En Belgique une question se pose : les enfants en centre fermé sont-ils enfermés ou sont-ils libres ? Dimanche 18 novembre, des avocats de plusieurs familles avec enfants détenues [1] en centre fermé se sont retrouvés avec des parlementaires et des membres d’associations, telles que le CIRE, la Ligue des Droits de l’Homme Belge et Droits des jeunes à l’entrée du centre 127bis [2]. Une journée à l’air libre avait été organisée pour les enfants détenus, un bus était prêt à les emmener à Bruxelles pour participer aux activités d’un mouvement de jeunesse. L’opération « Une journée à l’air LIBRE » avait pour objectif de dénoncer l’hypocrisie des autorités belges sur la question de l ’enfermement des familles avec enfants mineurs en centres fermés. De nombreux rapports [3], études et cas individuels attestent, si besoin en est, que l’enfermement des enfants cause de graves conséquences médicales et psychologiques. L’Etat belge [4] persiste pourtant dans sa politique d’enfermement : dans les faits, une quarantaine d’enfants et leurs parents restent quotidiennement enfermés dans des centres au régime carcéral [5]. De nombreuses décisions de juges appelés à se prononcer sur la légalité de la détention de familles avec enfants déclarent que les enfants ne sont pas privés de liberté, mais qu’ils suivent leurs parents, car ils ne peuvent pas en être séparés. Les avocats en ont déduit que les parents pourraient décider de les confier à l’extérieur pour une activité ponctuelle ou plus ; et qu’ils pourraient les envoyer à l’école. Ce qui n’est malheureusement pas le cas en pratique. Aucune recherche active de mesures alternatives à la détention des enfants n’est menée. Or des mesures alternatives existent, comme l’accueil en centre ouvert. Pour rendre possible cette journée les avocats ont recueilli les autorisations des parents et une demande de laisser les enfants sortir a été adressée officiellement à l’Office des Étrangers [6].
A notre arrivée à l’accueil du centre 127bis, l’administration s’est bien arrangée pour dire « non, les enfants ne sortent pas » : ils n’avaient pas pu traiter la question, car jeudi était jour de congé et vendredi était pont. Contacté par téléphone, le directeur de l’Office des Etrangers a déclaré que les enfants sont enfermés « pour le bien de tous » dans le but de rentrer dans leur pays d’origine, ils ne peuvent donc pas sortir. Les huissiers présents ont pu constater la violation des dispositions de la Convention internationale des Droits de l’Enfant [7] et, vu les décisions judiciaires, la situation de détention arbitraire. Le juge d’instruction doit s’en saisir et la faire cesser. Les avocats et les parlementaires sont entrés dans le centre pour rencontrer les familles et donner la mauvaise nouvelle aux enfants, ils leur ont amené des bonbons pour palier à leur déception. Parmi les familles détenues dans le centre 127bis, il y a une famille ouzbèke en Belgique depuis 7 ans et demi. Le père a été arrêté sur son lieu de travail, la mère à la maison et ils ont été emmenés au Commissariat. Un des fils a été arrêté à l’école, à la sortie du bus en revenant d’une journée à la mer. L’autre fils de 14 ans est rentré chez lui et a trouvé la maison chamboulée, il n’a même pas eu le temps de demander des explications aux voisins que la police est arrivée pour l’arrêter. Cette famille entre dans les cas de régularisation prévus par l’Accord de la coalition Orange- bleue sur l’asile et l’immigration [8] du 9 octobre 2007. Cet accord n’est pas encore appliqué car l’Orange-bleue n’a pas encore réussi à établir un nouveau gouvernement. Voilà la preuve du fait que le moratoire sur l’enfermement et l’expulsion des sans-papiers qui rentrent dans les mesures proposées par l’Orange-bleue n’existe pas. Au contraire, on cherche à expulser le plus vite possible ceux qui pourraient bénéficier de cet accord. Voire l’article de Diane sur le centre 127. [1] Ce n’est que le 19 mai 2006 que le Conseil des Ministre a décidé de mettre un terme à la détention des mineurs non accompagnés, dans tous les cas, à l’exception de 3 jours pour les mineurs arrivés à la frontière et pour lesquels il existe un doute sur l’âge. Dans ce dernier cas ils sont détenus le temps de l’examen de la détermination de l’âge. [2] Le centre 127bis est l’un des 6 centres de détention en Belgique appelés « centres fermés ». Des familles sont détenues seulement dans 3 de ces centres : le centre 127, le centre 127 bis et le centre de Merksplas. Le centre de Vottem a hébergé des familles du 20 mars au 28 juin 2006. La section « familles » du centre de Vottem a été fermée sur pression de l’opinion publique. [3] -Un rapport d’expertise réalisé en septembre 1999 par le Centre de Guidance de l’Université de Bruxelles, concernant une famille libanaise avec enfants mineurs détenue au centre fermé 127bis. Ce rapport souligne que « ceci est probablement généralisable à tous les enfants soumis aux mêmes conditions de vie ». -Le rapport du CIRE (Coordination et Initiatives pour et avec les Réfugiés et Étrangers) et de l’OCIV (Overlegcentrum Integratie van Vluchtelingen) de mai 2003, le rapport du Délégué général aux droits de l’enfant du 4 avril 2006, et le récént état des lieux du 24 octobre 2006 réalisé par une série d’associations, vont dans le même sens et dénoncent les conditions inhumaines de détention des enfants en centre fermé. -Les rapports du Délégué général aux droits de l’enfant de 2006 et du 10 juin 2007 qualifie le centre de Vottem d’infrastructure « sécuritaire à caractère carcéral » et conclut que les centres fermés ne sont pas un lieu adapté au bien-être et au développement des enfants et qu’aucun ne devrait s’y trouver. -Dans son rapport général de 2005, le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants rappelle que, quelle que soit la raison pour laquelle les mineurs sont privés de liberté, ils sont intrinsèquement plus vulnérables que les adultes. -Une analyse réalisée par la Coordination des ONG pour les droits de l’enfant (CODE) en décembre 2005 dénonce la détention en centre fermé des mineurs étrangers qui doivent être traités comme des enfants et non comme des cas administratifs. Les libertés et principes fondamentaux ne sont pas actuellement respectés par la Belgique. Il en va de même de l’état des lieux réalisé en octobre 2006 par diverses associations. -En octobre 2007, Médecins sans frontières rendait un rapport menant aux mêmes conclusions et les témoignages en disent long sur les conséquences graves (cauchemars, agressivité, automutilation, pensées suicidaires) et destruction des relations familiales que provoque la détention en centre fermé. [4] Dans l’arrêt (dit « Tabitha ») rendu le 12 octobre 2006, en cause Mubilanzila Mayeke et Kaniki Mitunga contre Belgique, la Cour européenne des droits de l’homme a sévèrement condamné la Belgique pour avoir infligé un traitement inhumain à une petite fille congolaise âgée de 5 ans et à sa mère, en détenant l’enfant seul pendant deux mois en centre fermé et en l’expulsant vers Kinshasa où aucun adulte ne l’attendait. (arrêt CEDH n°13178/03, 12 octobre 2006, Mubilanzila Mayeke et Kaniki Mitunga c. Belgique) [5] Les enfants peuvent sortir 2h par jour dans la cour du centre, les parents 1h par jour. Il y a des dortoirs en commun, les familles n’ont pas d’intimité. [6] L’équivalent de la Préfecture en France. et aux directions des centres. [7] Du fait de la détention des mineurs, la Belgique viole, en pratique, plusieurs des articles de la Convention internationale relative aux Droits de l’Enfant qu’elle a pourtant ratifiée (art.2, art.3, art.28, art.37). [8] La coalition Orange-bleue est une coalition gouvernementale de Belgique. Elle regroupe les partis libéraux (MR ou VLD, couleur traditionnelle bleue) et chrétien/humaniste (CDH ou CD&V, couleur traditionnelle orange). |
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