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À la barre du tribunal, la « revenante » Douha Mounib raconte sa radicalisation

Douha-Mounib-radicalisation

Douha Mounib, 32 ans, a été condamnée début mars à douze ans de prison pour avoir rejoint l’État Islamique à deux reprises. Lors de son procès, elle a présenté sa radicalisation et son départ pour la Syrie comme la seule manière trouvée à l’époque pour se sentir libre. Sans réussir à convaincre la cour de la sincérité de son repentir.

« Après délibération, la cour vous condamne, Madame Mounib, à douze ans de réclusion criminelle. » Dans le box vitré, une silhouette élancée et des cheveux ébène ondulés. Douha Mounib, 32 ans, l’esquisse d’un sourire à l’annonce du verdict. Désormais, elle est fixée sur son sort : « Je m’étais préparée à une peine de plus de dix ans. » Elle avait rejoint l’État islamique à deux reprises . Une première fois en 2013 durant deux mois, puis une seconde fois pour une période d’environ un an et demi, entre 2015 et 2017.

Sur les 1426 français partis rejoindre l’Etat Islamique, un tiers sont des femmes, selon la direction générale de la sécurité intérieur (DGSI). Si un grand nombre d’entre elles partent en Syrie pour suivre leur mari, ce n’est pas le cas de Douha Mounib. Selon ses déclarations, la prévenue a mûrit cette envie seule et s’est entourée, quand il le fallait, mais uniquement pour parvenir à ses fins : atteindre la Syrie, seule ou accompagnée.

Un besoin d’appartenance idéologique

Pour cette « revenante », la relation avec l’État islamique commence en 2013 alors qu’elle a 23 ans. Originaire du sud de la France, elle grandit avec un père marocain musulman et une mère française de confession chrétienne. Lorsqu’elle a 11 ans, sa mère quitte le foyer familial, ne supportant plus la polygamie imposée par son mari depuis dix ans.

Une enfance « difficile » pour Douha Mounib, qui se construit au milieu de ce trio parental aux croyances éclectiques. Selon Monsieur Martin, chargé de l’expertise psychologique de la prévenue et cité comme expert à la barre, cela nourrit chez elle « un problème d’identification ». Elle part ensuite avec son père et sa belle-mère en Tunisie. Elle y sera élevée par cette dernière, son père étant souvent absent pour des raisons professionnelles.

Une auto-propagande express

D’une voix maîtrisée, Douha Mounib raconte. Tout commence à la fin de l’année 2012. Lors d’une soirée, ils discutent de la religion avec des étudiants sages-femmes. Un cursus qu’elle suit depuis trois ans, après l’obtention d’un bac scientifique obtenu avec mention, à Montpellier.

Elle se noie alors dans une multitude de vidéos à la « recherche de réponses ». Elle y découvre la conversion à l’islam et la répression effectuée par le régime de Bachar Al-Assad sur les Syriens. « À part manger, dormir et faire la prière, je ne faisais que ça, je ne pouvais plus m’arrêter. Je me suis auto-propagandisée », exprime-t-elle dans un sourire peu confiant.

Illustration d'une carte représentant la Syrie, l'Irak, l'Arabie Saoudite. La Syrie y est entourée à la main pour montrer que c'est l'objectif à atteindre.
Illustration d’une carte avec la Syrie comme unique objectif pour Douha Mounib

Douha Mounib décide de porter le voile, puis la burka. Elle devra la retirer ensuite à la demande de son père car « les gens parlent au quartier ». Un choix, une nouvelle fois imposé, faisant écho aux paroles de la prévenue lors de l’audition de sa famille . « Ma vie a toujours été contrôlée, personne ne cherchait à savoir ce que je voulais. » avait-elle déclaré à la barre. Cela la conforte dans son « obsession » de partir en Syrie. Notamment pour fuir « l’emprise » de sa belle-mère : « Je sortais très peu, ma belle-mère voulait que je sois moins introvertie, plus féminine. »

La radicalisation comme exutoire

Dans l’environnement imposé par cette dernière et qualifié comme étant « toxique » par Douha Mounib , la religion se dresse pour elle comme « seule réponse » pour atteindre « l’émancipation ». « On m’a toujours dit ce que je devais faire, c’est ma liberté d’être tranchée, j’ai fui pour reprendre ma liberté. » Une volonté qu’elle ne cesse de rappeler : « Mon but, c’était d’aller là-bas pour aider les gens par n’importe quel moyen, en soignant ou en combattant. » Des termes ayant une connotation forte.

Selon la cour et l’expert, ils sont motivés par des motifs narcissiques : « Par cette volonté d’agir, elle cherche à se mettre en avant dans ses actes envers les autres, à avoir sa place. » Des propos que Maître Joseph Hazan, avocat de la défense, reprend lors de sa plaidoirie, s’appuyant sur des déclarations de la prévenue. « La religion lui permet de prendre une place qu’elle n’arrivait pas à prendre auparavant. Elle réussit à tenir tête à sa belle-mère et ressent à ce moment-là une plénitude de libération. »

« Quand j’ai décidé de partir en Syrie, j’ai ressenti un énorme sentiment de liberté. »

Douha Mounib

Rejoindre Daesh coûte que coûte

Douha Mounib arrête ses études et rejoint une première fois la Syrie en septembre 2013 durant plus d’un mois, avec son premier mari. Un Turc rencontré à la frontière où il jouait le rôle de passeur. Elle divorce en 2014, puis rentre en France en mai 2014 pour accoucher, mais l’enfant décédera deux jours plus tard. La jeune femme, désormais âgée de 25 ans, redouble ses efforts pour atteindre son objectif.

En juillet 2015, elle réussit à retourner sur la zone de conflit avec son second mari, Tahar Ben Hachicha, un Tunisien rencontré sur internet, et le fils de ce dernier. Ils séjournent quinze mois à Mossoul (Irak), puis à Raqqa (Syrie), où elle donne naissance à une fille. Ils fuiront tous les quatre les bombardements, à la demande de son mari : « Moi, je ne voulais pas partir. » Avec les enfants, ils gagnent la Turquie, où elle est arrêtée et expulsée vers la France fin 2017.

Une étonnante tentative d’évasion

Le 14 novembre 2021 Douha Mounib fait une tentative d’évasion de la prison de Fresnes, où elle était incarcérée depuis quatre ans. Après avoir creusé le mur de sa cellule, à l’aide d’une cuillère et d’un couteau, elle descend au pied du bâtiment grâce à une corde de fortune, composée de draps et d’effets personnels et parvient à escalader le mur d’enceinte avant d’être interpellée. « Je voulais récupérer ma fille » justifie la prévenue questionnée à ce sujet. Un évènement qui fera pencher la balance à l’annonce du verdict : « Il y a une évolution mais il a été difficile pour nous d’apprécier objectivement la sincérité de cette évolution, on ne dit pas qu’elle n’existe pas, mais par votre comportement, vous avez un peu brouillé les pistes. » Douha Mounib n’était pas jugée pour cette tentative d’évasion qui fera l’objet d’un second procès. 

Des non-dits qui sèment le doute

Sur cette période vécue en zone irako-syrienne, Douha Mounib ne s’épanche pas . « Mon mari était affecté dans une katibat [un bataillon du djihad] et moi, j’aidais des femmes à accoucher clandestinement. » Mais Alexa Dubourg, l’avocate générale, est dubitative : « J’ai du mal à croire que vous n’ayez rien vu des actes commis là-bas. Cela interroge sur votre implication dans le régime de Daesh. » La prévenue, d’ordinaire éloquente, ne fournit pas plus de détails. « Je ne vais pas inventer des choses que je n’ai pas vues. »

Malgré le repentir de Douha Mounib qui admet que ses « pensées étaient trop radicales » et déclare que « cela fait partie de [son] passé », l’avocate générale n’est pas convaincue. Au cours d’une plaidoirie animée de plus d’une heure, elle considère une « prise de conscience insuffisante sur la gravité des actes ». Ainsi qu’une version « édulcorée » qui « minimise » la participation au régime de l’État islamique. Elle avait demandé quatorze ans de réclusion criminelle, assortie d’une période de sûreté des deux tiers. Alexa Dubourg, se questionnant quant à la « sincérité » de ce repentir, avait conclu « qu’elle ne prendrait pas le pari de la croire ».

Texte et photographies : Chloé Bachelet – Illustrations : Julie Kieffer