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Espagne / Agriculture paysanne et travailleurs migrants saisonniers /

Un recrutement à la chaîne
22 janvier 2008 par Emmanuelle

Les agriculteurs de Huelva obtiennent le droit de recruter en Roumanie des travailleuses qui ne sont encore jamais venues, avec des contrats nominatifs.

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Il y a deux mois, les agriculteurs de Huelva avaient deux options pour recruter leurs saisonnières étrangères : soit ils renouvelaient les contrats des travailleuses ayant déjà fait la saison les années précédentes (des répétitrices qui se voyaient remettre un contrat nominatif), soit ils engageaient un processus de recrutement de nouvelles travailleuses présélectionnées par le gouvernement Roumain.

Mais selon les recruteurs, le gouvernement a refusé cette année de leur fournir le nombre de Roumaines demandées. Résultat, alors que « les Roumaines sont nombreuses à vouloir venir travailler dans la fraise », les voilà obligés à aller recruter au Maroc. Il y a quelque mois, lors d’une interview, le représentant de la Coag décrivait la situation : « Le gouvernement dit qu’il n’y a pas de travailleurs, mais ce n’est pas vrai. Cette année, nous avions besoin de 1775 nouveaux Roumains. Je leur ai dit que Coag Huelva était capable de donner le nom et le prénom de ces 1700. Parce qu’ici nous avons 2000 répétitrices (….) chaque femme qui est ici a son fils, sa sœur, sa voisine, sa cousine (…) qui veulent venir en Espagne, et si on commence a recruter les proches de celles que nous avons ici, on obtient sans problème les 1700 dont nous avons besoin. Mais en réalité, nous ne pouvons prendre personne là bas avec le nom et le prénom. Nous avons juste le droit de dire le nombre dont on a besoin. Et c’est ça qui nous pose problème. » [1]

Problème résolu depuis le premier janvier 2008 : le sous-délégué du gouvernement à Huelva, Manuel Bago a déclaré qu’étant donné le nombre insuffisant de travailleurs recrutés pendant la première sélection en Roumanie (seulement 2000 des 4173 prévus), une nouvelle phase de recrutement aurait lieu avant le début de la saison. L’idée des autorités est d’apporter les noms concrets de personnes dont ils savent qu’elles veulent faire la récolte de la fraise, et de les réclamer aux autorités Roumaines qui « pour des raisons inconnues ne contactent pas ces personnes » lors de la présélection. [2]

Reste à savoir si les autorités Roumaines accepteront cette manière de procéder, et à souligner que ce recrutement nominatif augmente encore le degré de dépendance des travailleurs envers les entrepreneurs de Huelva. Le fait de pouvoir choisir leurs répétitrices leur permettait déjà de faire pression sur leurs travailleuses en gardant les « bons élément » et en ne reconduisant pas les contrats des plus revendicatives. Avec les contrats nominatifs, le pouvoir de l’employeur de délivrer un contrat à un membre de leur famille ne peut qu’augmenter leur subordination. Comme le dénonce Nicolas Bell : « Le fait que ces contrats soient nominatifs accorde au patron les mêmes pouvoirs d’intimidation et de pression qu’il aurait pu exercer auprès d’un clandestin, mais dans un cadre « légal ». » [3] Si ce mode de sélection est adopté par les deux gouvernements concernés, l’accès au marché des contrats d’origine ou l’exclusion de ce marché sera entièrement géré par les patrons.

Le Codetras est le Collectif de défense des travailleurs étrangers dans l’agriculture des Bouches-du-Rhône. L’extrait ci-dessous tiré de leur livre noir, illustre les risques d’un pouvoir de l’employeur s’exerçant non plus seulement sur une personne mais sur une famille ou un village entier.

Visiter le site du Codetras

Consulter : Les Omis, livre noir de l’exploitation des travailleurs étrangers dans l’agriculture des Bouches-du-Rhône

Servitude et dépendances

N. F. est aide-soignante au Maroc, lorsqu’ elle signe en 1990 un premier contrat OMI pour venir travailler en France, officiellement dans l’agriculture… Son employeur, arboriculteur à Grans, franchit chaque année la Méditerranée pour y « faire son marché » : les candidats sont nombreux et leur force physique très appréciée. Cette fois-ci cependant, il a choisi cette mince jeune femme après avoir recruté au fil des ans plusieurs membres de sa famille. Une seule femme parmi une centaine d’hommes voués à des travaux très durs ?

L’explication ne tarde pas : lorsqu’elle arrive à Marseille en mai 90, N. F., à qui aucune information n’a été donnée sur la nature de son contrat d’embauche, se voit convoyée directement jusqu’à la maison de son patron. Elle sera…employée de maison, bien que son bulletin de salaire porte la mention « ouvrière agricole ». Commencent alors des journées harassantes, car son travail ne s’arrête jamais, de 6 h du matin à 10 h du soir et plus. Elle doit s’occuper des enfants, les emmener à l’école et aller les chercher, faire le ménage et recommencer inlassablement, faire le pain, la cuisine, le lavage, le repassage, la couture, laver la terrasse, soigner les plantes….

Elle est une femme de peine, maintenue dans un état de servage au sens où l’on peut définir ce terme : « les gens de bras, serfs, journaliers (…) qui ne s’inscrivent dans aucun produit durable et sont soumis à la loi d’un perpétuel recommencement » (A.Supiot, Critique du droit du travail). Tout cela pour environ 600 € par mois dont l’employeur déduit 150 € pour son petit studio (qu’elle n’occupe que très épisodiquement à Grans, souvent retenue à la maison avec les enfants). Comme il n’y a pas de petits profits dans le monde des rapaces, le patron récupère aussi largement la redevance payée à l’OMI pour chaque contrat en retenant chaque année 750 € sur sa paie. Heures supplémentaires non payées et non mentionnées sur le bulletin de salaire, pas de jours fériés, pas de congés…il faut tout accepter car en cas de protestation, elle et toute sa famille resteront au Maroc l’année suivante.

Et puis à qui parler ? À qui se confier quand on ne connaît personne ? Le patron a prévenu : c’est sa loi qui s’applique. La « bonne à tout faire » n’a pas à sortir de la maison, elle n’a pas à parler aux voisins… Il lui est même fortement déconseillé de se marier, elle doit être disponible jour et nuit. Elle se marie pourtant en 1994. Qu’à cela ne tienne, on fait pression pour qu’elle n’ait pas d’enfant…

Elle tiendra ainsi jusqu’en 2000 par peur des représailles envers sa famille. Un accident du travail mettra fin à cette épreuve. Son patron refuse de le déclarer, on comprend bien pourquoi, et la jette à la rue : « je n’ai plus de travail pour toi... ». Elle se retrouve ainsi sans travail, sans logement, sans argent (son mari ayant été lui aussi victime d’un accident du travail) et…expulsable puisque son contrat est terminé. Du pain béni, pense l’employeur qui voit la vie en rose (« tu ne m’arrives pas à la cheville » lui dit-il)…mais doit déchanter rapidement. Ses manœuvres pour la faire expulser échouent et N.F., soutenue par la CGT, le MRAP puis par le CODETRAS, se défend bec et ongles, témoigne dans la presse. Elle arrache des autorisations provisoires de séjour et porte plainte devant les prud’hommes puis au pénal. En représailles, plusieurs membres de sa famille resteront au Maroc sans travail l’année suivante. Elle recevra pour sa part des menaces à plusieurs reprises.

Aujourd’hui, elle attend la suite des procédures engagées pour tourner définitivement la page d’une « décennie au pays des droits de l’homme » (…)


[1] Entretien avec un représentant de la Coag

[2] Europa Press, Huelva.-Inmigración.- Empresarios agrícolas harán otra selección en origen en Rumanía aportando nombres de trabajadores, 9 de enero 2008.

[3] Nicholas Bell, Forum Civique Européen, Grève des saisonniers agricoles OMI dans les Bouches du Rhône , 10 août 2005.




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