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Italie / Agriculture paysanne et travailleurs migrants saisonniers /

Au nord des Pouilles, les villages invisibles des saisonniers
26 février 2008 par Cristina

La coopérative sociale Oasi 2 de Trani sillonne les campagnes des départements de Foggia et Bari à la rencontre des saisonniers dans leurs lieux de vie, dans le cadre d’un projet appelé « les villes invisibles ».
J’ai eu l’occasion de voir quelques uns de ces lieux, en participant à l’une des unités mobiles dans les campagnes autour de Foggia.
Une expérience forte, laissant place à quelques réflexions.

Trois images

Sur le territoire de Rignano Garganico, dans le département de Foggia, là où la vaste plaine appelée « il tavoliere » prend fin, et d’où on aperçoit les montagnes du Gargano, on trouve ce que tout le monde appelle désormais « le ghetto ».
Il s’agit d’un terrain assez vaste, auquel on accède par une petite route au milieu des champs, au bout de laquelle se trouve une dizaine de constructions en mauvais état. Il n’y a pas d’eau potable, ni d’électricité. Les habitants du ghetto s’approvisionnent abusivement en eau d’irrigation dans un puits qui se trouve au centre du terrain.
Dans cette période de l’année le ghetto est presque vide, mais l’été, pendant la saison de la cueillette de la tomate, environ 500 personnes y trouvent refuge le soir, après le travail dans les champs.

D’autres lieux abritent des étrangers qui y résident de façon stable. C’est le cas d’une petite ferme isolée, toujours dans le territoire de Rignano, où habitent une dizaine de personnes, hommes et femmes originaires de différents pays d’Afrique subsaharienne. Ici il y a de l’eau potable, l’ électricité et même une antenne parabolique, mais les conditions de vie restent précaires et la promiscuité importante.
Cette petite communauté vit selon les règles dictées par une dame africaine approchant la cinquantaine, qui parle un italien parfait, et dispose d’un fourgon . Elle est probablement à la fois caporale et proxènete.

Ailleurs, ce sont des bourgades entières qui se sont transformées en véritables villages habités exclusivement par des migrants irréguliers, qui travaillent pour la plupart dans le secteur agroalimentaire.
C’est le cas d’une bourgade au sud de Foggia, pas loin de Stornarella, où résident de façon stable plusieurs dizaines d’étrangers, de différentes nationalités. Ce village est formé par une route de campagne le long de laquelle sont disséminées plusieurs petites maisons délabrées, sans eau potable ni électricité. Il y a des chiens de garde, du linge étalé au soleil, des groupes de personnes qui se promènent.
Comme dans tout village qui se respecte, on trouve aussi un petit café, qui vend des boissons alcoolisées et non, riz, pâtes, légumes en boite, dentifrice et autres. Dans le bar, deux petites tables, un comptoir improvisé et un téléviseur syntonisé sur une chaîne locale. Quelques clients, noirs et blancs, boivent leurs boissons dehors, au soleil.

Différentes typologies d’habitation

D’endroits comme ceux que j’ai vus et décrits, il en existe des dizaines dans les campagnes de Foggia et dans celles au nord de Bari, chacun avec son organisation, ses codes et ses spécificités.
A travers leur travail de terrain, les opérateurs d’Oasi 2 ont pu identifier trois typologies principales d’habitation :

- la ferme de taille moyenne, habitée par un nombre limité de personnes (une vingtaine au maximum), en général originaires du même pays ou de la même zone géographique. Cette typologie est en général caractérisée par un niveau de « confort » supérieur aux autres (électricité, eau potable, structure en meilleur état avec portes et fenêtres..)
- le hangar ou l’étable, de grande dimension, habité par un grand nombre de personnes, dans de conditions de précarité extrême.
- la bourgade ou le village, où on rencontre plusieurs habitations proches l’une de l’autre, qui abritent des dizaines de personnes. On y trouve souvent des petites activités commerciales pour la vente de boissons et de genres alimentaires. Dans ce genre de bourgade résident fréquemment des étrangers de différentes nationalités et zones géographique

Une invisibilité réelle

Quelle qu’elle soit la typologie des habitations, ces lieux sont souvent isolés, cachés, invisibles.
Et cela aussi à cause de la configuration du territoire : toute la région de Foggia et du nord de Bari est une vaste plaine, où les champs s’étalent à perte de vue. Et ils se ressemblent tous, les routes et les constructions se ressemblent, à cause d’un manque cruel de point de repères. Il n’y a quasiment pas de petits centres habités, les agriculteurs se concentrent dans des villages assez grands, d’au moins quelques milliers d’habitants. Personne ne passe par ces lieux par hasard, on y rencontre seulement quelques agriculteurs au travail, et les migrants.
Ces lieux perdus dans les campagnes sont difficiles à repérer. Les opérateurs d’Oasi 2 le savent bien : leur activité de repérage et « recensement » des lieux de vie des migrants est loin d’être terminée, après un an et demi de travail sur le terrain. De nouveaux lieux sont découverts régulièrement, grâce à des signalements de la part de migrants avec lesquels les opérateurs ont pu installer un rapport de communication et de confiance. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si le projet pour lequel ils travaillent a été appelé « les villes invisibles ».

Fermer les yeux ou l’invisibilité utile

Mais il ne faut pas non plus se cacher derrière la configuration du territoire et les difficultés de repérage.
Certains de ces lieux sont parfaitement « visibles ».
D’un coté ils ont acquis une certaine visibilité à niveau national et international à travers le reportage de Gatti [1] et les rapports et les images diffusés par Médecins Sans Frontières [2]. Mais surtout, ils ont toujours eu de visibilité au niveau local, où les administrations et les organisations associatives et syndicales connaissent depuis longtemps ce phénomène et les principaux sites où se concentrent les migrants.

La réalité est qu’on ferme les yeux devant cette situation. Et on le fait car- en simplifiant- ces migrants exploités sont indispensables pour l’économie de ces régions, où l’abattement des coûts de production est la seule possibilité de survie pour la plupart des entrepreneurs du secteur agroalimentaire.
De plus, ce secteur est dans ces régions traditionnellement contrôlé par la criminalité organisée, l’illégalité ayant toujours été la règle, bien avant l’arrivé de la main d’œuvre étrangère.
En même temps, rien n’est prévisible au niveau institutionnel pour améliorer les conditions de vie de ces travailleurs migrants, car une grande partie de la politique nationale en matière de migrations est axée sur la lutte contre l’immigration clandestine.
L’administration régionale continue à proposer des mesures de lutte contre le travail irrégulier (louables mais inutiles si elles ne sont pas suivies par de contrôles rigoureux des employeurs) et des projets qui visent les travailleurs réguliers disposant d’un contrat de travail, comme celui de l’ « albergo diffuso », tout en sachant pertinemment que l’écrasante majorité des ouvriers agricoles étrangers est employée de façon illégale.

Ici, dans les campagnes de Foggia et dans ces ghettos perdus au milieu du « tavoliere », l’utilitarisme migratoire se mêle aux intérêts de la criminalité organisée et revêt une de ses formes les plus dramatiques. Dans ce contexte, il est difficile imaginer des perspectives de changement ou d’amélioration de la situation.

Vous me trouvez pessimiste ? Venez voir ces lieux…


[1] Gatti, Fabrizio, "Io, schiavo in Puglia", L’Espresso, settembre 2006

[2] Voir le site www.medicisenzafrontiere.it




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