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De l’art de manier le glaive comme au moyen-âge

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Nés il y a une quinzaine d’années dans le milieu universitaire, les arts martiaux historiques européens combinent à l’études de textes anciens la volonté de comprendre l’origine du geste historique. Deux associations parisiennes, Le chapitre des armes et La salle d’armes, renouvellent la pratique des arts martiaux anciens en optant pour une démarche expérimentale qui réaffirme la volonté de renouveler de façon radicale l’approche des arts martiaux anciens.

« Il n’y a pas de futur sans passé. Si on ne comprend pas son passé, on ne peut pas vivre son présent. »

Pascal Hirsch, Président de la Salle d’armes Ecole Ancienne à Paris

Ce mardi, rue Émilie de la Tour d’Auvergne, l’ambiance est plutôt studieuse tandis que d’équipent les élèves du Chapitre des armes. Plastrons, sur-gants, casque, protège-gorge, veste rembourrée, l’équipement rappelle à s’y méprendre celui des chevaliers de la Table Ronde. Le club rassemble des adeptes des arts martiaux historiques européens (AMHE). L’objectif est de reconstituer, le plus fidèlement possible, des techniques et des systèmes d’arts martiaux à partir de sources historiques. La discipline est née il y a une quinzaine d’années dans le monde universitaire. C’est là qu’Elisa l’a découverte en 2009. « Je connaissais l’existence des AMHE. J’ai donc adhéré au club d’escrime ancienne de l’Ecole Normale Supérieure en tant qu’étudiante extérieure. C’est lui qui a ensuite donné naissance au Chapitre des armes »

Le Wiktenauer est un dictionnaire spécialement dédié à la communauté des arts martiaux trouvés (WMA). Son interface ainsi que son titre rappellent la célèbre encyclopédie Wikipédia. Lancé en 2009, le projet Wiktenauer rassemble chercheurs et praticiens des arts martiaux historiques européens (AMHE) dans le but de collecter les sources primaires et secondaires de la littérature historique consacrée aux arts martiaux européens. De nombreux traités anciens peuvent ainsi être consultés par le public, à l’instar de ceux du maître d’armes italien Fiore Dei Liberi.

L’association fait partie des quelques deux cents clubs d’AMHE répartis sur l’ensemble du territoire. Chacune choisit son approche, en fonction des traités et des armes utilisés. Au Chapitre des armes, les élèves étudient le maniement de l’épée longue en s’inspirant depuis cinq ans du traité La Fior di battaglia de Fiore Dei Liberi, un maître d’armes italien du XVe siècle. « Cela ne veut pas dire qu’il faut cinq ans pour lire le traité », s’exclame Élisa. « Notre compréhension de certaines pièces du traité évoluent au fur et à mesure. Parfois, on s’aperçoit que l’on n’avait pas forcément bien compris une partie du texte ». Depuis cinq ans, le déchiffrement et la lecture du traité est assurée par Adrien, le président du club. Ses interprétations sont ensuite testées par les élèves. « Les AMHE présupposent une certaine réflexion en amont. On interprète un traité à partir duquel on tire des hypothèses. Une partie de notre travail est de les tester à travers la pratique physique. Si, par exemple, à chaque fois que l’on fait un type de parade, celle-ci échoue cela signifie qu’il nous faut revoir notre hypothèse de départ », détaille Élisa.

Élisa Bes, escrimeuse et membre du club d’AMHE (Arts Martiaux Historiques Européens) Le Chapitre des Armes, dans la cours de l’Ecole Normale Superieure, où est né le club. Mars 2023.
Jean-François Gilles, prévôt d’état, chercheur en Histoire de l’Escrime et entraîneur des équipes d’escrime du club La Salle d’Armes à Paris, dans la salle d’entrainement du gymnase Buffault. Mars 2023.

Réfléchir à l’origine du geste historique et à la manière dont celui-ci s’exécute n’échappe pas au risque du dogmatisme. « Au sein des AHME, et pour le schématiser à très grands traits, il y a deux courants », explique Élisa. D’un côté, on distingue la branche historique comprenant ceux qui se focalisent sur l’étude des textes anciens. Ces derniers considèrent qu’il est impossible de reproduire à l’identique les conditions de l’époque. De l’autre, se trouve ceux qui, comme Le Chapitre des armes, appellent à une pratique sportive qui respecte les sources tout en assurant la sécurité des pratiquants. « Le règlement que l’on a créée au club est totalement artificiel par rapport à traité étudié qui servait d’abord à tuer des gens. On n’est pas en train de mener une guerre », rappelle Élisa qui insiste sur la complémentarité entre les deux branches des AMHE.

Insuffler de la réflexion politique dans la pratique sportive

Loin d’être une pratique réservée à quelques geeks férus d’histoire, les AHME pourraient bientôt se retrouver sur les bancs de la faculté. Les AMHE pourraient bientôt être enseigné sur les bancs de la faculté. Un retour aux sources que ne désavoue guère Émeline Baudet, professeure d’histoire-géographie. Cette ancienne normalienne et pratiquante d’AHME continue aujourd’hui de se passionner pour la pratique. Ayant effectué  un master de littérature comparé à partir de la traduction d’un traité de Fiore Dei Liberi, elle enseigne actuellement la littérature médiévale à l’Université Paris-Sorbonne. Cette dernière prévoit de faire un cours sur les AMHE. Selon elle, le sport permet de dépoussiérer un certain nombre de clichés. « On pousse toujours les étudiants à actualiser ce qu’ils font. Cela peut très bien passer par le sport. Les AMHE déconstruisent pas mal d’idées reçues et des préjugés sur le Moyen-âge en apportant un éclairage moderne sur le code chevaleresque ».

Certaines AMHE ont d’ailleurs choisi de se concentrer sur le côté sportif de la discipline. Parmi elles, l’on trouve notamment l’escrime ancienne. Jean-François Gilles, professeur de mathématiques devenu maître d’armes, enseigne ce sport depuis maintenant une dizaine d’année au sein du club d’escrime de la Tour d’Auvergne à Paris. Il s’appuie sur les bases développées par l’escrime pour tester de nouvelles techniques, en introduisant de nouvelles armes comme l’épée. « Je fais de l’escrime avec de nouvelles logiques et des règles différentes de ce qu’on voit dans le sport olympique. Cela me permet d’aborder l’histoire et ne pas être trop figé sur les sources en s’accordant une certaine liberté et de créer un nouveau sport », dit celui qui revendique la nécessité d’une démarche expérimentale en s’affranchissant de l’orthodoxie historique. 

Contrairement aux sports olympiques, dont les règles restent assez peu discutées en vertu de leur ancienneté, selon Thomas Mainguy, ancien normalien à l’origine de la création du club d’escrime ancienne, la relative jeunesse des AMHE constitue sa force. « Le sport ne s’est pas encore fossilisé dans des règles rigides. Ce qui nous permet de proposer des approches radicalement nouvelles en s’émancipant de la tutelle de l’escrime traditionnelle ».

Texte : Bérénice Paul – Photos : Clément Tissot