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Au quai Branly, des toiles éthiopiennes décrochées et une histoire à déconstruire

Les équipes de la conservation-restauration des oeuvres du musée du Quai Branly - Jacques Chirac en plein travail de dégrafage de la toile éthiopienne de l'église d'Abba Antonios de Gondar.

En mai dernier, plusieurs peintures du XVIIe siècle ont dû être retirées des collections du musée du quai Branly pour des raisons de conservation. Installées depuis l’ouverture du musée, ces toiles d’origine éthiopienne vont bientôt céder leur place à un ensemble de neuf peintures récemment restaurées. Une occasion de s’interroger sur la spoliation des biens culturels à l’époque coloniale.

Lundi 15 mai, 9 h 30, jour de fermeture au musée du quai Branly – Jacques Chirac. À l’étage des collections permanentes, c’est l’effervescence. Une dizaine de personnes s’affairent autour d’un châssis posé au sol. Une peinture monumentale de près de six mètres de long est en cours de démontage. Prochaine destination ? Morangis, siège des réserves du musée. 

Les équipes de la conservation-restauration des collections du musée du quai Branly - Jacques Chirac retirent les agrafes d'une toile éthiopienne en cours de démontage. Lundi 15 mai 2023.
Musée du quai Branly. Démontage de la peinture éthiopienne « Rois et Prophètes » originaire de l’église Abba Antonios de Gondar. Jeudi 15 mai 2023 © D.R.

Exposée depuis 2006, la toile du XVIIe siècle originaire de l’église Abba Antonios à Gondar, en Éthiopie, vit ses derniers moments dans la lumière. Le tableau, où figurent quatre rois de l’Ancien Testament – David, Salomon, Ézéchias et Josias – ainsi que quinze prophètes, est retiré pour des raisons de conservation préventive. L’objectif ? Anticiper les risques d’altération dont il pourrait souffrir. Trois autres peintures doivent suivre le même chemin vers l’ombre. Retour sur cette délicate opération de démontage.

Du troc ?

Ces peintures, exposées depuis l’ouverture du musée en 2006, sont originaires d’Éthiopie. Elles ont été saisies en 1932 lors de l’expédition scientifique Dakar-Djibouti. 

À son arrivée à Gondar, au nord-ouest du pays, le chef de mission, Marcel Griaule, découvre l’église en ruine d’Abba Antonios et négocie avec le clergé la réfection du bâtiment ainsi que l’échange des peintures du XVIIe siècle contre des copies qui sont réalisées sur place par le peintre Gaston-Louis Roux. 

C’est probablement la bonne tenue de ces dernières – exécutées à l’huile, une technique louée pour sa résistance aux intempéries – qui décide les religieux d’Abba Antonios de laisser Marcel Griaule et son équipe enlever les originaux. 60 m2 de toile seront ainsi démarouflés des murs de l’église. 

La rotation d’œuvres : un travail d’équipe

Caisses en bois, rouleaux de papier bulle, outils jonchant le sol… Un véritable chantier prend place autour de la boîte n° 29. Dans ce recoin du musée à l’extrémité des collections d’Afrique, les équipes de la conservation-restauration, genoux au sol, dévissent un pan de polycarbonate protégeant la toile de la poussière et des manipulations. 

Autour d’Elsa Debiesse, chargée de la conservation-restauration, d’Anaïs Leclercq, restauratrice, de Camille Antarieu et de Pierre-Alexis Kimmel, régisseurs, une équipe de petites mains s’attèle au dégrafage de la toile. Une centaine d’attaches à retirer, une par une : « On ne pensait pas qu’il y en aurait autant ! » L’opération terminée, ce sera au personnel de l’entreprise LP Art, spécialisée dans le transport d’œuvres, d’empaqueter le tout sur un mandrin créé sur mesure, et de l’acheminer vers les réserves du musée. 

Des collections permanentes à durée limitée

Si elles font partie des collections permanentes, certaines œuvres, comme celles qui sont composées de matières organiques, ont une durée d’exposition limitée. C’est le cas de ces fresques éthiopiennes réalisées à la cire, sensibles à la lumière et à l’humidité. 

Elles seront remplacées par un ensemble de neuf peintures récemment restaurées et jamais exposées, issues de la même église Abba Antonios, ce qui témoigne de l’ampleur de la saisie d’œuvres en Afrique par la France coloniale. 

La mission Dakar-Djibouti : un pillage scientifiquement organisé

Ces peintures ont été collectées lors de la mission Dakar-Djibouti de 1931-1933, une expédition de vingt mois menée par l’ethnologue Marcel Griaule afin de rassembler des objets du quotidien de diverses cultures du continent africain. Ont été parcourus 20 000 km, pour rapporter 3 600 objets afin d’assurer « l’urgence de sauvegarder les traces de cultures qui disparaissent au contact des colons et du monde moderne », selon les mots de Marcel Griaule. Près d’un siècle plus tard, la mission a tout d’un pillage organisé. 

À l’heure de la restitution des œuvres aux pays africains, cet indécent butin et l’histoire de cette mission font l’objet d’une enquête collaborative menée par le musée du quai Branly. Une mise en lumière qui sera au cœur d’une exposition en 2025. 

Des collections passées au crible

Le projet d’étude « Mission Dakar Djibouti, une contre-enquête » vise à croiser les regards sur l’histoire de la mission qui a marqué l’histoire de l’anthropologie française. Son objectif : retracer la provenance des saisies effectuées entre 1931 et 1933, avec l’aide d’une dizaine de musées africains. 

Plus de 3 000 objets, des milliers de photographies et d’enregistrements sonores sont ainsi en cours d’analyse. Ces travaux permettront de réexaminer l’histoire et les circonstances de cette mission et de pointer les objets collectés dans des conditions problématiques. Une liste qui aboutira, sans nul doute, à de nouvelles restitutions. 

Pour en savoir plus sur les enjeux de la conservation préventive, retrouvez en images l’interview de Fabrice Sauvagnargues, professionnel du musée du quai Branly – Jacques Chirac.

Texte : ACL – Photo : D.R.