongeante dans une atmosphère accueillante, familière, presque hors du temps. Club sportif avant tout, cet écrin de verdure prend vie quotidiennement aux sons des parties de boules et d’échanges aussi vifs qu’un lancé de cochonnet.
Un espace vert protégé à renaturaliser ?
Le choix de projet actuel de la mairie en faveur d’une renaturalisation du site et d’une ouverture au public est perçu ici comme un non-sens. Ce site est déjà protégé et à double titre : en tant qu’espace vert et en tant que vestige du Maquis de Montmartre. La Commission supérieure des sites, perspectives et paysages avait d’ailleurs jugé bon de préciser dans un décret rendu en 1991 que “l’aspect sauvage des lieux ne devra pas être remis en cause par des travaux, même de façon temporaire”. Consigne respectée : la conservation actuelle de cet espace de 765m2 hébergeant 9 terrains de pétanques et des arbres centenaires est assurée par les adhérents eux-mêmes dans le respect des normes imposées par ces statuts. A cela s’ajoute ce petit supplément d’âme : la plantation systématique d’un rosier ou d’un olivier en mémoire aux membres de l’association aujourd’hui disparus.
Pétanque signifie « pieds ancrés dans le sol »
Cette petite parcelle attire et rassemble. Bien qu’accessible en priorité aux adhérents, le CLAP permet à des enfants scolarisés à proximité et à des associations d’enfants porteurs de handicap de venir s’entraîner. Plus largement, les bénévoles s’associent aux restaurateurs et autres commerçants du quartier pour organiser de grands rassemblements solidaires comme les fêtes annuelles du Téléthon par exemple.
« J’ai défriché ce terrain quand j’avais 10 ans, c’était en 1962. Il n’y avait rien. Je venais avec mon père après l’école. J’ai connu deux présidents. Mon père a été l’un d’eux. J’ai pris sa suite. Ca n’était pas évident car le milieu est plutôt masculin, les femmes étaient les accompagnatrices de leurs maris. Les choses ont changé. 97 femmes sont licenciées. C’est le Club de pétanque avec le plus de femmes à Paris. » atteste Catherine, ancienne présidente du Clap.
Une résistance agile et une ZAD pacifique
Pétitions, manifestations, lettres ouvertes, procédures de recours. Face à la menace de sa disparition, la famille du Clap se mobilise. Tous les moyens sont mis en œuvre pour contrer un projet jugé en partie mercantile par les boulistes dans la mesure où une parcelle de l’espace concédé à l’hôtel particulier est destiné à l’agrandissement ponctuel de sa terrasse extérieure. Les licenciés se relaient aujourd’hui nuits et jours pour ne plus laisser ce havre de paix vacant. Des tentes sont plantées au sol, des chaînes accrochées aux arbres et des ravitaillements de nourriture s’acheminent : la première zone à défendre (ZAD) de Paris est créée et tient bon jusqu’à ce jour. Ce mouvement est soutenu par les artistes, sportifs et figures emblématiques de Montmartre tels que Pierre Richard, Fabrice Luchini, Fabien Galthier et Eric Elmosnino s’exprimant à l’unisson avec les riverains sympathisants et l’ensemble des licenciés du Club.
Le combat du CLAP de Montmartre est un symbole fort de la lutte pour la préservation des espaces de vie communautaire. Plusieurs recours administratifs sont en cours. En défendant leur terrain de pétanque, c’est leur sport et aussi tout un art de vivre ancestral que les membres du Club protègent à quelques semaines de l’ouverture des Jeux Olympiques à Paris.
Témoignages – Pour vous c’est quoi le CLAP ?
Texte, photo, vidéo : Audrey Iattoni