Didier Méreau pratique le sport, mais de manière déraisonnable. Il s’exerce des heures chaque jour, jusqu’à n’en plus pouvoir, jusqu’à la rupture. Au point que ses entraînements intenses, accompagnés de comportements alimentaires compulsifs, mettent aujourd’hui en danger sa vie de famille. Cette course à la performance doublée d’un dérèglement de l’image corporelle s’apparente à une addiction : la bigorexie.
Presque cachée aux yeux du public, une salle de musculation se trouve sous les gradins du stade d’athlétisme Charles Auray à Pantin, en Seine-Saint-Denis. Les haltères et machines de musculation sont usées par le temps, l’éclairage faible pourrait laisser croire que la salle est abandonnée. Pourtant, imperturbable et respirant puissamment, Didier Méreau, 55 ans, est en pleine séance de Crossfit. Il alterne exercices avec haltères et poids de corps. La musique de son téléphone rythme son entrainement et chaque pause après un effort est chronométrée : pas une seule ne doit durer plus de 30 secondes.
La recherche de la douleur et de l’échec
Si Didier Méreau n’a pas sa séance de Crossfit d’une heure dans la journée il ne se sent pas bien : « Je culpabilise. Je ressens le manque, c’est une drogue et j’en ai besoin ». Le Crossfit est réputé pour être une pratique sportive très intense, qui alterne renforcement musculaire et exercices de cardio. Idéal pour ce quinquagénaire jusqu’au-boutiste : « Avec le CrossFit, on va jusqu’à vomir, précise-t-il. Il faut repousser ses limites. Le but est de se mettre mal, c’est en cela que je suis addict. »
Depuis 30 ans, Didier Méreau recherche dans le sport la douleur et l’échec. Pour lui, le simple fait de compter ses mouvements lors d’un exercice de musculation est inutile. Il faut aller « au bout, jusqu’à ne plus pouvoir ». Blessé aux lombaires pour avoir porté une charge trop lourde lors d’une séance de sport, il est aujourd’hui suivi par un ostéopathe. Mais cette blessure ne l’empêche nullement de poursuivre sa routine sportive.
Diagnostiqué dyslexique à l’adolescence, Didier Méreau voit dans le sport une manière de se démarquer de ses camarades. « C’était pour moi le seul moyen d’exister à l’école. C’était quand je faisais du sport que je me sentais vivant et c’est encore le cas aujourd’hui. »
Comportement alimentaire extrême
Cette addiction à l’effort se renforce à la vingtaine. À 25 ans, Didier Méreau pratiquait le vélo de route. Entrainements tous les jours sans exception et compétition chaque week-end. Dans cette discipline également, il flirtait délibérément avec ses limites à chaque compétition : « Une fois que je ressentais la brûlure dans mon muscle, je savais que je me donnais à fond, c’était hyper appréciable. » Et après chaque compétition, il repartait s’entrainer. « J’étais en surentrainement, mais j’étais persuadé que cela m’aiderait à améliorer mes performances. »
Dix ans plus tard, le cycliste passe au bodybuilding. Il enchaine les compétitions de culturisme et remporte le titre de vice-champion d’Ile de France dans sa catégorie, après trois ans de pratique. La volonté de sculpter son corps s’accompagne d’un changement radical de ses habitudes alimentaires. « Je me levais la nuit pour manger, pour prendre du poids. J’ai fait plusieurs hypoglycémies, mais c’était programmé ». En l’espace de six mois, il passe de 59 à 81 kilos de masse corporelle.
Mais aujourd’hui, finie la boulimie. Didier Méreau est devenu adepte du jeûne intermittent, il se contente d’un repas par jour. Cet unique repas se compose de légumes de saison et de protéines animales, viande blanche ou rouge. Le reste de la journée, le sportif s’hydrate exclusivement, déclarant qu’il ne ressent « pas de sensation de faim. » Pour préparer son repas, il utilise un logiciel sur son ordinateur qui lui permet de gérer ses portions et de mesurer chaque calorie une par une. Un régime strict qu’il justifie en prenant comme exemple le mode de vie des premiers hommes. Selon lui : « À la préhistoire, on partait chasser le ventre vide. Il est donc logique pour moi de calquer ce mode de vie au mien, nos gènes ont très peu changé ».
Bigorexie, la maladie du sport
L’addiction au sport, la bigorexie est reconnue comme une maladie depuis 2011 par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Les individus souffrant de dépendance à l’effort font état de souffrances quasi identiques à une addiction dite classique avec apparition d’état dépressif en cas de sevrage, comportements jusqu’au-boutiste occasionnant des blessures graves voire irréversibles, souffrances sociales avec un délaissement de la vie familiale et professionnelle pouvant entraîner divorce, perte d’emploi, rétrécissement du cercle des amis. Pour le docteur Dan Véléa, spécialiste en bigorexie, « on ne peut pas parler de cette nouvelle addiction sans faire référence au dopage. Cette addiction est souvent répandue parmi la population de sportifs addicts et doit être comprise dans le contexte de la course à la performance et à l’image corporelle ».
Des répercussions dans sa vie de famille
Didier Méreau est aussi marié et père de trois enfants. Sa dévotion au sport a été source de tensions dans sa famille. « Quand je pars dans les extrêmes, c’est forcément compliqué pour l’autre, donc il faut que ma femme l’accepte. Je ne peux pas me changer, je suis comme ça. » En vacances, il vérifie toujours s’il n’y a pas une salle de sport proche de son hébergement. L’activité physique et les restrictions alimentaires rythment ses journées, aux dépens de son couple. « Ma femme me reproche de ne penser qu’à ça, elle me dit que les repas sont essentiels sinon mon corps ne suit pas ».
Dans ces moments de tension, il cherche des compromis : « Je me fais à manger mais en compensation je fais aussi à manger à ma femme. » Plus grave, son obsession a aussi « tué les relations père-fils », selon ses dires. À force de pousser ses trois garçons à faire du sport, le père de famille s’était progressivement transformé en coach sportif. « J’avais des ambitions pour eux. J’étais dans l’erreur, je les ai poussés à bout. Ils n’étaient pas prêts. »
Texte : François Bourlier – Photos : Rudy Ouazene