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Se faire stériliser, « en femme forte et indépendante »

Leila, Paris, mars 2023

À 23 et 26 ans, Artoise et Leila ont décidé de se faire stériliser, certaines de ne jamais vouloir d’enfant. Irréversible, cet acte radical est vécu par ces jeunes femmes comme une libération.

« Depuis cette opération, j’ai le sentiment d’être plus complète, que mon corps est comme il doit être. » Leila Amara, 26 ans, est assise dans un café du 20e arrondissement de Paris. Il y a un an, elle a choisi la stérilisation. Depuis 2001, cette méthode de contraception définitive est autorisée en France, tout comme la vasectomie, son pendant masculin.

Une peur panique de tomber enceinte

« J’ai toujours su que je n’aurai pas d’enfant », poursuit la jeune femme d’une voix calme. À la puberté, quand elle a pris conscience que son corps pouvait accueillir un être, ce corps est devenu un « danger ». Aujourd’hui secrétaire médicale dans un centre d’addictologie, elle étudie en parallèle la psychologie. Son angoisse de tomber enceinte l’empêchait d’avoir des rapports sexuels. 

« C’était irrationnel. Je pensais : “Je n’ai touché personne mais demain, je suis enceinte.” Cette peur pathologique de la grossesse et de l’accouchement, appelée tocophobie, pourrait venir du fait que l’interruption volontaire de grossesse (IVG) est interdite en Algérie, son pays d’origine. Que l’avortement ne soit pas partout un droit acquis est pour elle « une menace qu’il faut gérer ». Sûre de ne vouloir ni traitement hormonal ni stérilet, elle s’est renseignée sur la stérilisation dès ses 20 ans.

Sa mère, compréhensive, ne lui a rien objecté. Mais auprès des amis ou des membres de la famille qui avançaient son jeune âge, ou louaient les joies de la maternité, Leila a dû s’expliquer :

« Élever un enfant, c’est honorable, mais ça nécessite beaucoup plus de patience, de moyens, d’envie que je n’en ai. »

Leila Amara (26 ans)

Se faire stériliser pour vivre libre

Après l’opération, Leila a entamé une relation avec un homme. Parce qu’elle était certaine de ne plus pouvoir concevoir un enfant, sa sexualité s’est développée. « Je me suis sentie libérée quand mon vaginisme a disparu », confie-t-elle. Cette contraction involontaire du périnée rendait douloureuse ou impossible la pénétration. « Maintenant, mon corps et mon esprit sont en accord. »

Artoise, Paris, février 2023

Pour Artoise Bastelica, opérée il y a quelques mois à 23 ans, « c’est une libération de ne plus avoir à se poser la question de la contraception ». Il y a deux ans, la journaliste et streameuse féministe recherchait une solution plus radicale que la pilule et le stérilet. Elle apprend l’existence de la stérilisation par un Tweet, puis une vidéo. « Je savais que je n’aurais jamais d’enfant, donc ça m’a parlé. » L’été dernier, l’annulation par la Cour suprême américaine de l’arrêté « Roe v. Wade » qui autorisait les femmes à avorter, l’a renforcée dans son choix.

« J’ai pris cette décision seule, en femme forte et indépendante », assure Artoise. Face à ceux qui veulent la faire changer d’avis, elle dit avoir encore plus la « niaque  » aujourd’hui. Très déterminée, elle est soutenue par ses amis et son copain. Sa mère, un peu choquée au début, est maintenant « fière de dire que sa fille est stérilisée ». « Ma mère s’est sacrifiée pour ses enfants, dit-elle. Je lui en serai toujours reconnaissante. Mais moi, je ne pourrai jamais. » Le désir d’indépendance ne va en effet pas de pair avec le fait d’avoir des enfants.

Remise en cause des injonctions à la maternité

« Ça me révolte qu’on présente la maternité comme quelque chose de romantisé et d’idyllique, dit-elle. Sans parler des aspects négatifs, sociaux et psychologiques. » Désormais « libérée de cette charge mentale et sociale », Artoise n’est pas la seule à remettre en cause les injonctions à la maternité. Un sondage mené en septembre 2022 par le journal Elle en partenariat avec l’Ifop (Institut français d’opinion publique) montre que 30 % des femmes en âge de procréer en France ne veulent pas d’enfants. La moitié des sondées considère que la maternité n’est pas un passage obligé pour leur épanouissement personnel.

Artoise, février 2023

Si le non désir d’enfants s’affirme, seules 26 000 femmes ont recours chaque année à une stérilisation tubaire en France, selon l’Assurance maladie. Au total, 4 % des Françaises sont stérilisées, contre 19 % aux États-Unis, et 8 % en Belgique et au Royaume-Uni.

Malgré la loi, une pratique stigmatisée

Cette faible proportion s’explique en partie par le rejet de la stérilisation volontaire, encore largement stigmatisée dans le pays. Surtout lorsque les femmes sont jeunes et nullipares [n’ayant jamais accouché]. Toute personne majeure, quel que soit son statut marital ou le nombre de ses enfants, y a pourtant droit, mais les femmes sont confrontées à de nombreuses résistances.

Au nom de la clause de conscience, un médecin a par exemple le droit de refuser de pratiquer l’acte médical et doit orienter la patiente vers un confrère. Ce qui ne se vérifie pas toujours dans la pratique. « Après 2001, beaucoup de gynécologues s’y refusaient, au prétexte que les femmes allaient le regretter et culpabiliser », explique le docteur Martin Winckler qui a exercé en France jusqu’en 2008 avant de s’installer au Canada. « Ce qui est faux. Le taux de regret est de 3 à 4 %. » En cause selon lui : le sexisme et le paternalisme médical, très présents en France.

Des stratégies pour contrer les refus 

En 2014, Martin Winckler a créé la liste « Stérilisation volontaire » pour regrouper les praticiens qui acceptaient d’opérer. Cet annuaire est aujourd’hui alimenté par un groupe Facebook du même nom. Il s’inscrit dans un mouvement de  solidarité permettant de pallier le manque d’information et surmonter les obstacles.

Leila, Paris, mars 2023

Ainsi, Leila, lors de son premier rendez-vous avec la gynécologue trouvée dans l’annuaire, a menti pour n’essuyer aucun refus : « Je sentais que je devais convaincre, j’avais prévu tous les pièges possibles. Les témoignages sur les réseaux sociaux m’ont aidée. » Elle a dit avoir un copain, avoir essayé toutes les contraceptions possibles et avoir déjà avorté. La gynécologue n’a pas essayé de la dissuader. Une consultation est fixée quatre mois plus tard, la loi imposant ce délai de réflexion. Lors du second rendez-vous, une date pour l’opération – d’une durée d’une demi-heure sous anesthésie générale – est convenue.

La radicalité d’un tel choix fait-elle peur à Artoise ? Pas vraiment.

« Tous les jours, on fait des choix irréversibles. Avoir un enfant, c’est aussi radical. »

Artoise Bastelica (23 ans)

Le docteur Winckler, engagé pour que cette contraception définitive soit davantage acceptée et accessible, invite à décentrer le regard. Au Canada, il n’y a « aucune restriction » à la stérilisation. En France, dans les années 1990, la pose d’un stérilet chez une femme nullipare était considérée comme « radicale ». Ce n’est plus le cas aujourd’hui. L’avenir nous dira si la stérilisation suivra la même évolution.

1. Ovaires 2. Trompes de Fallope 3. Utérus 4. Vagin

La stérilisation tubaire est une méthode de contraception définitive. Il s’agit de fermer les trompes pour empêcher la rencontre des gamètes (ovule et spermatozoïde) et ainsi la fécondation. Il n’y a aucun effet sur les hormones et le cycle.

La ligature des trompes est-elle irréversible ?

« Cet acte est définitif car les femmes stérilisées ne tomberont pas enceinte sans une intervention médicale. Mais la ligature des trompes est réversible de deux manières. Par une opération chirurgicale qui consiste à reperméabiliser les trompes après avoir coupé le bout de trompe sectionné. Le taux de chance est lié au taux de fécondité et dépend donc de l’âge. En moyenne, il est de 50%. Il est aussi possible de faire une fécondation in vitro (FIV). J’indique toujours ces options aux femmes qui veulent se faire stériliser car il y a un droit au remords. »

Dr Bernard Cavalie – Gynécologue en Haute et Garonne.

Texte : Perrine Kempf – Photographe : Claire Corrion