Déprime à l'université : l'entraide s'organise

Par Anthony Planchais (texte) et Karine Péron Le Ouay (photos)

Depuis le début pandémie, 50% des étudiants disent souffrir d’isolement. Une solitude qui peut entrainer la perte d'un moyen de subsistance, le décrochage scolaire et jusqu'à la dépression. Pour leur venir en aide, des associations étudiantes s'engagent. Avec des moyens sommaires et des résultats mitigés.

«Je me sens moins heureux, plus sensible. J’ai l’impression de vivre comme un robot. » Casimir, 19 ans, est en classe préparatoire littéraire au lycée La Bruyère à Versailles. « Je ne peux plus voir mes potes. La routine s’est installée : métro, boulot, dodo », se lamente Benjamin, 19 ans, dans la même formation que Casimir. « Mes amis, je ne les ai vu que deux fois depuis l’année dernière. Le fait de voir toujours les mêmes personnes rend le tout pesant, souligne-t-il. Je me sens abattu après ces deux confinements plus le couvre-feu ». 


Cours à distance, solitude dans une chambre de 10m², absence de divertissement, éloignement familial, perte d’un job après la fermeture des bars et des restaurants. Les raisons ne manquent pas pour les étudiants de sombrer dans la déprime depuis le début de l’épidémie de Covid. Sans autorisation de sortir le soir entre amis, et devant assumer une charge de travail toujours aussi conséquente, la plupart des étudiants sont sévèrement impactés psychologiquement par la solitude. Certains sèchent les cours pour se reposer. D’autres plongent dans la dépression. Manon, 19 ans, en BTS Conception de produits industriels, dit ne plus avoir aucunes nouvelles de certains de ses amis en pleine déprime.

 

"La routine s'est installée : métro, boulot, dodo"

- Casimir, étudiant

Après un an d’urgence épidémique la moitié des étudiants disent souffrir de solitude ou d’isolement, selon une enquête menée par l’Observatoire national de la vie des étudiants entre juin et juillet 2020. Près d’un tiers d’entre eux (31 %) se disent en détresse psychologique. Pour leur venir en aide, des étudiants rassemblés en associations imaginent des dispositifs pour recréer du lien social : lignes d’écoute téléphonique, ateliers créatifs ou encore distributions alimentaires pour les plus défavorisés. 

 

La tranche d’âge des 18-25 ans représente une période à risque pour la santé mentale, constate Marie Hélène Acher, psychologue clinicienne au service de médecine universitaire de Rouen. « Il s’agit d’une période de construction identitaire nécessitant un environnement structurant et rythmé qui a disparu avec les cours virtuels », observe-t-elle. A Rouen comme dans beaucoup de grandes villes, les hospitalisations en pédopsychiatrie au CHU ont doublé depuis le premier confinement. Le service de médecine préventive en milieu universitaire est actuellement confronté à l’augmentation de trois types de troubles : les troubles alimentaires, les violences sexuelles et intrafamiliales et les troubles anxio-dépressifs qui se traduisent par un épuisement, des angoisses, des troubles de l’attention et des troubles du sommeil pouvant aboutir à une crise suicidaire.

 

De manière surprenante, les différents Crous n’accueillent plus les étudiants depuis le début de l’épidémie. Il est devenu impossible de rencontrer des membres de l’organisme, sinon par mail ou téléphone. Malgré le contexte qui accroît la précarité des étudiants, certains continuent à être expulsés de leur chambre universitaire pour non-paiement régulier.  

 

 

 

Du divertissement
pour contrer l’isolement

Dans un petit local situé à l’intérieur de la cité universitaire de Nanterre, des étudiants de l’association Arene (Association des résidents de Nanterre) ont installé un atelier couture avec deux machines pour leurs camarades. Ils sont reçus dans une salle conviviale avec des étagères de livres et des jeux de sociétés, trois tables, deux canapés. Sur une table, une pétition pour l’ouverture d’un café social compte une dizaine de signatures.

 

Mélissa, 21 ans étudiante en LLCER Anglais, a rejoint l’association il y a peu. C’est Julien, un de ses amis, qui l’a invitée à se joindre au groupe et participer à une soirée crêpe en septembre. L’association Arène informe sur ses activités via Facebook et Instagram, ainsi que sur des affiches collées dans le hall et la cuisine de la cité universitaire. « C’est grâce au groupe Facebook que j’ai appris qu’un atelier couture était prévu », révèle Nandy, 23 ans, en master de comptabilité. C’est la première fois qu’elle participe à l’atelier.  « Ça fait du bien de passer un moment de détente au sein du groupe », confie-t-elle.

Des distribution de paniers-repas
permettent d'identifier les cas critiques

 La crise et ses conséquences économiques ont donné envie à 79% des étudiants d’être plus solidaire envers les autres. D’après une enquête réalisée par Fage-IPSOS en Juillet 2020, 36% des étudiants ont, depuis le début de la crise sanitaire, participé à des actions de solidarité. « On crée des ateliers pour favoriser la discussion et le partage », explique Julien, responsable de l’organisation Arène et étudiant en master 1 linguistique. L’association a organisé le 23 janvier 2021, une distribution alimentaire à l’université de Nanterre avec le Collectif Des Agents des Collectivités Honnêtes (CACH).

 

Basée dans le 13ème et le 18ème arrondissement de Paris, l’association Agoraé propose elle aussi des distributions alimentaires pour les étudiants en précarité. Ces derniers ont la possibilité de faire leurs emplettes dans ces « mini market » conçus spécialement pour eux.

 

A l’intérieur de ce petit local en bois du 18ème arrondissement de Paris pouvant accueillir trois personnes maximum, dix-huit casiers contiennent de la nourriture et des produits d’hygiène. Manon y choisit quelques produits : une boîte de petits pois, des raviolis, un paquet de pâtes et de céréale, des yaourts. Tout en déposant ses futurs achats à la caisse, elle discute de manière amicale avec le bénévole présent sur place.

 

« Habituellement, je vais dans l’épicerie du 13ème, explique-t-elle. Les gens ne comprennent pas que les étudiants souffrent des confinements, du couvre-feu et des problèmes financiers. » Parler avec les bénévoles de l’association lui permet de se sentir un peu mieux.

"On se doit d'agir et c'est l'objectif de Co'p1"

- Ulysse Guttman Faure, Président de Co'p1

Sofia, 25 ans, étudiante en droit administratif fait la queue pour aller prendre ses produits alimentaires. Elle a connu l’existence de l’association Co’p1 la semaine dernière. Elle aussi est ici à cause de problèmes financiers. « Ils ont mis à peine une journée pour me répondre, c’était rapide. Discuter avec les bénévoles c’est plutôt plaisant dans cette période», précise-t-elle.


« Avec la fermeture des commerces, la perte de boulot des jeunes ou de leurs parents, il est obligatoire de faire quelque chose pour améliorer la situation des élèves, cela devient urgent ! », s’alarme Ulysse Guttman Faure, Président de Co’p1, qui a ouvert en septembre 2020. Ici, il n’y a pas de critère pour entrer, hormis d’être étudiant. « Le tutoiement soulève les barrières et favorise la discussion », ajoute-t-il. D’autres associations comme Le Chaînon Manquant et Pâtisserie Solidaire participent aux opérations en fournissant des aliments à l’association.


Deux fois par semaine, nous faisons cette distribution alimentaire et c’est 500 étudiants qui viennent chercher leurs repas », constate Guttman Faure. Il précise qu’un quart des étudiants deviennent bénévoles. « On se doit d’agir, c’est l’objectif de Co’p1 », explique-t-il pendant que les bénévoles distribuent des boissons chaudes aux jeunes qui font la queue à l’extérieur du bâtiment.

 

Au-delà de l’aide alimentaire d’urgence, ce dispositif permet de repérer les jeunes en grande détresse. L’association Co’p1 a mis en place un pôle de suivi via Whatsapp. Les jeunes peuvent laisser leurs coordonnées afin de se faire recontacter s’ils ont besoin de discuter. Une bourse à l’emploi appelée « bon plan travail » a été instaurée.

 

Des contacts à distance
pour contrer la détresse

Selon l’enquête Fage-IPSOS, 64% des jeunes disent avoir ressenti le besoin de se confier à quelqu’un, d’être écouté, une détresse psychologique. Près d’un quart d’entre eux admettent avoir eu des pensées suicidaires.

« Cette précarité et cette détresse ne datent pas d’aujourd’hui mais elles se sont accentuées », observe Cécile Thevenet, Attachée de presse de la Fédération des Associations Générales des Étudiants. Pour les étudiants qu’on ne voit pas, certains bureaux des élèves mettent en place des opérations sur Internet : des vidéos en direct retransmises sur Instagram, des forums de discussions sur la plateforme Discord ou encore des activités cuisine collective en ligne.

 

Des hotlines nocturnes, les « Night Line » ont été créées pour  accompagner les jeunes en détresse psychologique. « Les lignes sont saturées » constate Cécile Thevenet. 

 

Des résultats mitigés

Le fait que de nombreux jeunes profitent pour devenir eux même bénévoles est un signe encourageant estime Manon, qui participe à des  distributions de repas chaud avec Agoraé : « J’ai été surprise par la quantité de personnes qui attendaient. Il y en avait entre 500 et 600. Je compatis à ces souffrances. Ça me fait plaisir d’apporter du soutien aux autres. Les étudiants ne viennent pas spécialement pour parler, mais ils sont heureux de reconnaitre les habitués. »

 

Les bénéficiaires ne sont pourtant pas toujours convaincus par ces actions. « Elles forcent à rassembler des étudiants qui ne se connaissent pas pour créer un semblant de lien social. Je ne m’y rendrais pas, même si cela peut en aider certains », estime Casimir, qui se dit plutôt à la recherche d’une « véritable vie sociale».

 

Dans sa petite chambre d’étudiant, Casimir a dû s’adapter tant bien que mal à la vie confinée, lui qui pratique le sport de manière intensive. A l’aide d’une poutre en bois pour ses tractions, d’une paire de poignées pour ses pompes et de deux haltères, il fait ce qu’il faut pour garder la forme et ne pas se laisser aller à la déprime. Mais combien d’autres sont toujours en danger à cause de l’isolement ?