A la recherche des «zoonoses», ces épidémies d’origine animale

Par Albane Cousin (texte) et Maxim Gruss (photos)

La crise du Covid-19 a mis en lumière la nécessité d’un maillage d’experts pour surveiller l’émergence de maladies animales transmissible à l’homme. Mais en Île-de-France, le manque de financements pourrait bien mettre à bas le réseau. Au pire moment.

Regard bleu persan, blouse blanche, gants en latex, Karim Daoud, directeur du Laboratoire régional du suivi de la faune sauvage (LRSFS) scrute les entrailles d’un cygne blanc, originaire du bois de Boulogne. Celui-ci lui est parvenu congelé la veille pour autopsie dans ce labo situé à Bondy, en Seine-Saint-Denis. Après avoir scanné le code barre qui permet l’identification de l’animal, Karim Daoud étend le palmipède sur la table en inox, lui casse la mâchoire, et introduit dans sa gorge un écouvillon pour réaliser un test PCR de détection de la grippe aviaire, complété par un second dans le cloaque. 

 

Malgré le sang et l’odeur de poulet décongelé, pas de stress dans la salle, l’atmosphère est sereine et détendue. Le vétérinaire pratique ensuite une incision sur l’animal allant du bec à l’intestin. Il manie adroitement le scalpel, tout en vidant l’animal de ses boyaux. Des prélèvements sont effectués au niveau de l’estomac, puis analysés au microscope. Marchant entre les quelques plumes sur le sol, Karim Daoud place les derniers échantillons au congélateur, avant d’emballer le cygne dans un sac plastique. Il sera récupéré par une entreprise pour être incinéré.

 

75 % des agents pathogènes des maladies infectieuses humaines émergentes sont d’origine animale.

Beaucoup d’épidémies sont issues des maladies transmises aux hommes par les animaux : elles sont appelées zoonoses. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), cinq nouvelles infections apparaissent chaque année, et « 75 % des agents pathogènes des maladies infectieuses humaines émergentes (Ebola, VIH, grippe aviair) sont d’origine animale », rappellait Christophe Aubel, directeur général de l’Agence française pour la biodiversité, lors du colloque annuel 2019.

 

La pandémie du Covid-19 illustre bien ce phénomène et met en lumière l’importance de la surveillance animale. « Le suivi actuel des maladies animales infectieuses montre qu’il existe un risque de développement ou de résurgence des zoonoses : maladie de Lyme, salmonellose, tularémie, mais aussi la grippe aviaire, revenant régulièrement dans l’actualité, aujourd’hui sous la déclinaison H5N8», alerte Karim Daoud. 

 

Dans ce contexte, les vétérinaires et les laboratoires régionaux jouent un rôle essentiel de sentinelle. Grâce à leur veille permanente, ils sont en capacité de lancer l’alerte lorsqu’ils détectent un risque épidémique avéré, comme la grippe aviaire, mais aussi des potentielles zoonoses. Pourtant, au plus fort d’une pandémie zoonotique, les soutiens financiers publics semblent insuffisants. 

 

 

Un réseau complexe

En France, plusieurs acteurs interviennent dans cette surveillance, grâce à un réseau de 75 Laboratoires départementaux d’analyse (LDA). En Île-de-France, cette fonction est remplie par le LRSFS, rattaché à l’Institut de recherche pour le développement (IRD). « L’expertise du laboratoire permet de prévenir la propagation de maladies animales bien connues, mais aussi d’en diagnostiquer de nouvelles », explique Karim Daoud. Tous les cadavres d’animaux suspects, trouvés dans la nature, leur sont adressés.

Cette démarche est le plus souvent effectuée par les chasseurs, les particuliers étant très peu sensibilisés au sujet. Le réseau Sagir, constitué des fédérations des chasseurs départementales, de l’office national de la chasse et de la faune sauvage, et de l’Office français de la biodiversité (OFB), répertorie les cas de maladies chez les oiseaux et les mammifères sauvages terrestres présents sur le territoire national. En Île-de-France, on retrouve en particulier l’OFB, la mairie de Paris, la fédération de chasseurs de Seine-et-Marne (FDC 77), et la fédération interdépartementale des chasseurs d’Île-de-France (FICIF). 

 

 

Dès qu’un cadavre est trouvé, le réseau lui attribue un numéro et l’inclut dans sa base de données. L’animal est envoyé avec une fiche d’identification qui sera remplie après son autopsie et retournée au réseau. Cette base de données récupérée par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentaire et du travail (Anses) vient ensuite alimenter la plateforme nationale de surveillance épidémiologique en santé animale qui assure une veille permanente des risques au niveau national.

En complément de cette surveillance de la faune sauvage, les vétérinaires sont chargés des animaux domestiques. « Chaque vétérinaire a, ce qu’on appelle, un mandat sanitaire. C’est une mission d’intérêt public, en plus de la surveillance à caractère obligatoire de la propagation de certaines maladies. Ils sont, en fonction de leur spécialité, impliqués dans la santé des troupeaux ovins, bovins, caprins sur lesquels des analyses sont effectuées une fois par an », explique le docteur Laurent Perrin, directeur du syndicat national des vétérinaires d’exercice libéral (SNEVL).

On dénombre 18 000 vétérinaires sur tout le territoire français, et 6 000 cabinets cliniques. Quand un particulier leur apporte un cadavre d’animal, ce dernier est envoyé à un LDA qui transmettra les analyses et les conclusions de première intention à un laboratoire national de référence, en communication directe avec l’Anses. En Île-de-France. Ce laboratoire se trouve au sein de l’école nationale vétérinaire d’Alfort, dans le Val-de-Marne.

Un autre acteur inattendu vient s’ajouter au tableau : « En plus de la veille sur la faune du bois de Vincennes, et des recherches spécifiques à certaines maladies comme les coronavirus, nous récupérons les animaux perquisitionnés », explique Alexis Lécu, directeur scientifique et vétérinaire du parc zoologique de Vincennes. En tant qu’établissement public, le zoo est sollicité par la police nationale, les pompiers mais surtout les douanes –essentiellement celle de Roissy– qui leur envoient des animaux exotiques, souvent des singes. 

 

 

Le service vétérinaire effectue alors une série de tests et alerte en cas de risque. « Cela avait été le cas lors de la saisie d’un singe Magot qui avait atterri dans plusieurs commissariats. La fourrière n’en voulait pas, ils nous avaient finalement appelés », poursuit le vétérinaire. L’information sera ensuite relayée à la Direction départementale de la protection des populations (DDPP).

Un manque de moyen se fait ressentir

Pour autant, le manque de moyens rend les missions de veille difficiles, et parfois même incertaines pour l’avenir. Le Laboratoire régional de suivi de la faune sauvage est le seul laboratoire public de diagnostic vétérinaire en Île-de-France. Or sa trésorerie ne permettait pas de faire fonctionner correctement le laboratoire en 2020En 2020, il manquait 50 000 euros, auxquels s’ajoutent aujourd’hui 38 000 euros supplémentaires. « Les financements publics continuent de diminuer, ce qui, à terme, nous condamne à la fermeture« , s’inquiète Karim Daoud. 

 

«La disparition de ce laboratoire serait dommageable», relève Anouk Decors, responsable scientifique du réseau Sagir. Après avoir sollicité sans succès les conseils départementaux, qui octroient les financements, en février 2020, Karim Daoud adresse une lettre au président de la République. Il l’alerte sur l’importance de la surveillance des épidémies animales. Le directeur menace alors de fermer le laboratoire de Bondy, mais la réponse de Gilles Salvat, de l’Anses est cinglante : «Les principaux clients sont les élevages. Il n’y a pas de marché pour l’analyse des animaux en Île-de-France. Il n’y a pas lieu de doubler les compétences, quand il y en a beaucoup autour de soi », estime le directeur général délégué recherche et référence, et directeur de la santé et du bien-être animal à l’Anses. 

Le parc zoologique de Vincennes est aussi touché par ce manque de financements. « Quand nous effectuons des analyses sur un animal réquisitionné, les coûts se facturent à plusieurs milliers d’euros. Généralement les frais ne nous sont pas remboursés », explique Alexis Lécu. La seule alternative est la procédure judiciaire avec le remboursement des frais de justice, la seule fois où cela a abouti, remonte à 1993. Autre bémol, les données ne sont pas mises en ligne et visibles par tous en Île-de-France. 

 

La situation est différente dans le département de la Creuse, par exemple. « Toutes les données sont logées sur une même plateforme et visibles à n’importe quel moment par tous les acteurs », explique Stéphane Quinio, coordinateur départemental du réseau Sagir. En raison du grand nombre d’élevages en Creuse la vigilance est accrue. Par manque de moyens ou simplement par manque de sensibilisation au sujet, chaque territoire est libre d’investir ou de laisser la charge financière à d’autres. « Les autopsies, ça ne rapporte rien. Le LRSFS doit sa survie à des acteurs intéressés, comme les chasseurs, qui sont, de fait, des maillons indispensables », regrette Georges de Noni.

"Il n’y a pas de marché pour l’analyse des animaux en Île-de-France"

- Gilles Salvat, Anses

Un projet d'envergure

Le projet Prézode, annoncé lors du One Planet Summit le 11 janvier 2021, se veut le système de prévention des pandémies au niveau international et devrait démarrer en 2022. En France, sa coordination est supervisée par l’Institut national de la recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae), le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) et l’Institut de recherche et de développement (IRD). « Tous les acteurs participeront indirectement. Nous centraliserons tout au niveau de l’Anses. Nous ferons en sorte d’avoir un système informatique optimal, et des données lisibles par tous », annonce Gilles Salvat.

À Bondy, Karim Daoud, le regard vers l’horizon, laisse échapper une bouffée de fumée de cigarette en observant les corneilles qui se sont installées depuis quelques années autour du bâtiment. Le ciel est gris et le froid glace les os. Avec Georges de Noni, ils poursuivent la bataille et espèrent trouver des financements. « Peut-être devrait-on organiser un Zoonothon », ironise Georges de Noni. Si l’année prochaine ils n’équilibrent pas leur budget, le laboratoire mettra la clé sous la porte.

 

Les zoonoses, une affaire de plusieurs siècles

Depuis l’antiquité, le nombre des zoonoses est en constante progression. Cette fréquence atteint un pic dans les années quatre-vingt-dix. En effet entre 1940 et 2004, 330 nouvelles maladies infectieuses ont été découverte, dont 60% des zoonoses provenant essentiellement de la faune sauvage (Keller, 2012). Plusieurs facteurs rentrent en ligne de compte. Les phénomènes d’urbanisation. Les mouvements de populations que ce soit des individus qui peuvent être confronté lors de voyage à des maladies et devenir des vecteurs au retour dans leur pays. Ou bien des populations migrantes qui introduise ou diffuse des zoonoses endémiques de leur pays d’origine. Les méthodes agricoles avec l’intensification des productions animales. La mondialisation des échanges avec introduction d’ animaux par des particuliers qui méconnaisse ce phénomène. Et le changement climatique qui a tendance à rendre les milieux chauds et humide. Climat favorisant l’émergence de zoonoses encore inexistantes. Selon l’étude Zoonoses au plan mondial, enjeux et perspectives d’Hélène Chardon et Hubert Brugère, publiée dans Viandes et produits carnés, parue en novembre 2017.