En France, comme dans le monde, le constat est sans appel: la biodiversité est en déclin. Les boomers sont accusés d’avoir laissé une France en mauvais état et d’être des pollueurs, mais la réalité est plus complexe qu’il n’y paraît.
« Les jeunes voient l’état de la planète qu’on leur laisse. Dans les années 1970, on n’a pas fait ce qu’il fallait », lâche, des regrets dans la voix, Corinne, 63 ans et secrétaire au centre de soins de la faune sauvage, Faune Alfort. Pour nourrir le pays à la sortie de la Seconde Guerre mondiale, la France a pris des décisions politiques, comme l’industrialisation de l’agriculture et l’usage massif des pesticides, qui ont marqué profondément la biodiversité. Le rythme de la disparition d’espèces ou de milieux naturels est « largement attribuable aux activités humaines » indique le ministère de la Transition écologique. D’autant que ces activités engendrent également un dérèglement climatique qui, à son tour, impacte la biodiversité. Pour Sandra Lavorel, directrice de recherche au CNRS et membre de la plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (sigle anglais IPBES, l’équivalent du Giec pour la biodiversité), « il faut donc répondre en même temps aux deux menaces. Le problème, c’est que dans les agendas politiques internationaux, c’est souvent le climat qui passe en premier ».
Les boomers, d’affreux pollueurs?
La prise de conscience de ces bouleversements n’est pourtant pas récente. Ainsi, dans un entretien accordé au site Reporterre, l’historien des sciences Christophe Bonneuil rappelle que « des scientifiques et des apiculteurs dénonçaient déjà les dégâts des pesticides à la fin des années 1940 ». Mais les mouvements de contestation sur ces enjeux pendant les Trente Glorieuses ont été marginalisés, puis sont tombés dans l’oubli. Ce qui permet aux essayistes Patrick Buisson et François de Closets de considérer que la génération des boomers aurait cédé « à la commodité et à la facilité » et serait responsable de léguer une France en mauvais état. Un avis que ne partage pas Bruno David, président du Muséum national d’histoire naturelle : « Les boomers n’avaient pas accès aux connaissances permettant de prendre conscience de leur impact sur le climat et la biodiversité». Serge Guérin, sociologue, veut, dans son dernier livre Et si les vieux sauvaient la planète ?, « casser » l’idée que « tous les jeunes sont écolos et tous les vieux d’affreux pollueurs car, finalement, 20 % des jeunes et des gens plus âgés sont très impliqués sur ce sujet ».
Echanges avec Marine et Dominique, bénévoles au centre de soins Faune Alfort
« J’avais envie de m’investir dans quelque chose d’utile et d’agir pour la nature. »
Quelles sont les raisons de votre implication dans le centre ?
Dominique : Avec le temps, j’avais envie de m’investir dans quelque chose d’utile et d’agir pour la nature. Quand j’ai écouté la présentation du centre de soins faite par son président, je me suis dit : « Ça y est, c’est ça que je veux faire. » Pendant une bonne année et demie de bénévolat en soins, je réfléchissais à comment m’investir davantage dans l’association. Quand j’ai vu l’existence du mécénat de compétences*, j’ai demandé au président et à la directrice si cela les intéressait. Ils m’ont tout de suite dit « oui ».
Marine : J’ai fait une licence de biologie et un master sur le comportement animal. Je n’ai pas trouvé de sujet de thèse, mais je ne voulais pas ne rien faire. J’ai donc répondu à l’offre du centre concernant un poste de service civique. J’étais très intéressée car la position du soigneur, qui est proche de l’animal, est très différente de celle éloignée de l’éthologue.
Que pense votre entourage de votre investissement ?
D. : Mes amis et mes collègues du ministère de l’Intérieur sont surpris, touchés, mais c’est très loin de leurs préoccupations professionnelles et de leurs centres d’intérêt. Ils me disent : « Tu fais quoi ? Ah ! ouais, tu nourris un pigeon ! »
M. : Mon frère, ingénieur en informatique, et mes parents me soutiennent dans mes choix. Mais c’est au-delà de ce qu’ils peuvent comprendre. Ils me demandent : « Pourquoi soigner ? » Pour eux, ce n’est pas nécessaire. Mais ils sont plus à l’écoute si j’ai soigné la plaie d’un hibou que si j’ai gavé un pigeon ou une souris. Pourtant, dans les deux cas, c’est une vie.
Pensez-vous que les jeunes soient plus conscients et impliqués que les seniors ?
M. : Les jeunes consomment davantage les réseaux sociaux et sont donc plus au courant. Mais cela dépend de la sensibilité de chacun.
D. : Je ne crois pas que les jeunes soient plus investis que les seniors. Ces derniers attendent d’avoir de la disponibilité pour s’engager. Dans les années 1970, il y avait des contestations, par exemple contre les boues rouges, en Corse. A l’époque, on devait faire l’effort de s’informer. Aujourd’hui, les jeunes sont mieux renseignés, il y a de la donnée scientifique, des moyens de travailler en réseau. Cela a modifié les investissements, cela les facilite.
M. : Effectivement, il y a des données, mais celles-ci ne sont pas toujours vérifiées. Et oui, aujourd’hui, on est très informés, même si on ne le veut pas.
* Le mécénat de compétences est un dispositif de « don en nature » mis en place par le ministère de l’Economie qui permet à une entreprise de « mettre des collaborateurs à disposition d’un organisme d’intérêt général » en offrant leurs compétences ou leur force de travail.
Texte et vidéo: Jenny Bernard – Photos: Jeanne Bourdier