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Allemagne / Exclusion urbaine /

La privatisation du logement social communal en Allemagne
1er février 2008 par Lucie

Une étude du cabinet d´audit et de conseil Ernst and Young de l´été 2007 indique qu´un tiers des communes allemandes de plus de 100 000 habitants serait prêtes à privatiser une partie de leur patrimoine ou bien des services publics dont elles ont la gestion dans les prochaines années. Le domaine du logement serait particulièrement concerné : 41% des communes s’intéressant à une privatisation envisageraient de céder leurs sociétés de gestion du logement social communal ainsi que leur patrimoine immobilier.
Si chez Ernst and Young on se réjouit de cette bonne nouvelle pour les investisseurs privés, on note que, paradoxalement, un dixième des communes interrogées projetterait de recommunaliser des entreprises ou des services précédemment vendus au secteur privé.
La vente du patrimoine communal de logement social semblait faire l´unanimité depuis le début des années 1990 : pourquoi alors ce regain de prudence de la part des communes après quinze ans de privatisations ?

Une privatisation massive

A partir des années 1980, la dynamique est aux restrictions budgétaires dans l´ensemble des pays de l´Europe occidentale. Le secteur public du logement en fait les frais. L’aide à la personne se substitue à l’aide à la construction et le principe de l´accession sociale à la propriété connaît un grand succès.
En Grande Bretagne, Margaret Thatcher lance le « Right-to-buy » et le principe de la micro privatisation : les locataires du secteur public sont encouragés à acquérir leur logement à des prix très avantageux [1]. Les Pays-Bas, dotés d´un parc social très étendu, suivent la même pente. En France, on déconventionne certains immeubles des quartiers dits « sociaux » dans un objectif de mixité sociale et de rééquilibrage des finances publiques.

Dans ce paysage européen, l´Allemagne ne fait pas exception. Mais elle se distingue de ses voisins par le caractère massif des ventes : les communes, qui possèdent les sociétés de logement social, se débarrassent en bloc de leur patrimoine, c´est à dire par dizaines de milliers de logements.
La municipalité de Berlin, par exemple, possédait 480 000 logements communaux en 1993 : 200 000 d´entre eux ont déjà été vendus. A l´échelle de l´Allemagne toute entière, ce sont 1,6 millions de logements, soit la moitié du parc public, qui ont été cédés en dix ans.
L´objectif affiché par la Ministre française de 40 000 logements HLM vendus chaque année, soit 1% du parc existant, paraît bien pâle face à la performance allemande…

Mais pourquoi privatiser le logement communal ?

L´argument majeur invoqué pour légitimer ces ventes en bloc est l´impérieuse nécessité de désendetter les communes. Au sous-financement chronique, dont souffrent beaucoup de municipalités allemandes, s´ajoutent les difficultés économiques et sociales liées à la réunification que doivent assumer les villes de l´Est : le coût des restitutions et indemnisations des propriétés « socialisées » au temps de la RDA se double de la difficulté à endiguer l´hémorragie démographique et économique vers l´ouest.

Or, les perspectives ouvertes par la privatisation du logement public sont alléchantes. La municipalité de Dresde est ainsi parvenu à ramener ses comptes à l´équilibre en 2006 en cédant pour quelques 1,7 milliards d´euros sa société de logement communal Woba.
Le résultat est spectaculaire. 48 000 logements sociaux sont convertis d´un seul coup en logements privés et la ville de Dresde devient un symbole : elle est la première ville allemande à avoir privatisé 100% de son parc de logements publics.

Qui sont les acheteurs ?

Mais quel acheteur peut absorber une telle quantité de logements ?
C´est bien là que réside la spécificité allemande : les communes liquident leur patrimoine auprès d´investisseurs institutionnels, le plus souvent de fonds de pensions américains. Ceux-ci ne sont en rien des professionnels du secteur du logement. Ils se comportent comme des acteurs du capital risque : en quelques années, ils cherchent à rentabiliser leur investissement avant de se retirer.

Les acheteurs rationalisent donc le fonctionnement des sociétés anciennement communales, congédiant les salariés et réduisant l´équipe administrative à un minimum.
Certaines activités, comme l´entretien des locaux ou la conciergerie, sont considérées comme superflues et sont externalisées.
Les éléments du patrimoine immobilier qui sont le plus immédiatement valorisables [2] sont vendus séparément à des prix élevés.
Une partie des immeubles subit des travaux de « modernisation » [3], dans la perspective d´une conversion future des appartements locatifs en propriétés individuelles.
Le reste du patrimoine est laissé en l´état, dans l´attente d´une revente en blocs plus restreints à des sociétés immobilières.

Quelles conséquences pour les locataires ?

Les conséquences de ces ventes pour les locataires sociaux sont difficilement évaluables : le processus de privatisations massives est encore jeune, et les effets de la nouvelle gestion ne seront observables que sur le long terme.

A Berlin, on remarque que les loyers des appartements achetés par des fonds de pensions américains n´ont pas augmenté massivement.
Pour les appartements qui ont été modernisés, les locataires ont effectivement supporté ces coûts supplémentaires dans leurs loyers. Certains quartiers à forte concentration de logements anciennement publics, les plus proches des quartiers attractifs, ont donc vu leur population se transformer.
Mais pour la majorité des locataires sociaux « rachetés », le changement de propriétaire n´a pas encore eu d´impact significatif sur leur loyer. Alors qu´une augmentation des loyers pourrait faire fuir beaucoup de locataires, et laisser les appartements vides, le maintien dans les lieux de bénéficiaires des minima sociaux garantit aux nouveaux propriétaires le versement régulier des loyers, par les pouvoirs publics notamment [4].

Une voix contre les privatisations de logements communaux

Si les effets sur les locataires ne sont pas (encore) spectaculaires, des opposants à ces ventes ont tout de même commencé à faire entendre leur voix.
C´est à l´occasion d´un référendum local [5] dans la ville de Fribourg que les médias nationaux se sont emparés de la controverse : dans cette commune, les habitants se sont en effet exprimés à 70% en novembre 2006 pour que la municipalité reste propriétaire de la société de logements communaux et de son patrimoine immobilier.
Les initiateurs de ce référendum, ainsi que divers acteurs politiques dans d´autres villes, dénoncent les objectifs à court terme des « investisseurs sauterelles » [6] : ceux-ci seraient capables, en suivant leur seul horizon de rentabilisation rapide, de faire et de défaire la ville et d´avoir une influence non maîtrisée sur le développement urbain. Ces achats en masse seraient notamment responsables dans l´avenir de la gentrification des quartiers jusqu´alors populaires.

Le débat est désormais ouvert. Le référendum de Fribourg a déjà influencé plusieurs maires qui avaient envisagé la privatisation de leurs sociétés de logement communal. Leipzig a choisi de redéfinir sa stratégie de vente. Les maires de Rostock et de Schwerin ont quant à eux remisé dans leurs tiroirs leurs projets de privatisations.

La vente du patrimoine de logement social des communes était il y a peu de temps encore une question neutre, liée essentiellement à la recherche de l´équilibre financier par les municipalités. Elle est désormais un véritable enjeu de politique locale.
On peut tout de même regretter que l´ouverture d´un débat sur le logement communal ne soit pas l´occasion pour les militants et les partis politiques de se saisir de la question du logement social dans son ensemble, qui fait face aujourd’hui à un démantèlement global.


[1] Ils obtiennent un rabais de 30 à 50%

[2] siège social, appartements situés dans les quartiers les plus attractifs

[3] création de balcons ou de garages sous-terrains par exemple

[4] En Allemagne, les bénéficiaires de certains minima sociaux voient leur loyer réglé directement à leur propriétaire par le Land. Ce dernier a un droit de regard sur la taille et le prix du logement. Le maintien de loyers en dessous des seuils fixés par le Land garantit donc aux propriétaires une stabilité de l´occupation de leur bien et du versement des loyers.

[5] organisé à l´initiative de la campagne citoyenne « Le droit au logement est un droit de l´Homme »

[6] Cette métaphore des « investisseurs sauterelles » (Heuschrecken en allemand) est apparue il y a peu d´années dans la bouche du ministre SPD Franz Müntefering. Elle est désormais largement reprise par de très nombreuses initiatives citoyennes qui dénoncent des investisseurs institutionnels s´emparant de services publics pour en tirer des profits élevés en un temps limité, avant de les revendre et de s´attaquer à un autre secteur.




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