Que le réchauffement climatique soit bel et bien lié à l’activité humaine fait désormais l’objet d’un consensus scientifique au sein du GIEC. Les sceptiques pensent néanmoins que l’opinion publique est victime de propagande. Nous avons tenté de comprendre.
« Ce qui me dérange, c’est la manière dont on utilise le climat. Je fais très attention aux mots et je sais parfaitement que les agences de communication pensent à chaque terme utilisé, chaque image. On est passé du réchauffement climatique, qui est un processus, à l’urgence. » Même s’il reconnaît ne pas maîtriser la complexité des paramètres du climat, Gilles C.*, 57 ans, l’assume, il est « sceptique ». Chez lui, en Seine-et-Marne, à trente minutes de Paris, des tableaux aux couleurs contrastées, un peu ternies, ornent les murs. Tendance art optique en déstructuration cubiste. Mais il ne peint plus depuis longtemps. Autrefois menuisier « par passion », il est aujourd’hui commercial pour les professionnels du bâtiment. Depuis sept ans, il élève seul son fils de 13 ans. Il a donc « un peu fait le deuil de sa vie sociale ».
Un scepticisme né pendant la pandémie de Covid-19
Gilles C. est devenu sceptique vis-à-vis du réchauffement climatique pendant l’épidémie de Covid-19. « Avant, je n’étais pas dans le doute. Je pense que le gouvernement nous a trompé sur le Covid, donc ils peuvent le faire sur tous les sujets, y compris le climat. » Il soupçonne aussi les grands groupes industriels de dissimulation : « On nous dit : “Il faut rationner l’eau.” Et Coca-Cola qui transforme des millions de litres d’eau de bonne qualité ? C’est quand même fou ! »
Tout a commencé pour lui sur Twitter. « Au départ, c’était vraiment pour chercher de l’info. Avant le confinement, j’étais totalement hors réseau », se souvient-il. À l’époque du confinement, Gilles C. habite avec son fils chez sa sœur, à Argenteuil. « Je les voyais hypnotisés par la télé, par les chiffres. Un jour, avec le petit, on est sorti jouer au ballon. J’ai signé une autoattestation, mais on n’a croisé personne. » Pour lui, c’est le déclic : « Ça m’a paru anormal. » Sa sensation d’être infantilisé et manipulé naît de là. Aujourd’hui, Gilles C., alias @Tidiane84101146, compte 4014 abonnés sur Twitter.
De l’antivaxisme climato-scepticisme
Gilles C. n’est pas le seul antivax à avoir basculé vers une dénégation plus globale. Le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) a mené une enquête pendant deux ans concernant les échanges sur Twitter autour de la question du climat. Le rapport publié le 13 février 2023 révèle ainsi qu’environ 30 % des comptes mondiaux, parmi ceux qui s’expriment sur le climat, rejettent les principales conclusions du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). En opposition aux « pro-climat », les auteurs de l’étude prônent l’utilisation du terme « dénialiste » plutôt que sceptique, pour désigner les membres de cette communauté. En effet, douter est une base du travail de recherche des scientifiques. Le rapport montre également que de nombreux comptes climato-dénialistes avaient déjà exprimé une contestation antisystème et antivax pendant la pandémie.
Contrairement à Gilles C., Jacques-Marie Moranne, 78 ans, n’utilise pas les réseaux sociaux, mais se promène sur Internet. Installé au café du BlueGreen, le golf de Rueil-Malmaison, il admet d’emblée que l’élévation de la température et la hausse du gaz carbonique dans l’atmosphère sont des réalités. Son scepticisme « porte sur les effets [du CO2], et non sur les faits ». Comme Gilles C., le septuagénaire conteste principalement le fait que le GIEC se « focalise » uniquement sur l’activité humaine comme cause du dérèglement climatique. Pour les deux hommes, le rejet de CO2 dans l’atmosphère est nécessaire à la végétation et donc à la vie. La décroissance aurait pour but de compenser l’industrialisation montante des pays en développement, tout en servant les lobbies scientifiques et industriels qui verraient dans la lutte contre le réchauffement climatique des perspectives de financements faciles à obtenir.
Tous les scientifiques ne sont pas experts en climatologie
Jacques-Marie Moranne est ingénieur. Il a exercé « tous les métiers, de la construction et l’entretien d’usine jusqu’à l’informatique ». Il s’est intéressé au climat après la COP de Copenhague, en 2009. « Jusque-là, j’étais comme tout le monde : c’est de la folie, le climat se réchauffe, etc. Et puis je me suis retrouvé à la retraite et j’ai eu du temps pour me documenter. Le climat est quand même une matière scientifique. Il faut savoir lire une courbe, mais ce n’est pas bien compliqué pour un ingénieur comme moi », précise-t-il. Si les controverses sur l’origine humaine du réchauffement climatique sont apparues dès les années 70 à la fin des Trentes Glorieuses, le début du XXIe siècle a également donné tribune à un lot non négligeable de controverses : contestation de méthodologie pour les mesures effectuées, accusation de falsifications de données, théorie des « îlots de chaleur urbains », optimum climatique naturel, fluctuation de l’activité solaire, etc.
« Je suis tombé sur un site qui s’appelait “Pensée unique”, tenu par le physicien Jacques Duran. Il a travaillé avec Pierre-Gilles de Gennes [prix Nobel de physique en 1991, NDLR], donc ce n’était pas n’importe qui non plus. » Jacques-Marie Moranne décide d’adhérer à l’association des Climato-réalistes dont fait partie Jacques Duran. Il consigne ses recherches dans un essai publié en ligne, La physique du climat, rédigé avec Camille Veyres, ancien ingénieur polytechnicien, un homme « brillant » selon lui. À l’instar de l’ensemble des scientifiques ou apparentés qui contestent publiquement et médiatiquement le consensus scientifique sur le climat, aucun d’entre eux n’est cependant climatologue à quelques degré que ce soit.
Le devoir de dire la vérité
François-Marie Bréon est directeur adjoint du Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (LSCE). Il est « pro-climat » et a participé à l’écriture d’un chapitre du 5e rapport du GIEC et de son “Résumé pour les décideurs”.
François-Marie Bréon fustige ceux « qui jouent de leur prestige d’anciens professeurs d’université ou de scientifiques alors que le sujet n’entre pas dans leur domaine de compétences ». Il refuse de « croire qu’ils se trompent si ce n’est pour rester dans la lumière et sur la scène médiatique ».
Dénoncer l’alarmisme
Tout comme Gilles C., Jacques-Marie Moranne lit, se documente et assure faire appel à son esprit critique. Les arguments de ceux qui remettent notamment en cause les conclusions du GIEC ne font que renforcer le doute qu’il entretient à l’égard des instances officielles. Ce qu’il veut dénoncer par-dessus-tout, c’est « l’alarmisme ». « C’est un moyen puissant de gouvernement. Pour vous dispenser d’avoir peur, on vous ferait faire n’importe quoi. »
Il regrette que le GIEC refuse le débat car, pour lui, « se cantonner à l’impact de l’homme [sur le climat] élude d’autres possibilités ». Pour cela, il cherche, fouille Internet, se rend sur les sites officiels comme ceux de la National Oceanic and Atmospheric Administration – l’Agence américaine d’observation océanique et atmosphérique –, de la Nasa, ou du National Snow and Ice Data Center– un centre américain d’information et de référence à l’appui de la recherche polaire et cryosphérique. Sa conclusion est sans appel : « Les faits à la source ne sont pas conformes à ce que disent les journaux. »
Selon le rapport du CNRS, la désinformation par la déformation des faits est l’un des leviers utilisés par les défenseurs des idéologies subversives. Au cela s’ajoute : le discrédit par l’insulte, la distraction par l’accusation renversée, la dissuasion par la peur et/ou la menace, et bien sûr la division. À cette rhétorique dite des « 5D », vient s’ajouter le doute, considéré par les auteurs du rapport comme étant certainement « le plus important pour favoriser l’inaction climatique ».
* Gilles C. n’a pas souhaité que son nom de famille soit mentionné
Texte : Valérie Barrier – Photographies : Valentin Caball