Coups de coude, frappes au sol, étranglements… Légalisés en France depuis 2020, les arts martiaux mixtes, souvent désignés par le sigle anglais MMA (Mixed Martial Arts), offrent des affrontements plus libres que les sports traditionnels. Pour Yohan Salvador, 28 ans, combattant professionnel basé à Toulouse, la légalisation de la pratique ne l’a en rien adoucie.
Depuis une heure, Yohan Salvador et son entraîneur se tordent sur le tatami encore froid, éclairé par la lumière blafarde des néons. « Le genou revient dedans et tu fais ton étranglement », explique Danylson Dematos, ceinture noire et instructeur de jiu-jitsu brésilien. Grâce à lui, Yohan Salvador a pu perfectionner ses techniques de soumission au sol, comme les clés de bras ou du genou. « Magnifique ! », tonne l’instructeur avant de manquer d’air, lorsque le jeune combattant entame son « triangle », un étranglement avec les deux jambes.
À la mi-mars, Yohan Salvador, professionnel en catégorie poids plume, disputera un combat de MMA au Gladiator Fighting Arena (GFA) de Nîmes. Là-bas, aucune frappe au sol n’était permise avant 2020, jusqu’à ce que soit légalisé le MMA. Mais le Toulousain a commencé les combats bien avant que ce sport ne devienne officiel. Il se souvient de ses débuts, lors d’un combat de pancrace, un sport de combat proche du MMA. « Devant la salle, ça sentait la beuh, tu croisais des gars en mobylette. C’était dans une sorte de théâtre au milieu duquel on avait installé un ring. Autour, rien que des mecs de quartier. Un quart d’heure avant mon entrée sur le ring, un organisateur me susurre : “Tu peux mettre les frappes au sol si tu veux.” Or en pancrace, la frappe au sol est proscrite. On savait ce que ça signifiait : on combattrait en MMA. On l’a fait, et j’ai fini par taper [abandonner] sur une clé d’épaule. »
Sur le tatami, Quentin Arola, l’entraîneur de Yohan Salvador, donne un cours à un groupe de débutants. « Là, je peux m’assoir sur son visage. Il ne peut plus bouger. S’il essaie ? On est en MMA, je l’achève », fustige-t-il, avant de mimer des coups de poing dans le ventre du combattant à terre. Le MMA regroupe différentes techniques des arts martiaux traditionnels en s’appuyant sur un cadre réglementaire minimaliste : interdiction de mordre, de crever l’œil ou de frapper son adversaire dans les parties génitales. En revanche, les coups de poing à un adversaire au sol, les coups de coude et les étranglements sont autorisés.« Il n’y a rien de plus ultime que le MMA. Tu veux faire de la lutte, tu fais du judo. Tu veux taper, tu fais de la boxe anglaise. Mais si tu veux savoir te battre réellement, alors tu fais du MMA », déclare Yohan Salvador.
Le MMA : une discipline enfin reconnue
La classe politique s’est longtemps opposée à la légalisation du MMA. Thierry Braillard, ancien secrétaire d’État aux sports, jugeait que la pratique était « une atteinte à la dignité humaine ». Mais en 2020, face aux 30 000 à 50 000 pratiquants estimés en France, l’ancienne ministre des sports, Roxana Maracineanu, a finalement décidé de légaliser la pratique, afin de lui offrir le cadre législatif qui lui manquait.
Depuis la légalisation, les combattants peuvent frapper un adversaire au sol, une composante essentielle du sport. « En lutte au sol, sans frappe autorisée, tu peux t’arrêter sur un mouvement et lever les yeux pour réfléchir. Lors d’un combat MMA, c’est impossible. Une fois au sol, si tu réfléchis, tu te fais frapper. Alors tu luttes avec la peur permanente de te prendre des poings. Ce stress augmente le rythme cardiaque de 15 % », témoigne Mathieu Chaumont, professionnel de MMA lui aussi, assis en kimono bleu au bord du tatami.
Assis sous un sac de frappe, Yohan Salvador se remémore son dernier combat à Bordeaux, en décembre 2022. Beaucoup de travail au sol avant qu’il ne se rue sur son adversaire pour tenter un étranglement. Finalement, il choisira les poings pour tenter de l’achever au sol, un enchaînement interdit en France trois ans auparavant. « Je voyais dans son regard qu’il voulait m’arracher la tête. Ça me faisait plaisir. Je n’étais pas venu pour rien. Dès le face à face, avant le combat, je savais qu’on allait se la donner bien », confie-t-il.
Une pratique mieux encadrée
Ses chaussettes noires tout juste engouffrées dans des tongs flashy, les cheveux collants de transpiration, Yohan Salvador quitte son entraîneur de jiu-jitsu pour rejoindre son cours de lutte avec Quentin Arola, ceinture noire dans la discipline et combattant de MMA. « Franchement, rien ne me manque dans le MMA d’avant la légalisation », lance Yohan Salvador, qui énumère les trajets jusqu’en Belgique pour combattre, les financements difficiles à dénicher, les combats où « il n’y avait même pas une coupe pour le gagnant ».
« Un combattant français démarre sa carrière professionnelle bien mieux préparé qu’avant. »
Yohan Salvador
Désormais il existe une fédération française (la FMMAF) qui finance les combats, « que tu sois en équipe de France de MMA, en amateur ou en professionnel », précise-t-il. Et grâce aux compétitions en France (Arena Goliath à Carcassonne, GFA de Nîmes…), qui autorisent désormais les règles classiques du MMA, « un combattant français démarre sa carrière professionnelle bien mieux préparé qu’avant ».
En 2020, Yohan Salvador a ouvert à Toulouse le Tactical Fight Team, un club entièrement dédié au MMA. En trois ans, il est passé de 20 à 250 licenciés. « Si j’avais 20 ans aujourd’hui, je ferais du MMA. La cage, le public, ça m’aurait fait marrer c’est sûr ! », avoue Guevin, le coach de boxe anglaise de Yohan Salvador. « Au gala de Carcassonne, même les amateurs avaient leur photo sur un écran géant. Alors que la boxe amateur en France, elle est morte ! T’es dans un vieux gymnase, il n’y a personne, c’est vide, t’as juste ta musique pour entrer et basta. »
Devant la salle, Axel Birbès, moustache en guidon et tatouage sur le biceps, fume une cigarette. Dans quatre mois, il combat en Suède en no-rules, un mode de combat à mains nues, dans lequel il n’y a ni règles ni limite de temps. Quand il a démarré le MMA en 2020, c’était pour expérimenter un mode de combat proche du réel. « Le MMA, c’est complet, mais limité à quinze minutes de combat. En no-rules, tu n’as pas de limite de temps. Tu ne sais pas où tu combats – dans un parking ou une cave –, ni sur quelle surface – sur du béton ou de la terre. J’y vais pas parce que j’ai un truc à régler, j’y vais pour rechercher du combat pur. Le MMA, ça se rapproche du réel, mais le no-rules, c’est le réel », résume Axel. « Moi, ça m’aurait branché… un peu », s’amuse Yohan. « Tu ne gagnes pas d’argent et tu perds tes mains. Frapper sur un crâne, c’est dur. »
Texte : Guilhem Bernes – Photos : Emeline Sauser