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Dans la forêt de Hambach, Orion l’activiste face au géant minier RWE

23.02.2023, Allemagne, aux abord de la mine d'extraction de lignite gérée par l'entreprise  RWE. La mine Hambach fait 45Km2 sur 400m de profondeur. La machine est une excavatrice : Baguer 293 mesurant 240 mètres de long sur 96 mètres de haut. ©PaulineFournier

Orion s’est installé en 2017 dans la forêt de Hambach, à côté de l’immense mine de lignite exploitée par RWE, deuxième fournisseur d’énergie allemand. Face à l’inaction des pouvoirs publics et à la répression des forces de l’ordre, Orion et ses amis activistes écologistes se disent contraints de se radicaliser.

« Ici, tout est pollué, tout se meurt, les sols, l’air, la terre, les plantes, les animaux, les hommes. Il faut imaginer ici, 60 villages, 4500 hectares de forêts vieilles de plusieurs millénaires et des dizaines de milliers de familles. C’était il y a à peine vingt ans. » Orion*, activiste écologique de 24 ans, contemple le « Mordor », un cratère de 45 kilomètres carrés pour 400 mètres de haut. En contrebas, les « Bagger », parmi les plus grands véhicules sur chenilles au monde -240 mètres de long pour 96 mètres de haut- s’activent jour et nuit pour extraire le minerai exploité par la Rheinisch-Westfälisches Elektrizitätswerk (RWE-Power AG). Cette immense fosse brune, inhabitable, est reliée par un train qui achemine le charbon vers quatre centrales qui crachent une fumée blanche.

En janvier 2023, les images de Greta Thunberg et d’autres manifestants interpelés par la police sur le site Garzweiler à Lützerath, dans l’ouest de l’Allemagne, ont fait le tour du monde. En créant un mouvement de contestation par-delà les frontières allemandes, la lutte contre les mines à ciel ouvert est devenue le symbole de l’opposition aux énergies fossiles. 

24.02.2023, campement d’activistes, forêt de Keyenberg, aux abords de la mine Garzweiler II. Photos jetées à terre par les habitants du village. ©PaulineFournier

Autour des trois mines situées dans l’Ouest de l’Allemagne, Hambach mais aussi Garzweiler I et II, quelque 1700 millions de tonnes de lignite dorment encore sous des villages, les forêts, les champs et les routes. « Avec les accords actuels, ce cratère atteindra 85 kilomètres carrés en 2030  », anticipe le jeune homme, qui ne croit pas aux promesses du conglomérat de s’engager dans la transition énergétique.

Il faut reconnaître que la politique du gouvernement est peu lisible sur ce dossier, entre volonté d’assurer la sécurité énergétique du pays d’une part, et promesse de revenir sur la politique de sortie du nucléaire faite par le gouvernement Merkel en 2011.

Survivalisme et radicalisation

Oméga dans un campement près de la mine de Hambach. ©PaulineFournier

À quelques kilomètres de la mine de Hambach, près de Manheim, Orion occupe une ZAD au milieu des arbres avec d’autres militants. Le lieu est propre, bien entretenu. Les activistes ont installé leur camp sur le terrain d’Ursula*, qui leur en a laissé l’usufruit et leur fournit des vivres. A l’âge de 98 ans, Ursula a refusé d’être expropriée. Cette « première résistante », comme l’appelle Orion, est devenue la mascotte des activistes.

La règle de vie du camp : être responsable de soi-même et ne dépendre de personne. Tout ici est partagé et l’on vit de peu, apprenant à tout faire par soi-même. Le minimum est là : cuisine au gaz, salle d’eau chauffée au bois, toilettes sèches, récupérateur d’eau de pluie, pas d’électricité à part quelques panneaux solaires pour les recharges de téléphones et d’ordinateurs. Comme d’autres, Orion est devenu végane, jeûnant un jour par semaine. Son hygiène de vie est rigoureuse, presque monacale : « La relation à la nature et au vivant est essentielle », estime-t-il. 

En 2017, Orion est venu à Hambach participer à une manifestation pacifique. Il a eu un choc en découvrant ces terres ravagées. Sans ce détonateur, il aurait sans doute continué à mener une vie paisible, insouciante, dénuée de passion politique. Mais après cela, tout retour à une vie normale lui était impossible. Il a alors entrepris de suivre un stage de survivalisme pour apprendre la mécanique, le bricolage, et la survie dans des conditions extrêmes.

Son visage d’enfant se voile lorsqu’il évoque ces six années de colère et de frustrations. L’inaction des gouvernements successifs, le mépris de RWE ou les interventions brutales de la police l’ont progressivement poussé à des actions de plus en plus subversives. Il est monté sur les « Bagger », s’est allongé sous leurs dents, s’est caché dans des wagons qui l’ont emmené au cœur des réacteurs des centrales. Des actes risqués qui ont engendré des plaintes de RWE, puis des condamnations.

La mort accidentelle d’un militant

Un campement dans une forêt aux abords de la mine Garzweiler II. ©PaulineFournier

Une nuit, un des campements a été incendié. La police, présente sur place, n’a porté aucun secours aux familles qui vivaient sur place. Quelques jours plus tard, le 19 septembre 2018, lors d’une évacuation du campement de la forêt de Hambach par les forces de l’ordre, Steffen M., qui se présentait comme « artiste, metteur en scène et journaliste », fait une chute mortelle d’un arbre. Il couvrait l’assaut des 3500 policiers. « À partir de la mort de Steffen les choses ont vraiment dégénéré. Les actes de sabotage sont devenus de plus en plus violents, comme incendier les « Bagger », les camions, les houillères et les wagons pleins de combustible. » Cassiopée*, un autre membre de la communauté s’insurge : « Mais qui est le plus violent ? Nous, avec notre sabotage de matériel, ou eux, qui détruisent villages, exploitations agricoles, monuments historiques, forêts et expropriant des familles ? Comment rester pacifique face à ça ?»

Le village fantôme de Manheim, aux abords de la mine d’Hambach. Les fenêtres des maisons sont murées pour éviter les squats. ©PaulineFournier
L’église de Manheim est encore debout. ©PaulineFournier

À un kilomètre du site de Hambach, la ville est presque déserte, suite à l’expropriation de ses habitants par la RWE. « Avant 2014, cet endroit comptait 44 000 âmes », confie Orion au beau milieu des terrains vagues où l’on devine d’anciennes maisons rasées et des lampadaires. Quelques maisons encore debout accueillent des réfugiés ukrainiens et syriens. Mais il est impossible de parler à ces réfugiés. Orion assure qu’ils « ont un contrat tacite avec la compagnie, les incitant à éviter notre contact, sous peine d’expulsion ». 

Arrivée il y a peu, cette famille syrienne s’est installée dans le village, comme d’autre réfugiés. ©PaulineFournier
Orion continue de résister à RWE dans un camp proche de la mine de Hambach. ©PaulineFournier

Une ancienne habitante du village de Merzenich-Morschenich, en passe d’être détruit, témoigne que tous les habitants ont été relogés à Morschenich-Neu, une commune à proximité. La ville à peine sortie de terre, se situe entre une centrale à Charbon, des éoliennes et des pylônes de câbles électriques à perte de vue. « Personne n’avait le choix. C’était soit prendre l’argent, soit partir sans rien », précise-t-elle. RWE leur a offert ce bout de terrain, sans charme, perdu au milieu de nulle part. Mais elle regrette d’avoir cédé si vite. Elle n’est plus sûre que l’arrêt des mines, en 2030, ne condamne pas leur maison à la démolition, les fondations sont trop fragilisées. Si c’était à refaire, elle se serait battue aux cotés des écologistes.

« Je ne sais pas ce que veut dire être activiste radical, souligne Orion. Comme d’autres, je n’ai plus confiance dans la politique. Je veux tenter autre chose, une vie plus proche de la nature. » Et si Hambach se solde par un échec ? Orion ne compte pas en rester là. Il ira là où d’autres luttes l’attendent. 

« Terra Nova », la mine d’extraction de lignite gérée par l’entreprise RWE à hambach. ©PaulineFournier

* les prénoms ont été modifiés

Pour les Allemands, les activistes ont eu gain de cause

Jurgen Zürheide journaliste WDR Televisio et correspondant Der Spiegel
©Christophe Vallée

Jürgen Zurheide, correspondant au Spiegel, fait partie des opposants à RWE depuis une vingtaine d’années. Selon lui, la population estime que des concessions ont été obtenues de RWE le mouvement n’est plus soutenu aujourd’hui par la majorité.

« Les politiques d’Angela Merkel ont créé une confusion avec son choix de relancer l’atome, puis de faire marche arrière après Fukushima. Elle a orienté la politique énergétique du pays vers le gaz russe et le charbon, sans développer depuis 20 ans les énergies renouvelables. »

Les événements de violence policières à Lutzerath ont été très mal perçus par la population allemande. C’est ce qui a permis de faire pression sur RWE pour qu’ils signent un accord sur l’arrêt de l’énergie issu du charbon dès 2030. Quelque part, pour la population allemande, les activistes écologistes ont eu gain de cause. Mais 2030 est encore trop loin et l’investissement dans les énergies vertes sont estimé trop lents pour les activistes qui souhaitent un arrêt immédiat et une transition plus rapide dans les énergies renouvelables. Un récent sondage montre que 54% de la population est derrière le gouvernement et 34% estime que les actions des activistes doivent continuer (12% ne se prononcent pas). »

Texte de Christophe Vallée – Photos de Pauline Fournier

https://youtu.be/stSQH7P8ClU