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Dépasser le genre : Clem, histoire d’un·e jeune non-binaire

Clem et sa maman partagent des souvenirs sur le canapé du salon, un échange émouvant et intime. Itteville, février 2024.

Jeune adulte non-binaire, Clem s’est longtemps questionné sur son genre. Aux côtés de sa mère, iel nous raconte son histoire.

Assis·e sur le sol de sa chambre, Clem, 22 ans, range sa collection de cravates. Les traits fins, des cheveux blonds coupés court et le regard clair, l’Essonnien·ne, que ses parents surnommaient avec affection « la brute » pendant l’enfance tant iel aimait bouger et se bagarrer, sourit en évoquant sa passion pour les vêtements. Ils sont colorés, parfois à l’effigie de personnages de mangas. Pour Clem, il ne s’agit pas d’une histoire de goût : « Longtemps, je me cachais dans des vêtements larges. Aujourd’hui, mon style, c’est mon identité », affirme-t-iel en regardant ses chemises à motifs vintage. Son identité, Clem l’a comprise il y a trois ans. Iel est non-binaire : iel ne se reconnaît pas au sein du genre féminin ou masculin. Iel est à la fois entre les deux et dans aucun des deux. Aujourd’hui, iel se définit comme neutre et souhaite que l’on utilise les pronoms « iel » (contraction des pronoms « il » et « elle ») ou « il » à son propos. Une prise de conscience progressive, parfois douloureuse mais libératrice.

C’est au lycée qu’iel commence à s’intéresser au féminisme, puis à la communauté LGBT+ : « Je lisais et je me renseignais. Cet intérêt était déjà, peut-être, un signe de ce que je suis aujourd’hui, mais je n’en avais pas encore conscience », se remémore-t-iel. Pourtant, iel n’était déjà pas à l’aise avec son genre de naissance, sans se sentir homme pour autant. Sans représentations extérieures, difficile de comprendre ce tiraillement. Clem perçoit la période de crise sanitaire et de confinement comme une révélation : « Je me suis retrouvé·e seul·e avec moi-même. Sans regard social, j’ai pu m’interroger réellement sur mon rapport au corps. » Mais ce déclic s’accompagne d’appréhension. Iel redoute son retour en société. « C’était une période à la fois très enivrante, parce que je mettais enfin des mots sur ce que je ressentais, et anxiogène, car je craignais terriblement le regard des autres. »

La mère de Clem rit aux éclats en jouant au scrable aux côtés de son enfant.
Moment de complicité : Clem et sa mère Daphné jouent au scrabble dans le salon familial.
©Yohann Cordelle

La non-binarité en guise de libération

Une prise de conscience qui s’est effectuée sous le regard de sa mère, ancienne sénatrice Modem, Daphné Ract-Madoux. « Je le voyais souffrir, renfermé sur lui-même, et je ne savais pas comment l’aider », raconte-elle encore émue. Elle se souvient de son besoin soudain de vêtements masculins, des bonnets qu’iel portait alors pour cacher ses cheveux longs, « symbole de féminité ». Clem les a finalement rasés l’été suivant : « Ça a été libérateur », souffle-t-iel.

Parce que la grande majorité de ses amis ont finalement bien accueilli son coming out, Clem a pu évoquer en confiance sa non-binarité sur les réseaux sociaux. « Chez les personnes LGBT+, il y a beaucoup d’isolement, alors la communauté est très importante. » C’est ainsi que sa tante découvre son identité, et l’évoque en plein repas de famille. « Je me suis senti·e forcé·e d’en parler, j’avais prévu de le faire, mais plus tard », se souvient Clem en passant la main dans ses cheveux, « Je savais que pour vivre pleinement mon identité, il fallait que je le dise à mes proches ».

Cette révélation l’a finalement soulagé. « Il était tout rouge », se souvient sa mère entre deux rires. Clem sourit à son tour : « Chacun a été compréhensif, même si, pour mes grands-parents, il a fallu un peu plus de temps », précise-t-iel, pardonnant les maladresses de ces derniers. « Parfois, ma grand-mère me mégenre [elle le “genre” en continuant à l’appeler “elle”, ndlr], mais elle se reprend tout de suite », poursuit-iel avec une petite moue. « Je n’attends pas que mes grands-parents y arrivent correctement du jour au lendemain, car c’est plus dur pour les personnes âgées de changer leurs habitudes. » À ses yeux, la plupart des gens sont curieux, et prêts à apprendre.

Texte : Aïssatou Cissé
Graphisme : Camille Barbier Saint Hilaire

« Il faut protester et se faire entendre »

Se renseigner sur le sujet pour comprendre et accompagner son enfant, c’est ce que sa mère a fait. Celle qui aime appeler Clem « mon iel » est convaincue de l’importance d’éduquer sur ces questions : « Il y a un réel besoin de former nos générations », explique-t-elle en servant du thé dans des tasses arc-en-ciel. « Mes collègues sénateurs sont intéressés par le sujet et ne demandent qu’à comprendre », renchérit Daphné Ract-Madoux, également vice-présidente de l’association Centre-égaux, qui milite en faveur des droits des personnes LGBT+. À ses côtés, Clem acquiesce : « Il faut protester et se faire entendre. Nous voulons des droits basiques, comme les personnes cisgenres [qui indiquent que leur sexe assigné à la naissance est identique à leur genre actuel, ndlr], tels que l’adoption. »

Progressivement, la société évolue. En février 2024, lorsque Clem poste sur les réseaux sociaux un cliché avec sa petite amie devant l’église Sainte-Radegonde de Talmont, en Charente-Maritime, iel est loin d’imaginer que l’Eglise partagerait la photo. « Ils nous ont dit : “Tout le monde est accepté chez nous, […] peu importe votre orientation sexuelle.” » Un message porteur d’espoir pour le couple, et plus largement pour la communauté LGBT+. L’enlaçant tendrement, Daphné Ract-Madoux observe son enfant épanoui·e et heureux·se, le regard fier.

Contemplatif, Clem regarde par la fenêtre de sa maison familiale.
Clem, contemplatif, regarde à travers la fenêtre de la maison familiale, un instant de réflexion et de calme. ©Yohann Cordelle

Lettre ouverte à la génération de mes grands-parents

« Nous existons, depuis toujours. Nous sommes artiste, médecin, élève ou ministre. Nous vivons des histoires d’amour et d’amitié, des tristesses et des joies. Nous sommes des connaissances, des voisins, vos cousins, vos enfants. Nous sommes peut-être vous. Longtemps, les mots ont manqué pour celles et ceux qui se sentaient à l’étroit dans les normes de genre. Aujourd’hui, nous cassons les codes et nommons ce qui était tu ou réprimé. Interroger le genre et le revendiquer n’est ni une maladie, ni une perversion : c’est un chemin vers la liberté. Peut-être est-ce effrayant, ces questionnements qui bousculent vos repères. Alors, parlons. N’ayez pas peur de poser des questions, d’être maladroit parfois : il s’agit de se comprendre, de se rencontrer. Donnons-nous le droit de pleurer quel que soit notre genre, de nous habiller comme on le souhaite. Donnons-nous la chance d’être libres et fiers, qui que l’on soit, qui que l’on aime. Nos différences sont belles : rendons à la vie toutes ses couleurs, même celles qu’on ignorait. »

Clem

Texte : Margot Bonnéry et Sofia Hullot-Guiot – Photo : Yohann Cordelle.