Le monde suivant

Médialibre 2022

Du vin en Normandie


Un jeune exploitant fait revivre la vigne sur les coteaux de Giverny. Récit d’une aventure humaine et patrimoniale avant la première vendange prévue cet automne.

Des vignes en Normandie, une hérésie ? Bien au contraire. Si ce terroir ne peut s’enorgueillir d’aucune appellation d’origine contrôlée (AOC), la région était encore, il y a cent cinquante ans, une terre viticole. Ce passé, Camille Ravinet a décidé de le ranimer en recréant un vignoble à Giverny. Tout débute par un projet d’aménagement paysager dans un ancien manoir de la réserve naturelle des coteaux de la Seine. Camille Ravinet, alors paysagiste à plein temps, est « amené à réfléchir sur le passé de la région et sur son patrimoine ». Et là, surprise ! Il découvre que, jusqu’au XIXe siècle, la Haute-Normandie et l’Île-de-France comptaient les plus grands vignobles du pays – avant que le phylloxéra, le puceron ravageur de vignes, n’anéantisse l’ensemble des parcelles… C’est la révélation ! « J’avais depuis toujours sous les pieds les vestiges d’un passé viticole. J’ai décidé de le faire revivre », raconte-t-il.

Une carte postale datant du 19 ème siècle montre les coteaux de Giverny recouverte de vigne avec en contrebas l'église du village et quelques habitations.
Jusqu’à la fin du 19 ème siècle, la vigne est de partout sur les coteaux de Giverny. Photo : DR

Comment faire quand on ne connaît rien à la culture de la vigne ? Trouver tout simplement un vigneron qui veuille bien vous former ! De coups de fils en coups de fils, c’est le coup de cœur. Bruno Verret, un viticulteur chablisien, croit au projet de réintroduction de la vigne à Giverny et se propose d’accueillir Camille au domaine. Exploitant du Domaine Verret à Saint-Bris-le-Vineux, celui-ci transmet au jeune Normand les fondamentaux du métier. Plantation, taille, vinification… De la vigne au chai, le novice apprend tout sur le terrain, à marche forcée.

Financement participatif

La fleur devient petit à petit fruit, c'est la période de la nouaison à la vigne
Période de nouaison, la fleur devient fruit. Photo : Lionel Bret

Reste le problème de la terre. Après avoir retrouvé dans de vieux cadastres la parcelle exacte de Giverny sur laquelle poussait la vigne jusqu’au XIXe siècle, Camille Ravinet décide de relever le défi de replanter au même endroit, et en conservant l’orientation à l’époque. Mais le terrain, devenu prairie, n’est pas à vendre, et la location coûte cher. Faute de fonds personnels suffisants, le néovigneron décide de faire appel à une plateforme de financement participatif, MiiMOSA. Son initiative rencontre un franc succès : 150 contributeurs donnent près de 15 000 euros, de quoi payer le fermage (loyer) du terrain, l’achat des plants et leur mise en terre, la clôture, l’entretien courant des vignes, et même un peu plus. En contrepartie, chaque donateur recevra une ou plusieurs bouteilles.

Le travail de labour avec un cheval permet de moins tasser la terre qu'un gros tracteur.
Travail de labour au cheval pour ne pas tasser la terre. Photo : Camille Ravinet

Réhabilitation du patrimoine

« Mon objectif, c’était de retrouver l’identité paysagère d’alors, de cultiver un patrimoine vivant », explique le jeune vigneron. Mais, avant de cultiver, il faut analyser les sols, puis planter 5 pieds « tests » afin d’observer le comportement et le développement de la vigne et ainsi sélectionner le porte-greffe le mieux adapté. Le choix s’arrête sur le cépage chardonnay pour sa relative neutralité aromatique qui permet au terroir de s’exprimer pleinement. Quant aux pieds de vigne, ils proviennent de Haute-Savoie, parce qu’il les fallait résistants au vent et aux très basses températures. Voilà comment, depuis 2019, dans le prolongement de la réserve naturelle nationale des coteaux de la Seine, juste derrière l’église Sainte-Radegonde, sur la parcelle de 80 ares Les Vignettes, 6 400 pieds de vigne exposés plein sud surplombent la maison de Claude Monet, à 150 mètres au-dessus de la Seine.

L'église Sainte-Radegonde de Giverny pointe son clocher juste en dessous des rangs de vigne.
Les vignes surplombent l’église Sainte-Radegonde de Giverny. Photo : Lionel Bret

Météo yoyo

La préservation de l’environnement et du vivant est au cœur du projet de Camille Ravinet, qui s‘engagé dès le début en agriculture biologique. Le labour s’effectue au cheval. « Cela permet de ne pas tasser les sols et d’effectuer un travail précis, sans pollution sonore ni atmosphérique. » Le reste du temps, le binage des mauvaises herbes se pratique à la main avec l’aide sporadique d’outils mécaniques légers. Pas de tracteur donc, pas de produits chimiques non plus. Les pulvérisations de décoctions de plantes ou de bouillie bordelaise, toujours en faibles quantités, permettent d’écarter certains parasites. Un bon moyen, selon Camille Ravinet, « de préserver la faune et la flore auxiliaires qui seront à terme bénéfiques pour les vignes ».

Il a néanmoins fallu composer avec les éléments extérieurs et quelques imprévus, notamment des hivers plus doux et des printemps plus chauds sous l’effet du changement climatique. En conséquence, la vigne a commencé son cycle végétatif trois à quatre semaines plus tôt qu’auparavant. À priori, rien d’alarmant. Sauf que, après trois années de développement quasi normal, patatras ! Au printemps 2021, une vague de froid s’est abattue sur la France. Le gel a détruit la vigne, particulièrement vulnérable au moment de l’apparition des bourgeons et des jeunes feuilles. Il n’y a rien eu à sauver. La première vendange, prévue à l’automne 2021, est réduite à néant. Cependant, le jeune vigneron ne renonce pas à ses convictions et poursuit sa démarche pour donner son identité à sa cuvée.

Camille Ravinet évoque la vinification et l’identité gustative de son vin

Privilégier le circuit court

« Ce vin ne ressemblera à aucun autre », affirme-t-il. Le terroir, le mode de culture et les techniques de vinification laissent en effet présager un vin de qualité. Le sol argilo-calcaire, composé d’alluvions anciennes, de silex et de coquillages, devrait lui conférer une bonne minéralité avec une belle tension. Un chardonnay sec, avec des notes iodées. Les bouteilles seront commercialisées par les restaurants et les cavistes de Giverny, de Vernon et des alentours pour favoriser un circuit court, toujours dans l’optique d’une agriculture moderne et écologique, proche des nouveaux modes de consommation.

Pause dans les vignes pour Camille entre deux sessions de débroussaillage.
Pause fraîcheur au milieu des vignes pour Camille Ravinet. Photo: Lionel Bret

Quelques professionnels ont déjà manifesté leur intérêt, comme le chef étoilé David Gallienne, vainqueur de l’émission « Top Chef » 2020 et propriétaire du Jardin des Plumes à Giverny. Le jeune vigneron compte également sur la manne des 800 000 touristes venus du monde entier chaque année pour visiter le village de Giverny, le musée des Impressionnismes, la maison de Claude Monet et son jardin, pour faire découvrir cet autre aspect du patrimoine vivant local. Mais, attention ! la cuvée des Vignettes n’a pas pour vocation d’inonder le marché. Bien au contraire. Camille Ravinet entend privilégier la qualité tout en développant la valeur patrimoniale et culturelle du domaine. La production sera de plus ou moins 6 000 bouteilles, un volume en adéquation avec des méthodes de travail artisanales. Avant de pouvoir acheter et déguster le fameux breuvage, il faudra attendre la première vendange, à l’automne 2022 et la fin de la vinification en cave. Les premières bouteilles devraient être commercialisées d’ici à la fin 2023.