Le Puppy Play, ou la pose à quatre pattes, a explosé dans la communauté LGBTQIA+ en France depuis moins de dix ans. Pour ses adeptes, se glisser dans la peau d’un puppy permet d’échapper aux contraintes de la vie quotidienne. Partie de plaisir pour ces derniers, cette pratique dérange ceux qui se tiennent en dehors de ce cercle.
Vivre dans la peau du chiot, c’est ce que l’on appelle, être un puppy. « Je n’ai aucune envie de porter le poids des contraintes de la planète sur mes épaules. », dit Dan, 22 ans. Cet animateur culturel britannique exprime sa fierté d’être un puppy sur son compte Instagram, SirKinksAlot. Porter un masque de puppy lui donne une liberté qu’il peine à trouver ailleurs.
Ce samedi 25 février 2023, le bar Freedj, situé dans le quartier du Marais, prisé par la communauté LGBTQIA+ parisienne, propose un événement puppy play : la soirée Pup’ Zone & Social. Ouvert à tous les pups (ou puppies, pluriel de chiots en anglais), il est organisé par Gaëtan, ancien puppy « Buster », et l’association Puppy Play France. Plus d’une cinquantaine de pups sont rassemblés dans un sous-sol qui baigne dans une atmosphère enfumée et multicolore, identique à celle d’une boîte de nuit. Du plus jeune au plus vieux, vêtus de tenues en cuir ou en vinyle, tous jouent comme des chiens en liberté sans se soucier du regard d’autrui : deux pups jappent fort, un autre est couché sur un coussin posé au sol et se fait caresser par son handler (« maître »). Protégé par des genouillères, un puppy marche à genoux, les poings ramenés vers le torse. Il s’approche d’un inconnu et lui réclame des caresses. Certains remuent leur puppytail, une queue de canidé artificielle reliée à une ceinture. D’autres portent un masque en néoprène ou en cuir de couleur et arborent autour du cou des colliers personnalisés où l’on peut lire leur surnom. Certains handlers tiennent en laisse leur « oméga » – puppy soumis et obéissant qui reste debout près d’eux ou assis à leurs pieds. Des bols avec des biscuits apéritifs sont servis aux participants. Ils boivent en restant masqués, une paille en papier dans la gueule d’où dépasse une langue pendante.
À l’origine
Le puppy play est une pratique relativement nouvelle dans l’univers du fétichisme et du BDSM (Bondage, Domination, Soumission, Sado-Masochisme). Il s’est développé aux États-Unis à partir des années 1960-1970 avant de se diffuser en Grande-Bretagne et en Allemagne à l’aube du deuxième millénaire. Il y a moins de dix ans, il fit son entrée en scène dans la communauté gay française. Bien que ces jeux semblent réservés à la communauté homosexuelle, ils s’ouvrent désormais à tous, même si les hétérosexuels restent minoritaires.
Être un puppy consiste à dépendre d’une meute et à se soumettre à ses règles. Il faut choisir un animal à interpréter, tel qu’un chien, un renard, un chat, un poney ou un cochon pour les jeux ouvertement sexuels. Toutefois, cette pratique n’a rien à voir avec celle de la zoophilie, illégale en France, et aucun animal n’y participe. Porter un masque est l’un des principaux codes vestimentaires chez les pups, un aspect à la fois esthétique et ludique qui permet de renouer avec le monde de l’enfance, mais pas seulement : cela permet aussi de préserver l’anonymat de chaque individu. Toutes les classes sociales sont confondues, chacun se prémunit de tout jugement et se sent libre de s’incarner dans son animalité.
« Mettre ma cagoule me donne l’envie de jouer sans avoir à me justifier ni à rendre de compte à qui que ce soit » (Dan, 22 ans)
En dehors de leur sphère professionnelle, certains pups s’adonnent quotidiennement à cette pratique. Selon eux, cette prise de rôle assumée leur apporte calme et sérénité, leur permet d’oublier le poids des contraintes sociales. « Mettre ma cagoule me donne l’envie de jouer et de me comporter comme un animal, dénué de bestialité, sans avoir à me justifier ni à rendre de compte à qui que ce soit », affirme Dan.
La possibilité d’être libre
Si Dan a manqué d’affection dans sa période adolescente et jeune adulte, il a trouvé dans le pupisme un moyen de se sentir bien dans sa peau grâce à des échanges avec d’autres adeptes. Selon lui, « la société est hypocrite. Celle-ci exerce trop de pression sur les individus en leur imposant de correspondre à un profil donné, que ce soit dans la rue ou par le biais des réseaux sociaux. » Il critique ouvertement « les exigences ordonnées par la société et ses conséquences néfastes ». Il ne se voit pas militer ni s’engager dans une lutte commune qu’il considère comme épuisante et inutile.
Certains pups se font maltraiter non par des handlers, mais par le regard hostile des personnes. « Je me souviens des menaces d’une bande de voyous du 19e arrondissement de Paris », se souvient Dan, sortant encore masqué, d’une soirée entre puppies : « On va te frapper ! ». De son côté, Puppy Deaf, sourd âgé de 39 ans, revient sur cette journée où il jardinait chez lui, masqué. Un policier en uniforme passant dans la rue lui a ordonné : « Enlevez votre masque ! » Pourtant, la loi stipule qu’il n’est pas interdit de couvrir ou de cacher son visage en dehors des lieux publics. « Va-t’en, sale pédé ! », a crié un autre policier à Lokko, 23 ans, qui se promenait dans la rue en portant une cagoule. Si ce jeu masqué, initialement érotique, peut renvoyer à une forme de sexualisation, il est aussi un lieu de refuge où des liens se tissent entre pratiquants aux profils variés. Se sentant aimés et en confiance, les puppies trouvent alors un soutien moral et affectif pour affronter la réalité du quotidien.
Puppy Play ?
Un chiot ne connaÎt ni le passé ni le futur, seul l’instant présent. Son objectif : être près de son maître. D’après l’association Pup&Co, en entrant dans la peau d’un chiot et en reproduisant le plus fidèlement possible son mode de vie (aboyer, jouer, solliciter des caresses, manger dans une gamelle), les adeptes du puppy play laissent au vestiaire leurs problèmes personnels. Seul leur importe d’attirer l’attention de leur handler (« maître ») ou d’autres pups qui n’auraient pas encore trouvé leur meute.
Cette pratique procure à certains pups un sentiment de mieux-être et d’acceptation de soi. Ce bien-
être a été confirmé par une étude britannique de deux chercheurs en psychologie, Liam Wignall, de l’université de Bournemouth et Mark McCormack, de Roehampton. Il y est rapporté : « l’importance de l’intimité, de la détente et des formes du jeu social« .
À l’instar de Bailey, 29 ans, manager hôtelier anglais vivant à Paris depuis cinq ans, qui confie : « Être un puppy permet de se sentir aimé par d’autres pups. » Bailey, séropositif au VIH depuis sept ans, n’hésite pas à sensibiliser en matière de santé par le biais de ses deux comptes Instagram, dogboilbailey et pawzitive.influence. Élu Mister Puppy France 2023, Bailey avoue qu’il a plus confiance en lui lorsqu’il porte sa cagoule : « Laissons ce monde penser ce qu’il veut de nous, cela ne nous atteint pas. »
Cette réflexion est partagée par tous les pups. Notamment par Dan qui se fait le porte-parole de ce
mode de vie. Il lui apporte plus de sérénité et se moque des « qu’en dira-t-on ? » au nom de la liberté.
Texte : Michaël Mannarino – Photos : Stéphane Marcault