En Mayenne, trois centres d’art contemporain prennent place dans des lieux historiques chrétiens du Grand Ouest de la France. Leur mission est de faciliter l’accès à la culture en province et de fournir des espaces de création aux jeunes artistes.
Sur un mur du Centre d’art contemporain de Pontmain, en Mayenne, Lou Roy a dessiné quatre enfants de l’école Saint-Michel, des « incarnations organiques » de la nature, mélange de végétal, d’animal et d’humain. L’artiste a installé son exposition depuis le 1er avril 2022. Elle partage l’espace avec Sarah Lück, formée comme elle dans une des écoles des beaux-arts de Bretagne (Quimper pour la première, Rennes pour la seconde). La plasticienne allemande assemble des objets trouvés et récupérés pour concevoir des sculptures et des installations, et elle invite à percevoir, dans ses amalgames aux textures diverses, une représentation de « l’utopie ».
Les deux créatrices succèdent à 200 artistes ayant exposé dans cet endroit depuis plus de vingt ans. Pontmain, commune d’environ 800 habitants nichée dans le bocage mayennais, n’est pourtant pas célèbre pour ses amateurs d’art contemporain, mais comme lieu de pèlerinage depuis l’apparition de la Vierge il y a cent cinquante ans. Dans les années 2000 à 2019, alors que les églises se vident, ils sont encore entre 3 500 et 5 000 croyants à se déplacer pour l’Assomption, le 15 août. Le Centre d’art contemporain de Pontmain ouvre en juillet 1999 et incite, jusqu’en 2004, les artistes à s’inspirer du sacré. Un exercice, et des édifices, qui inspirent particulièrement certains artistes, tel le Nantais Régis Perray.
Malgré la présence de la gigantesque basilique Notre-Dame qui domine le village, le musée va rapidement peiner à se renouveler. « L’art sacré, on en a finalement vite fait le tour », glisse un responsable de la médiation culturelle qui a suivi le projet depuis ses débuts. C’est ainsi que, dès 2005, le musée s’est orienté vers la création contemporaine, païenne certes, mais ouverte à un imaginaire plus vaste. Et comment ne pas tenir compte de l’environnement ? Lou Roy, au terme de sa résidence, confiait ainsi au Courrier de la Mayenne, le 8 avril 2022 : « J’ai été inspirée par la dimension rurale, mais aussi par la basilique, l’histoire de l’apparition [de la Vierge], le côté sacré. J’ai retiré l’aspect religieux pour y mettre mes préoccupations. »
Faciliter la création et l’accès à la culture
Si le musée de Pontmain offre son espace aux créateurs en devenir, il n’a pas pour but de créer des collections. En effet, un Centre national des arts plastiques (Cnap) facilite la mise en place d’expositions, conçues pour le lieu ou provenant en tout ou partie de musées, mais n’est pas lui-même un musée. Il permet aux artistes émergents de lancer une carrière artistique, ou tout au moins de s’essayer à l’exercice et de se constituer un réseau. Il propose également un accès à la culture au plus grand nombre, y compris aux scolaires, par le biais d’actions de médiation culturelle. L’objectif est de décentraliser la culture, de l’amener au regard du public.
Cette vocation multiple, bien que commune à tous les Cnap, n’est pas figée. Comme le définit d.c.a., l’Association française de développement des centres d’art contemporain, qui fédère ces centres culturels, « leur champ d’action varie d’un lieu à l’autre, en fonction de leur financement et de leur situation, en centre ville, en zone suburbaine ou rurale ». De ce fait, il existe « une grande diversité au niveau de leur histoire, taille, contexte géographique et sociologique ».
68 Cnap en France, 3 en Mayenne
Depuis les années 1970, la France a vu éclore soixante-huit Cnap, dont trois en Mayenne. La particularité de ce département est qu’ils sont tous hébergés dans d’anciennes enceintes religieuses ou qu’il profite de la notoriété d’un site de pèlerinage, comme c’est le cas à Pontmain. Au sud, à Château-Gontier, l’ancien couvent des Ursulines abrite à la fois une scène nationale et un centre d’art contemporain. Au nord, à Mayenne, c’est la chapelle des Calvairiennes qui joue ce rôle. C’est ici que le directeur artistique du centre d’art contemporain Le Kiosque, Mathias Courtet, vient d’accueillir une exposition-atelier du centre Pompidou, « Le Geste et la Trace ». Dès l’âge de deux ans, le visiteur peut utiliser les installations pour dessiner ou bien imprimer dans le sable des formes géométriques mises à sa disposition, inspirées des tracés des premiers bâtisseurs.
La volonté du directeur, dans la continuité du projet initial, est qu’un artiste, qu’il soit invité à exposer ou en résidence, s’empare de ce lieu particulier, lui donne son identité, et que des œuvres plastiques ou graphiques délivrent « des sensations » aux visiteurs entre les vieilles pierres de l’édifice monacal. La conception de l’art de Mathias Courtet est simple : que ses contemporains vivent un sacré bon moment.
Mais finalement, comment définir l’art contemporain ? « Cela englobe toutes les productions depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, époque à laquelle on acte la fin de l’art moderne, retrace le directeur artistique. Peintures, sculptures, installations, etc. appartiennent à ce même ensemble. Ensuite, c’est l’Histoire qui fera que certains artistes, certaines œuvres resteront, et qu’une répartition sera faite en courants, selon les influences des uns et des autres. » Il souligne qu’en plus d’un siècle, rares sont les courants qui ont, justement, pu être définis par leurs contemporains : ce fût le cas du pop art, lancé par Andy Warhol, courte période artistique inspirée de l’avènement de la société de consommation, et au début du XXe siècle, du cubisme, vision des formes née de l’émulation entre Picasso et Braque. Une querelle de chapelles, pourrait-on dire.
« C’est aussi une révolution artistique majeure, mettant à mal le culte de l’artiste solitaire et du « beau métier ». Ils utilisent et détournent des objets et matériaux pauvres, du quotidien ou industriels : morceaux de papier peint ou de journal, paquet de cigarettes, sable, sciure de bois, limaille de fer… » peut-on lire sur le site du Grand Palais, à Paris.
Artistes et designers lèguent aux générations futures de nouvelles formes, objets ou méthodes qui, avec le temps, modifient le regard des hommes qui peuvent leur donner un utilité au quotidien. Le créatif pose parfois avec ironie ou cynisme un œil sur son époque. Les bâtisseurs d’églises s’amusaient à dissimuler des messages ou signatures graphiques sur les pierres taillées, à l’insu des souscripteurs. Tandis que les financeurs, ou collectionneurs plus récemment, transgressent par ignorance, incompréhension ou encore vanité l’essence même d’un ensemble d’œuvres ou la vocation d’un lieu.
Ainsi, les Calvairiennes refusaient de prier devant l’ostentatoire reliquaire installé dans leur chapelle, cinquante ans après sa construction. Elles prenaient place dans le chœur séparé d’un mur où aucune image, quelconque représentation ou couleurs n’avaient sa place. Comble de l’ironie, dans les années soixante-dix la chapelle de Mayenne aurait pu être démolie, et ne dut son salut qu’aux Monuments historiques, qui classèrent le fameux reliquaire. Pour le conserver quam maximum temporis. Avant qu’elle n’abrite des artistes païens, dans les années 2000.
Quelle que soit l’œuvre, « je n’utilise jamais le mot « beau » », confie Mathias Courtet. « On est dans l’humain, chaque personne est différente. J’espère seulement que les cabanes des enfants seront toujours aussi chouettes que celles des frères Chapuisat. » Ils avaient fabriqué une de leurs fameuses constructions en bois, au milieu de la chapelle, en 2015.