Reportage à la maison paroissiale de l’église du 11e arrondissement où soupe chaude, Vincent Cassel et solidarité sont au menu.
« Qui c’est qui m’a volé ma chaise ? C’est pas possible ça ! » Dans la cuisine de la maison paroissiale de l’église Saint-Ambroise, Bébert s’énerve. Chaque soir, pendant la saison hivernale, 120 bénévoles organisent à tour de rôle les « hivers solidaires » qui permettent à cinq sans-abri de profiter d’un repas et d’une nuit de sommeil – un programme mis en place par le diocèse de Paris depuis seize ans. Comme Bébert, à la fois « accueilli » et bénévole, qui vient ici depuis 2016. Aujourd’hui c’est Stéphane, ingénieur dans les énergies nouvelles, qui est responsable de la soirée. Ce bénévole « veilleur » restera dormir sur place, comme tous les jeudis : « C’est important de revenir régulièrement pour créer du lien avec les personnes accueillies. »
19 heures, on s’active en cuisine. Gabrielle, Aliha, Seoma et Alice, élèves de seconde dans un lycée privé catholique, se chargent des chips et de la salade. À leurs côtés, leur professeure, Mme Tranchant, s’occupe du thon pour les rillettes. « Un vrai travail d’équipe », déclare-t-elle. Dans la grande salle principale, Patrice prépare son lit contre le mur, près de celui de Bébert. Il est rejoint par Eude, puis Nicolas, eux aussi sans-abri. Nicolas pose son sac bleu Ikea au fond de la salle. Les hommes, en silence, enveloppent de plaids et de draps les lits d’appoint pliables. « Salut Nicolas ! Comment tu vas ? Ça va mieux les dents ? » Stéphane enchaîne les allers-retours entre la cuisine et la salle principale. Il dresse la table, pose minutieusement les bols à soupe dans les assiettes. « On est nombreux ce soir c’est la fête », dit-il en souriant.
Les brocolis ont des neurones
Derrière les fourneaux, Bébert, les manches de son gilet bleu pâle retroussées, remue la soupe. Les premières entrées arrivent sur la table, Eude et Nicolas viennent donner un coup de main en cuisine. Patrice, le teint rouge et le visage creusé, attend seul au bout de la table. Le dé du bénédicité, sur les faces duquel sont inscrits des noms de prières, est jeté. Il tombe sur le Notre Père. On le prononce avant de commencer le repas. « Qui veut distribuer la soupe ? » Nicolas se propose, puis le silence se réinstalle. Stéphane le brise, et le débat s’anime, des sourires se dessinent sur les visages : il a assuré que les brocolis avaient des neurones ! « Pfff, n’importe quoi ! » On apporte les quiches, la salade, le fromage, qu’on se passe de mains en mains.
Nicolas prend la parole et raconte, non sans fierté, ses déménagements de maisons de stars. « Vincent Cassel, c’était carrément tout l’immeuble qu’il avait ! Et Verratti, lui, des dizaines de dressings remplis de costumes… » Il parle de son adolescence aux Lilas, montre des photos de ses filles sur son téléphone. Eude et Patrice, moins loquaces, répondent timidement d’un hochement de tête quand on leur propose de se resservir. À 22 heures, après un jeu de société, c’est l’extinction des feux. Stéphane se couche avec les hôtes de la maison paroissiale. Demain, le réveil sonnera à 7 heures.
Texte : Jérémie Maillet – Photos : Lucas Pialot