Distribution alimentaire, permanence juridique, accès aux soins… Dans la région dunkerquoise, des associations se relaient pour apporter le minimum vital aux personnes exilées. Parmi les bénévoles engagés, de nombreux retraités très impliqués.
Les corons, habitations en brique rouge, se toisent de chaque côté de la rue Alphonse-Daudet, à Grande-Synthe (Nord). Rideaux fermés, pas un bruit. Il est 9 h 30 et rien ne laisse présager qu’une quinzaine de bénévoles de l’association Salam (« paix » en arabe), qui soutient les personnes migrantes à Calais et dans le Dunkerquois, s’affairent dans l’espace paroissial Saint-Jacques de cette ville des Hauts-de-France, connue pour être un point de départ vers l’Angleterre.
Ce matin, ils sont nombreux à préparer le repas qui sera servi trois heures plus tard au campement de Loon-Plage, situé à une dizaine de minutes du centre-ville. Pour l’heure, impossible de connaître avec précision le nombre d’assiettes à remplir. « Hier, ils étaient plus de 400 », indique Denise, bénévole de 78 ans, référente de l’équipe en ce 20 février 2024. Des effluves de poulet parfument la pièce.
Denise retire les os de l’un d’entre eux méticuleusement. Cela fait seize ans que cette ancienne infirmière a rejoint l’association. « A l’époque, l’organisation n’était pas aussi bien rodée qu’aujourd’hui, se souvient la retraitée. On cuisinait chez nous puis on chargeait nos cocottes dans le coffre, enroulées dans des couvertures. Des fois, ça culbutait ! »
« Son carburant, ce sont les gens »
Dans l’entrée du local, Claire, 73 ans, ancienne professeure de lettres classiques, s’apprête à partir. « Je donne une interview pour France 3 sur les femmes engagées. » La vice-présidente de l’association Salam est sur tous les fronts. Plannings, préparation et distribution des repas, newsletter… Hors de question pour elle de passer sa retraite à la maison « à faire la cuisine et le ménage ». D’ailleurs, à Salam, les retraités sont en grande majorité. Avec quatre distributions par semaine, impliquant au minimum sept bénévoles, sans compter la récupération des denrées alimentaires, il faut du temps, et les seniors peuvent répondre présents. Son carburant, ce sont les gens. C’est pour le lien social qu’elle a intégré Salam en 2005.
Sur le camp, elle collectionne les sourires des personnes exilées. « Je leur tends une cuillère et je leur dis “it’s a flower” » (« c’est une fleur »). Parfois, c’est elle qui sourit. « L’autre jour, je vois un jeune frigorifié, je lui dis “you’re cold” » (« tu as froid »), il me répond “non, je suis afghan” ». Le regard de Claire est rieur puis redevient sérieux. « Hier, on a distribué dans une croûte de boue, c’est là-dedans que les gens vivent. » Loon-Plage est l’unique lieu de distribution autorisé par le sous-préfet. Les bénévoles rencontrés sont unanimes, s’ils sont là, c’est pour pallier les manquements de l’Etat.
En lutte pour les droits des personnes exilées
Pierre, le visage émacié, se dit sensible à la situation des exilés. Ce paysan boulanger de 63 ans a quitté le Tarn pour le Nord en 2021. Il se rend au camp le soir, une fois les associations parties, pour aider ceux qui ne sont pas sortis de la journée, « les plus démunis », selon lui. Il sillonne la région pour récupérer des palettes, des couvertures ou des habits qu’il stocke dans son camion. Huit mois après son arrivée, il avoue qu’il lui arrive parfois de pleurer d’impuissance. « J’ai vu des femmes manger accroupies dans la boue », se désole-t-il. Lors des évacuations, aux côtés des migrants, il s’oppose aux forces de l’ordre, qu’il juge « de plus en plus répressives ».
En novembre 2023, face à l’absence d’eau potable et pour protester contre la saisie de son camion par le sous-préfet, il entame une grève de la faim qu’il arrête au quarantième jour. Des œdèmes sur les jambes et 10 kilos en moins. A la clé, une maigre victoire : un point d’eau a été installé. « On donne ça aux animaux », soupire-t-il, montrant la photo d’un abreuvoir. Régine, 80 ans, et Christian, 79 ans, tous deux retraités de l’enseignement, se sont connus il y a des années. Puis ils se sont perdus de vue, avant d’être de nouveau réunis grâce à la Cimade, association de défense des droits des personnes migrantes.
Un repère dans le dédale administratif
Le duo assure une permanence juridique tous les jeudis après-midi. Obligations de quitter le territoire, titres de séjour, droit d’asile… les dossiers défilent. Après sept années de bénévolat, ils en ont, des histoires à raconter ! « La préfecture a refusé de renouveller le titre de séjour d’un Marocain de 88 ans, appelé par la France dans les années 1970 pour venir y travailler ! », raconte Régine. Si elle se décrit comme plutôt directive, Christian, lui, est plus dans la rondeur : « On se complète bien. » Leur action n’est pas toujours gratifiante : « On ne sait généralement pas comment se terminent les dossiers que l’on essaie de faire avancer… » Sauf une fois, où un Pakistanais, qu’ils avaient aidé à bénéficier du rapprochement familial, est revenu les voir avec sa femme et ses enfants. Une anecdote qui fait chaud au cœur.
Texte : Emmanuelle Milon – Photos : Cyril Catalan