Crise énergétique, inflation, climat, pollution, crises sanitaire et sociale… Les sujets de tension s’accumulent. Depuis octobre 2022, remontés à bloc, des activistes enchaînent les actions pour la campagne #C’est pas Versailles ici ! qui appelle à éteindre les panneaux publicitaires et enseignes lumineuses la nuit. Dans toute la France, la jeune garde d’Extinction Rebellion s’est mobilisée le 18 février. Ici, Paris.
Il est 19h samedi 18 février, rue du Faubourg Saint Martin à Paris. Dans un local dissimulé en fond de cour, comme le feraient une société secrète ou des résistants en temps de guerre, Extinction Rebellion – alias XR, mouvement citoyen né en Angleterre en 2018 et arrivé en France peu après, prépare l’action du jour pour la campagne #c’est pas Versailles ici. Cette nouvelle lutte, depuis octobre 2022, fait suite à la demande de sobriété du gouvernement adressée aux citoyens mais encore trop peu respectée par les entreprises et les collectivités.
Face à cette aberration écologique, Extinction Rebellion multiplie ses mobilisations : des rebelles au sang neuf mènent les actions en continu, dans un jusqu’auboutisme assumé. Le collectif, qui enchaîne les actes de désobéissance civile pour impacter toujours plus les autorités, prévoit ce soir de retourner dans les rues de Paris éteindre un maximum de panneaux publicitaires lumineux.
Chez XR, tout militant est un rebelle, porte un pseudo, et les infos sont communiquées par gestes et en langage codé. Dans le collectif, aucun statut juridique, pas de hiérarchie : l’engagement personnel reste le seul curseur pour ce mouvement citoyen qui signe « avec amour et rage ». Pour chaque sujet de mobilisation, toute personne intéressée peut télécharger un « MANUEL DE SUBVERTISING« , qui explique comment s’y prendre pour organiser des actions.
Savoir se comporter avec les forces de l’ordre
Nébuleuse, 20 ans, prépare avec d’autres la mobilisation de ce soir-là. L’étudiante en histoire, activiste à XR depuis octobre 2022, est de toutes les manifs. Elle a grandi à Tokyo qu’elle appelle « la ville du plastique », et s’investit énormément : « Le monde aujourd’hui c’est n’importe quoi : quand c’est pas l’écologie, c’est la justice sociale, le logement, la pauvreté. Il y a des problèmes partout. C’est tellement difficile de voir des résultats à court terme… beaucoup de gens se disent que leur quotidien n’a plus de sens dans le monde actuel », confie-t-elle, tout en indiquant aux rebelles le référent XR avec lequel ils arpenteront les rues de Paris.
Ces référents, activistes aguerris formés à la désobéissance civile non violente, expliquent aux nouveaux arrivants comment se comporter avec les forces de l’ordre. Première consigne, noter le numéro de téléphone d’un proche sur son bras pour pouvoir l’appeler en cas de saisie de portable.
Oméga, la quarantaine, est un des référents ce 18 février sur l’action de Pyrénées-Belleville. Autrefois dans la promotion immobilière pour des centres commerciaux, il travaille aujourd’hui dans l’associatif. Derrière sa longue barbe poivre et sel, il explique : « Si la police s’arrête, c’est souvent juste pour un contrôle d’identité. Mais en cas d’interrogatoire, toujours répondre à leurs questions par « je n’ai rien à déclarer », plutôt que d’avouer et se vendre soi-même, ou de mentir en niant les faits ».
Passer à l’action, quitte à finir en garde à vue
Oméga précise ensuite que pour tout mode d’action qui implique une dégradation, on risque jusqu’à 2 ans d’emprisonnement et 30 000€ d’amende ; et si les forces de police interrompent un activiste avec une publicité dans les mains, ce n’est plus de la dégradation mais du vol en réunion : le risque est alors de 7 ans d’emprisonnement et 100 000 € d’amende.
Pour Nébuleuse, qui a déjà quelques gardes à vue (GAV) à son actif, savoir cela n’est pas un frein : « Militer c’est passer à l’action . L’état utilise la GAV comme moyen punitif, et pour répondre à cette radicalité il faut des actions encore plus fortes : même si on doit refaire de la GAV après, ça paraît encore plus pertinent d’y retourner. »
En plus du référent, qui est aussi contact police, au sein des groupes on désigne 1 ou 2 rebelles pour être guetteur.ses, et prévenir, à l’aide d’un nom de code, en cas de passage des forces de l’ordre. Véro, 52 ans, va se poster, déterminée, au carrefour le plus proche. Travailleuse humanitaire entrée à XR il y a quelques mois, inspirée par sa fille ultra engagée, elle se dit radicale par la pensée : « C’est ma première mobilisation, mais pas la dernière ».
Quelques minutes plus tard un premier panneau a été démonté puis éteint, rue des Pyrénées. La publicité retirée est remplacée par l’affiche d’XR où est écrit : « LAISSER CE PANNEAU ALLUMÉ EN PLEINE CRISE ÉNERGÉTIQUE, C’EST ABSURDE ».
À 21 heures, le groupe d’activistes a éteint ou recouvert une demi-douzaine de panneaux. Alors qu’Oméga fait disjoncter le système électrique d’un écran publicitaire de 4x3m en hauteur sur un mur d’immeuble, un piéton s’approche et le félicite. Durant l’action, plusieurs personnes auront fait de même et encouragé les militants.
viédoSur la conscience écocitoyenne, Nébuleuse a un avis tranché : « Cette campagne prend tout son sens maintenant. Il ne pleut plus en France, les signaux sont là. Ça ne sert plus à rien d’être scientifique pour défendre ces causes, ils ont déjà tout dit. La désobéissance civile est la manière la plus pertinente maintenant de faire bouger les choses ».
Le « top 5 » des pires gardes à vue
Nébuleuse, militante à XR depuis octobre 2022, revendique avec humour : « Je suis dans le top 5 des pires gardes à vue de l’histoire du militantisme ! On a voulu interrompre un match commenté par des youtubers, et on s’est fait huer, puis attaquer physiquement par le – très jeune – public. On a fait 19 heures de GAV, sans le droit à l’appel aux proches, au médecin ou à un avocat. On a été jetés dans la pire cellule, celle réservée aux criminels, dégueulasse avec un matelas plein de pisse, c’était assez particulier comme expérience… »
« C’est un peu le dernier combat, c’est maintenant ou jamais »
Marseille, 24 ans, qui a rejoint le mouvement de Paris en 2021, acquiesce. Sa cible de prédilection : Total, le « croquemitaine » du climat. La dégradation est appelée « désarmement » chez XR, nous informe-t-il. Pour lui, la désobéissance civile est une forme de soubresaut, comme un organisme réagit par la fièvre contre un virus ou rejette un élément qui le met en danger. « Il faut accompagner les personnes vers un processus de radicalisation, donner l’envie d’aller plus loin dans l’action. Les manifs ne servent plus à grand-chose ».
Il y a quelque chose de viscéral dans son engagement : « L’effondrement des 70% de la biodiversité ces 20 dernières années, c’est l’échelle de ma vie. Il y a 20 ans je courais après les coccinelles en écoutant les oiseaux, aujourd’hui on m’a pris tout ça ».
Pour lui, on n’est qu’au début d’un nouveau mode d’action et de colère. « Le constat sur la disparition de la biodiversité n’est pas neuf, mais il y a 60 ans ils ne se disaient pas « si on ne réagit pas maintenant, dans 25 ans c’est atroce ». C’est un peu le dernier combat, c’est maintenant ou jamais ».
Marseille, dans quelques heures, retrouvera des rebelles qui sortent d’une garde à vue au tribunal de Paris, accusés d’être entrés au ministère des finances pour préparer des dégradations. Conscients que des rebelles essuient régulièrement les plâtres de leur activisme, les membres d’XR qui portent la volonté d’une société nouvelle se montrent solidaires et mettent en pratique le fait de « prendre soin les uns des autres ».
« On ne veut pas accueillir d’enfants dans un monde écocidaire »
Pour ces militants, le constat désabusé sur l‘état du monde et l’urgence d’agir vont pourtant de pair avec la notion de soin et le fait de garder, envers et contre tout, foi en l’humain. Une radicalisation qui frôle parfois le paradoxe, mais née des sentiments extrêmes que leur inspirent la gravité de la situation.
Comme pour Maddie, 30 ans, prof de français. Son rêve de fonder une famille s’est envolé quand elle a compris qu’elle ne voulait pas accueillir des enfants dans un monde écocidaire. Elle a poussé la porte d’XR désespérée, avec le besoin de « se rassembler ». Les stickers sur la 6e extinction de masse l’ont accrochée, entre autres…
« S’apercevoir que quelque chose ne va pas et prendre le mal à la racine, constater qu’il y a des causes systémiques est en soi radical. Les jeunes sont décrédibilisés, on les dit manipulés et touchés par l’éco-anxiété comme par l’hystérie au 19è siècle, alors que leur discours est fondé sur la science. On n’est qu’un pansement sur une jambe de bois si les actions ne s’attaquent pas à la cause du problème ».
Elle justifie son passage à l’action en affirmant qu’il faut replacer les choses sous l’angle « légitimité versus légalité », en alignant ses actes et ses pensées.
« La police est répressive, et les lois le deviennent quand on se met à agir. Il y a encore une pensée unique, un empêchement de la contradiction : il faut instaurer un contre-pouvoir. »
Ce 18 février, ce sont des centaines de volontaires qui se sont engagés, et 2400 panneaux publicitaires ont été éteints ou recouverts en France par des mouvements citoyens. Plusieurs jours après, des affiches de XR étaient toujours visibles.
Texte : Virginie Fauchois – Photos : Joris Chateau