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Dernière rénovation : de l’écogeste à l’activisme

Étienne et Yaël, de Dernière Rénovation, devant l'Académie du climat à Paris

Ils ont décidé de s’engager pour le climat, au-delà des écogestes du quotidien, en devenant activistes. Mais pourquoi rejoindre Dernière Rénovation, l’association qui s’est illustrée par le blocage de plusieurs routes ces derniers mois ? Alexandre, Yaël, Thibaut et Joséphine répondent.

« Je ne vais pas mourir de vieillesse, et ça me terrifie ! ». Alexandre, 32 ans, chargé de mobilisation Dernière Rénovation, conclut sa présentation des enjeux climatiques avant de passer la parole aux participants. Une vingtaine de « primo-arrivants » assistent à la réunion publique, organisée à l’Académie du climat de Paris, lieu d’accueil principal du mouvement, dont l’agenda s’intensifie sur le territoire avec l’annonce d’un nouveau plan d’actions dès le 15 mars prochain.

Si la nécessité de la rénovation thermique des bâtiments semble de mieux en mieux entendue, les modes d’action de ce nouveau collectif suscitent beaucoup de colère et d’incompréhension. Blocages routiers, interruption d’événements live : la démarche est non violente mais son aspect radical, relayé par des séquences « spectaculaires » avec menottage de militants par la police, continue de cliver. Comment des personnes de la classe moyenne, jeunes ou moins jeunes, en arrivent-elles à s’allonger sur une route face à un camion pour faire valoir leurs idées ?

Une prise de conscience par l’image

Alexandre, ancien directeur dans le e-commerce, a toujours eu « envie d’écologie » même s’il est né et a grandi dans la capitale, au sein d’une famille bourgeoise. À 9 ans, lors d’une sortie scolaire, il est ravi par les avancées écologiques promises pour l’an 2000 : éoliennes, éco-jardins…avant la désillusion. Ce sont les images d’une militante, s’attachant le cou au filet lors d’une demi-finale du tournoi Roland Garros en 2022, qui ont convaincu Alexandre de se mettre en mouvement.

Cette séquence, où le public découvre la jeune Alizée et son tee-shirt indiquant un compte à rebours – en référence au rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) – n’a pas échappé non plus à Thibault, ingénieur depuis trois ans pour une société de conseil dans le quartier de La Défense.

Fils d’une professeure et d’un ingénieur « écolo-boomers », le parisien de 27 ans a toujours été sensible aux questions environnementales et s’est rapidement positionné politiquement, « à gauche », influencé par un grand-père résistant, dont il a le sentiment de poursuivre la mission. Avant un congé sans solde d’un mois pour faire un tour d’Europe à vélo, il tenait à découvrir le mouvement pour lequel il envisage de s’engager dès son retour.

Thibault souhaite rejoindre le groupe et est prêt à participer aux actions – 24/02/23, Paris, à l’Académie du Climat.

« C’est son moment Greenpeace, ça va passer ! »

Yaël, 24 ans, a également choisi son camp, au risque de passer pour le « mouton noir » de sa famille. Parisienne de naissance, elle a grandi dans des « milieux privilégiés » avant de voyager en Europe et en Asie. Ses proches ont peu goûté sa participation au blocage de l’accès au ministère de l’Économie et des finances en novembre dernier, tout comme les heures de garde à vue qui ont suivi.

Si on la raillait souvent adolescente d’un « C’est son moment Greenpeace, ça va passer ! », c’est pourtant son père qui a fait « germer la graine de la curiosité du monde » quand elle était enfant, en lui faisant visionner le documentaire Home de Yann Arthus-Bertrand. Yaël croit fortement à l’aspect éducatif de ces supports : « Comme Demain de Cyril Dion, ils font bien plus pour le climat que les sommets internationaux. »

De concert, Joséphine évoque Demain comme étincelle de son engagement pour « plus de justice sociale ». La jeune femme de 29 ans, originaire de Nancy, est flutiste au sein de l’Orchestre national de France, après une formation classique dans les conservatoires de Rotterdam et de Paris.

« La désobéissance civile comme acte de résistance »


Fille d’une institutrice spécialisée et d’un père monteur vidéo, très tôt sensibilisée à l’écologie et à la permaculture, son engagement s’est d’abord concrétisé dans le secteur associatif. À Toulouse avec l’aide aux migrants et aux SDF, via le dispositif Hiver solidaire, puis à Reims où elle intervient dans des quartiers sensibles, proposant des ateliers musicaux avec Les concerts de poche.

Joséphine, 29 ans, musicienne classique et militante associative va rejoindre Dernière Rénovation – 24/02/23, Paris

C’est une amie musicienne qui accompagne des agriculteurs dans la transition écologique, qui lui a parlé de Dernière Rénovation. Profondément marquée par « l’Affaire du siècle » et la condamnation de l’État français, Joséphine a depuis choisi « la désobéissance civile » comme passage à l’action. Son espoir : une « prise de conscience collective » menant rapidement à une première victoire législative. Cela inscrirait dans la loi la rénovation massive et thermique des bâtiments, revendication – unique et donc identifiable – du mouvement.

Après avoir marché pour le climat, et sur le conseil d’une amie déjà engagée, Yaël s’est aussi rendue à une réunion publique. Elle a vécu ce moment comme une révélation. « J’ai ressenti de suite une similarité, une identité de groupe. J’ai enfin trouvé mes pairs, je suis rassurée sur ma vision de l’avenir (…) Mes batailles étaient égoïstes : un entretien d’embauche était plus important que les passoires thermiques ; je me bats à présent pour quelque chose de plus grand. »

« Niveau éco-anxiété, je me sens beaucoup mieux ! »

Actuellement au chômage, en attendant de reprendre des études en transition écologique, la nouvelle chargée de mobilisation s’est engagée à plein temps auprès de Dernière Rénovation. Yaël redoute malgré tout une rupture brutale avec ses proches si l’incompréhension devait prendre le dessus : « La cérémonie des César, ils ne s’en remettraient pas ! ».

« Il ne faut pas confondre les combats, évidemment, mais nous sommes dans la même nécessité de résistance que nos aînés pendant la Seconde Guerre mondiale », explique Thibault. Il a d’ailleurs fait grève en solo et manifesté lors de tous les défilés parisiens contre la réforme des retraites, le déclic qui lui a donné « envie de militer et s’investir ».

Pour Alexandre aussi, défiler ne suffisait plus. Le végétarien, citoyen exemplaire qui « ne grillait même pas de feu rouge », a depuis délaissé la voiture et lâché son job pour s’engager pleinement sur des actions de blocage, menant droit en garde à vue. Niveau éco-anxiété, il se sent beaucoup mieux !

« La violence est dans le camp adverse »

Thibault a d’abord eu un doute sur le mode opératoire de Dernière Rénovation. Il considère à présent qu’un blocage est une action « simple à mettre en place, avec assez peu de conséquences juridiques et un gros retentissement ». S’il admet aisément que sa démarche nécessite « un effort de pensée », il renvoie le radicalisme à l’immobilisme : « Cela fait quarante ans qu’on réfléchit à ne pas déranger les gens (…) On n’est pas des illuminés : l’inertie doit changer de côté. »

« Nous sommes du côté de l’Histoire et nous tirons l’alarme », martèle Alexandre, qui assume vouloir « perturber par les tous les moyens et pousser le gouvernement à agir » au vu de l’urgence climatique. Rien de radical pour lui mais une « réponse proportionnée ». Rien de politique a priori : « Je ne veux pas renverser le système, ni imposer un dogme idéologique. »

Yaël, 24 ans, devenue chargée de mobilisation pour Dernière Rénovation – 24/02/23, Paris, à l’Académie du climat

Quant à Yaël, si elle se sent radicale, c’est « dans le regard de l’autre ». Boostée par la dynamique des nouvelles arrivées – Dernière Rénovation serait passé, en un an d’existence, d’une poignée à plus de 400 mobilisés – qu’on ne parle pas ici d’écoterrorisme : « C’est une insulte et un très grave amalgame ! On m’associerait aux assaillants du Bataclan alors que je me suis juste assise sur le périph’ ! »

Le temps est compté avant le point de bascule prévu par le GIEC et c’est dans une course contre la montre que sont engagés les militants de Dernière Rénovation. Si les actions prêtent à controverse, Cyril, chargé de mobilisation de 23 ans, persiste : « On n’a jamais rien obtenu en demandant gentiment (…) et l’exemple des Freedom Riders aux USA est inspirant : trois ou quatre personnes peuvent initier un mouvement de grande ampleur. » Puis il signe, en riant : « J’emmerde le gouvernement à plein temps et j’espère être compétent ! », clin d’œil à la déclaration d’Emmanuel Macron à propos des antivax. Après l’avoir interpellé au Salon de l’agriculture, Dernière Rénovation vient de proposer au Président de débattre, en séance publique.

Dernière Rénovation, qui se définit comme une « campagne de résistance civile », est apparue en avril 2022 dans le cadre du réseau international A22. Sans leader ni figure charismatique, le mouvement se distingue par une revendication unique : une loi de rénovation massive et thermique des bâtiments. Prônant la non-violence, leur mode d’action consiste en des blocages routiers et des interruptions d’événements retransmis en direct – Tour de France, Tournoi Roland Garros, Cérémonie des César.

Cyril, 23 ans, lors du blocage du périphérique parisien le 09 novembre 2022 @DR
Il témoigne du procès qui a suivi et des raisons de son engagement à Dernière Rénovation dans le podcast à suivre.
« Les radicalisés sont du côté du gouvernement. Moi je vois juste des des pères et des mères qui essaient de s’approprier leur rôle de citoyen ! »
« J’ai été déféré au tribunal suite au blocage du périphérique parisien en novembre, une semaine après celui de l’Assemblée nationale. »
« Je risquais 4500€ d’amende et deux ans de prison. Dans la décision du juge, j’ai perçu une forme de soutien et beaucoup d’espoir. »

L’action de blocage pour laquelle les militants « DR », dont Cyril (dernier à gauche), ont comparu le 10 janvier 2023 devant le tribunal de Paris.

Texte : Bruno César – Photos : Zoé Perrin