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Féministes à travers les générations :  « La lutte est la condition de mon existence » 

Femmes manifestation féministe

Nina, Diane, Grâce, Nathalie et Danielle ont de 23 à 73 ans. Si leurs parcours et expériences diffèrent, toutes estiment primordial le combat contre les discriminations sexistes et les violences faites aux femmes, encore aujourd’hui. Regards croisés sur leur engagement féministe.

Nina, 23 ans
Nina étudie le droit à l’université Paris-Nanterre. Elle se définit comme féministe marxiste radicale, un courant qui revendique l’abolition du capitalisme et du patriarcat. Nina lutte contre l’aliénation du corps des femmes, ainsi que les discours visant à banaliser la pornographie et la prostitution.

Diane, 27 ans
Diane est responsable des relations presse et média pour l’ONG Plan international, qui lutte pour les droits des enfants. Militante au sein du collectif Nous toutes, de 2021 à 2023, elle fait désormais partie de la commission féministe d’Europe Ecologie Les Verts.

© A. Romain

Grâce, 35 ans
Grâce est actrice, autrice et chanteuse. C’est à Sciences Po Paris qu’elle a découvert les études sur le genre et sur le féminisme. Elle dénonce les violences sexistes et sexuelles et déconstruit les préjugés sexistes dans des vidéos humoristiques postées sur les réseaux sociaux.

Nathalie, 66 ans
Nathalie, médecin généraliste à la retraite, vit dans les Hauts-de-Seine. Elle a longtemps travaillé pour Médecins du monde. Son engagement féministe a commencé à la fin des années 1970. Elle considère que le mouvement #MeToo a été un tournant dans l’histoire du féminisme.

Danielle, 73 ans
Danielle milite depuis toujours pour la cause des femmes. Gynécologue-obstétricienne à Paris, elle pratiquait des avortements clandestins bien avant la promulgation de la loi Veil. Aujourd’hui à la retraite, elle continue à travailler au Planning familial. Elle se dit inquiète de la montée des violences faites aux femmes.

Comment est né votre militantisme ?

Danielle – J’ai commencé mes études de médecine en 1968, une année particulière ! Les remarques sexistes de mes professeurs, l’invisibilité des femmes en politique, et surtout le besoin d’obtenir un moyen de contraception m’ont poussée à m’engager.

Nathalie – Ma première manifestation, c’était pour réclamer la pérennisation de la loi Veil autorisant l’IVG qui, lorsqu’elle a été promulguée en 1975, ne l’a été que pour cinq ans; j’avais alors 17 ans. 

Grâce – Jeune, j’étais souvent mal jugée, notamment par les filles, sur le fait d’avoir eu plusieurs partenaires sexuels. Ça me révoltait ! Puis, en observant les expériences de violences vécues par des amies proches, j’ai pris conscience que le problème était sociétal et non individuel.

Diane – Durant mes études supérieures, Le Deuxième Sexe m’a vraiment marquée. En 2020, lors de la crise sanitaire, les violences faites aux femmes ont explosé. Cela m’a poussée à m’engager et à rejoindre le collectif #NousToutes, qui défend la cause des femmes.

Pourquoi le combat féministe vous semble-t-il toujours important aujourd’hui ?

Danielle – Il y a encore des opposants aux droits des femmes, parce que ce n’est pas gagné ! Par exemple, le droit à l’avortement est remis en cause dans de nombreux pays et reste fragile.

Diane – On n’a pas le choix ! Tous les deux jours en France, une femme meurt parce qu’elle est une femme. Chaque crise dans le monde entraîne une augmentation des violences sexistes. 

Nina – Le corps des femmes est toujours aliéné par les hommes, la traite des femmes dans le monde reste un immense problème. La lutte est la condition de mon existence.

Comment les différentes générations dialoguent-elles au sein des luttes féministes ?

Grâce – Le féminisme a longtemps été pensé pour les femmes blanches, hétéros, valides. L’intersectionnalité  permet de repenser les luttes en étant plus inclusives, de croiser les combats propres aux identités et vécus de chacune. C’est indispensable de débattre, de comprendre les arguments des autres.

Nathalie – C’est vrai que les questions qui se posent aujourd’hui ne sont plus celles d’il y a quarante ans car le contexte, notamment migratoire, a changé. Mais il y a une tendance à se replier sur soi-même, à ne plus vouloir dialoguer qu’avec ceux qui pensent comme nous, c’est dommage.

Danielle – Mon féminisme repose sur l’universalisme des droits humains, la laïcité et le collectif. On part des expériences individuelles pour élaborer un combat collectif. L’intersectionnalité est un outil d’analyse, qui sert aussi l’universalisme. La philosophe féministe Elsa Dorlin en parlait dès les années 1970 dans Sexe, race, classe.

Pensez-vous que la société progresse sur ces questions ?

Nina – Nous sommes dans une société de plus en plus libérale. La normalisation de la prostitution, au prétexte que certaines travailleuses du sexe sont volontaires, invisibilise les violences subies par la très grande majorité des femmes prostituées.

Diane – Le mouvement #MeToo a été une libération de l’écoute. Les femmes parlaient déjà avant, mais on ne les écoutait pas. Pour autant, la situation ne s’améliore pas. Les violences augmentent et les politiques ne s’en préoccupent pas réellement. Les femmes sont de plus en plus sensibilisées, mais les hommes de plus en plus conservateurs.

Grâce – C’est vrai qu’il existe une montée du masculinisme , mais j’ai confiance en la jeune génération. Malgré les avancées, ce sont encore les mères qui élèvent majoritairement les enfants. Si elles sont féministes, elles transmettront leurs valeurs.

Nathalie – On traverse une période ponctuée de crises, de guerres, de replis sur soi. Depuis #MeToo, les hommes sentent qu’ils vont perdre leurs privilèges. Cela les déstabilise, mais sans déséquilibre, pas d’avancée.

Danielle – La montée du Rassemblement national et des discours misogynes m’effraie. Les hommes doivent comprendre qu’ils ne peuvent plus s’accaparer le corps des femmes et considérer qu’ils sont les plus puissants. Ils ne le sont pas, c’est un fait.

Des féministes et des féminismes

L’évolution du contexte de lutte depuis les premières pensées féministes, ainsi que les divergences des revendications et des points de vue parmi les militantes, ont engendré différents courants au sein du féminisme.

  • Le féminisme radical considère que le patriarcat et le capitalisme sont à l’origine de l’oppression des femmes. Il dénonce l’utilisation des femmes (parce que femmes) par l’homme, notamment pour ce qui relève du travail domestique non rémunéré mais aussi dans le cadre de la prostitution. Monique Wittig est une des figures de ce courant.
  • Le différencialisme part de l’idée que les différences biologiques entre hommes et femmes doivent être prises en compte socialement. Il combat une société pensée uniquement par et pour les hommes. Il a été développé par Antoinette Fouque notamment.
  • L’universalisme est un courant laïc qui défend les intérérêts individuels et collectifs des femmes avant ceux de classe ou de communauté. Il prône l’égalité des droits et défend celui des femmes à disposer de leur corps, notamment à travers la contraception et l’avortement. C’est le courant revendiqué par Simone de Beauvoir.
  • L’intersectionnalité tient compte des oppressions autres que le sexisme que certaines femmes subissent (racisme, homophobie, validisme, etc.) et distingue les vécus propres à chacune, sans hiérachie de combats. Angela Davis évoque la nécessité de l’intersectionnalité dès les années 70.
  • Le féminisme pro-sexe défend l’idée que la liberté des femmes à disposer de leur corps doit être totale, et donc qu’elles doivent pouvoir se prostituer si elles le souhaitent. Il revendique une pornographie féministe et rejette les injonctions normatives, qu’elles soient esthétiques ou morales. Issu des Etats-Unis, il est porté en France par Virginie Despentes notamment.

Frise chronologique de l'évolution des droits des femmes, de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne d'Olympe de Gouges (en 1791) à l'inscription de l'IVG dans la constitution en 2024, en passant par le droit de vote (1944), la création du planning familial (1956), la légalisation de la contraception (1967), la naissance du MLF (1970), l'IVG (1975), la nomination d'Edith Cresson première ministre (1991), la loi sur la harcèlement sexuel (2012), MeToo, Balance ton Porc et l'affaire Weinstein (2017), l'ouverture de la PMA aux femmes célibataires et aux couples lesbiens (2021).
Texte : Sarah Lambert – Graphiste : Camille Barbier Saint Hilaire

Texte : Sofia Hullot-Guiot d’après les propos recueillis par Margot Bonnery, Emmanuelle Milon et Sofia Hullot-Guiot – Photo : Stella Giordano