3. Le secteur privé du logement d´utilité publique en Allemagne : coopératives et logement communal Le logement social allemand est né au XIXème siècle d’initiatives privées, qui ont été à l’origine de la création d’un statut d’utilité publique. Ce statut a englobé plus tard les sociétés de logement communal.
Schématiquement, on peut considérer qu´il existe trois grandes branches constituantes d´un secteur du logement social en Allemagne, c´est à dire en réalité d´un logement abordable pour la majorité de la population, mais dont l´accès n´est pas réellement contrôlé par les pouvoirs publics.
Les coopératives de logement et les fondations philanthropiquesLe logement social en Allemagne n´est pas né d´une volonté bienfaisante des pouvoirs publics, mais bien d´une réaction tardive à la misère des logements disponibles dans les villes du XIXème siècle en pleine industrialisation. Berlin, capitale de la Prusse, puis capitale de l´Empire allemand à partir de 1871, est l´un des plus grands centres industriels de l´Europe continentale à la fin du XIXème siècle. Entre 1850 et 1890, seules des initiatives disparates voient le jour en matière de logement, qui tentent de pallier le manque d´habitat salubre disponible. On voit apparaître des initiatives philanthropiques de certains patrons d´entreprise, qui font construire de petite cités pour leurs ouvriers. Quelques fondations émergent aussi à coté d´initiatives d´auto-organisation : ces dernières s´inspirent des expériences anglaises de coopératives, initiées par les pionniers de Rochedale.
La loi de 1889 et le développement des coopératives Bismarck crée le cadre législatif qui permet aux projets coopératifs de se développer. Alors qu´il a institué les premières lois sur la protection sociale quelques années auparavant [2], deux textes adoptés en 1889 apportent un élan dans la construction.
Il n´existe à ce moment-là pas de statut coopératif contraignant. Les coopératives adoptent les mêmes règles de fonctionnement que les sociétés philanthropiques, qui seront plus tard à la base de la création du « statut d´utilité publique » (Gemeinnützigkeit), que partageront longtemps à la fois les fondations, les coopératives et les sociétés publiques de logement (communales et nationales). 1890-1914 : « De la lumière, de l´air, du soleil ! » Selon les plans de Hobrecht, [4], chargé dans les années 1870 de planifier le développement de Berlin pour les cent années à venir, la ville est parcellisée de manière à réduire au maximum les coûts de construction des rues : les terrains à bâtir sont des îlots de 300-400 m de largeur sur 200m de profondeur.
Les architectes progressistes qui se lancent dans la construction de nouvelles cités, notamment coopératives, à partir des années 1890 cherchent à transformer ce modèle : dans les centres-villes ou dans les quartiers périphériques, ils construisent des cités plus denses, mais dans lesquelles tous les appartements disposent d´un accès à la lumière du jour.
Les coopératives parviennent à construire à Berlin 5000 logements par an entre 1890 et 1915 : ça reste pourtant une goutte d´eau dans l´océan de la crise du logement de l´époque…
Les sociétés de logement communal1918-1933 : la naissance du logement social soutenu par des moyens publics Jusqu´en 1918 la participation publique au logement est limitée : elle ne monte en puissance qu´après la première guerre mondiale. Sous la République de Weimar, il n’est plus question de s’interroger sur l’opportunité d’une prise en charge publique de la question du logement : la question est plutôt celle de la mise en œuvre d´une telle politique, qui s’inscrit dans le cadre général de l’Etat social en construction.
L´Allemagne connaît au début des années 1920 une période d´hyper-inflation. Les crédits les hypothèques contractées avant la guerre pour l´achat de logements individuels sont donc extrêmement aisément remboursables. Pour stabiliser la situation, un impôt national sur les intérêts hypothécaires est introduit en 1924 : le Hauszinssteuer.
Le statut d’utilité publique Le statut d´utilité publique dans le secteur du logement n´a été formulé dans la loi qu’à l’initiative du régime nazi, alors qu´il était déjà pratiqué par de nombreuses fondations et coopératives.
Les trois règles importantes de ce statut sont :
L’apparition de nouveaux acteurs du logement social Grâce à ce nouveau soutien financier, d´autres acteurs du logement, qui étaient restés marginaux jusqu´alors, se développent très largement durant l´entre-deux-guerres et contribuent à la diversification du paysage du logement social : aux côtés des traditionnelles coopératives, on voit émerger les sociétés communales [5], mais aussi des sociétés privées appartenant à des syndicats, à des grands patrons d´entreprises ou à des églises. L´orientation idéologique de ces sociétés se lit dans les formes d´habitat qui sont proposées : les cités construites ne sont pas seulement destinées à loger les personnes. Ce sont de véritables lieux de vie commune, avec de nombreux espaces collectifs (espaces verts, jardins, bibliothèques, écoles, cafés, petits commerces, ateliers etc.).
Les sociétés communales se développent surtout dans la seconde moitié des années 1920 : elles sont, comme les coopératives, à l’origine de la construction de cités originales et socialement innovantes. Leur gestion répond aux principes du statut d´utilité publique.
Les sociétés municipales de logement possèdent une grande autonomie vis-à-vis du pouvoir politique, notamment pour le choix des architectes, des ingénieurs, des urbanistes ou des plans de leurs cités en construction.
Les sociétés municipales se développent à nouveau après la Seconde guerre mondiale : elles sont à l’origine de la construction de nombreux bâtiments et cités dans les années 1950-1960.
L´Etat allemand fournit donc à partir des années 1920 [7] un effort financier important pour développer la construction sociale : en revanche, il ne limite pas ses crédits au soutien de structures publiques municipales, subventionnant aussi en grande partie des sociétés privées. On voit déjà apparaître en filigrane l´une des spécificités du logement social allemand : ni public, ni limité au secteur locatif, c´est un secteur qui mobilise des acteurs diversifiés.
Les logements privés « à usage social temporaire »Le troisième pilier qui compose le logement social allemand est l’ « utilisation sociale temporaire » de logements privés. Ce système original prévoit depuis la loi de 1956 que les porteurs d’un projet de construction qui souhaitent bénéficier de prêts publics s’engagent à mettre à disposition le logement ainsi construit pour des locataires désignés par la commune. Le système est en réalité très peu contraignant : le propriétaire, lorsqu’il loue le logement, exige de la part de son locataire une attestation de la mairie, indiquant que ses ressources ne sont pas supérieures à celles des 80% de la population les plus modestes. Le niveau des loyers et leur augmentation sont par ailleurs réglementés dans ce secteur : ils sont soumis à la législation sur le loyer économique (Kostenmiete).
Les choses ont changé depuis lors, et ce logement social en utilisation temporaire est devenu parfois beaucoup plus cher que le logement privé dans le bâti ancien.
[1] Le statut d´utilité publique n´a été inscrit dans la loi que sous le régime nazi, mais il était pratiqué très largement bien avant d´être formalisé juridiquement. [2] assurance maladie en 1883, assurance accidents du travail en 1884 [3] rendue obligatoire par une loi de 1889 [4] qui s’est très largement inspiré des travaux de Haussmann à Paris [5] des sociétés privées à responsabilité limitée, GmbH, qui sont détenues par les communes [6] Plus d´informations sur le processus de privatisation du logement communal dans l´article [5. Le démantèlement actuel des éléments constitutifs du logement social allemand->183 [7] avec une « pause » sous le régime nazi |
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