Professeure de science politique à la Sorbonne, Delphine Dulong vient de publier « Premier ministre » chez CNRS Éditions. Elle revient pour Est-Actu sur l’évolution de ce rôle sous la Ve République.
par Cécile Pirou
Delphine Dulong nous invite chez elle dans le 20e arrondissement, à Paris, afin de s’entretenir sur son dernier ouvrage, aux éditions CNRS, intitulé Premier Ministre.
Que vous inspire l’élection présidentielle à venir ?
Delphine Dulong : De la consternation. À gauche comme à droite, on est dans la continuité d’un processus d’éparpillement des votes qui a commencé depuis les années 80. Malgré le filtre renforcé des 500 parrainages dans 30 départements, instaurés en 1977, les candidats restent trop nombreux. Avant 1981, les deux principaux candidats cumulaient plus de 50 % des voix au premier tour. Après 1981, ce n’est plus le cas. En 2017, Emmanuel Macron n’obtient que 24,01 % des voix. Ce qui signifie qu’il n’est que le premier choix de moins d’un quart des électeurs. Les présidents sont ainsi élus sur un programme qui n’est partagé que par une minorité. Tout cela contribue à la crise de la représentation, d’autant que les locataires de l’Élysée sont tout sauf issus du peuple. Ils n’ont aucune idée de ce que c’est de vivre avec un Smic. Ils ne peuvent que se mettre à dos une majorité de Français.
Pensez-vous que le statut du Premier ministre, qui s’est retrouvé relégué au second plan, comme vous l’expliquez dans votre livre, serait une des causes du désintérêt politique des Français ?
L’histoire du Premier ministre est centrale pour comprendre la Ve République car elle raconte comment le système a été dévoyé. Depuis De Gaulle et l’élection présidentielle au suffrage universel direct en 1962, le Premier ministre, nommé par le président, se retrouve moins légitime. Cette décision va profondément transformer le fonctionnement du régime. Aujourd’hui, le président n’est plus un arbitre suprême au-dessus des guerres partisanes. On se retrouve avec deux chefs de la majorité potentiellement rivaux. Cela produit du conflit là où il devrait n’y avoir que de la coopération. Pour éviter le conflit, les présidents choisissent leur Premier ministre sans autorité politique, comme Castex. La fidélité est devenue le principal critère de leur sélection. Nous sommes alors en permanence dans la culture du soupçon, largement relayée par certains médias qui contribuent à ce dévoiement en soulignant les rivalités. C’est pour démontrer que le problème est plus compliqué qu’une simple querelle de personnes que j’ai écrit ce livre.
Y a-t-il des solutions ?
Oui, sans changer de constitution, la plus simple serait de supprimer l’élection du président au suffrage universel direct et de revenir à un système où le président est issu d’un collège électoral, comme c’était prévu au départ. Une autre serait de retirer une partie de ses pouvoirs au président, notamment celui de nommer seul le Premier ministre, ou bien d’institutionnaliser la cohabitation car elle est plus équilibrée en terme de partage des pouvoirs. Mais on a tout fait pour ne plus l’avoir. On pourrait imaginer aussi une élection en binôme, président et Premier ministre, un peu comme aux États-Unis.
Allez-vous voter à l’élection présidentielle ?
Non, sauf si c’est Zemmour-Macron. Je suis intellectuellement convaincue que je ne dois pas aller voter et cautionner ce système, mais à chaque scrutin, je me sens obligée d’aller au moins à l’un des tours.