Créé l’été dernier, ce centre social qui accueille notamment une Amap et propose des débats autour de l’écologie serait, aux dires de certains, un dangereux repaire d’extrémistes.
par Maël Galisson
Les mains d’Anne-Charlotte passent énergiquement d’une caisse de légumes à l’autre. Un beau potiron, quatre poireaux, six oignons et une salade « pain de sucre » : voilà la composition d’un panier de l’Amap (Association pour le maintien de l’agriculture paysanne) de la Maison de l’écologie populaire (MEP) située dans le quartier de La Noue, à Bagnolet.
En ce début de soirée hivernale, Anne-Charlotte, la maraîchère, épaulée par Nathalie, Pricelaine et son fils Elias, s’affairent à servir les adhérents qui viennent récupérer leurs paniers. Le quotidien d’un centre social. Pourtant, depuis quelques semaines, la MEP, aussi appelée Verdragon, est devenue la cible d’une campagne de dénigrement initiée par des opposants locaux et relayée par des médias conservateurs comme CNews ou Causeur.
Choux gras de la presse de droite et d’extrême-droite
L’affaire commence quand un groupe d’habitants de Bagnolet dénonce dans une lettre ouverte adressée à la mairie le soutien des élus à Verdragon, qu’ils considèrent comme « une coquille destinée à héberger bien autre chose que la cause qu’elle prétend défendre ». Une cible en particulier : « Front de mères », un syndicat de parents, considéré par ces habitants comme « une entité militante politique qui diffuse une idéologie « racialiste », indigéniste et par conséquent antirépublicaine ».
Le courrier a fait les choux gras de la presse de droite et d’extrême-droite. Le Figaro décrit Bagnolet comme « un territoire miné par l’idéologie communautariste et « racialiste » ». L’éditorialiste de CNews Lydia Guirous voit dans le projet de la MEP « l’infiltration de l’islam politique qui utilise l’indigénisme, le « racialisme » et l’écologie pour détruire la République », quand Causeur titre « Le drapeau vert (NDLR : couleur de l’islam) flotte sur Bagnolet ».
« Rassembler le public des marches pour Adama et celui des marches pour le climat »
Ces médias ont-ils bien pris la peine de venir juger sur place ? Car, à la MEP, la réalité semble à mille lieux des clichés véhiculés par leurs discours. Verdragon a ouvert ses portes au début de l’été 2021. En plus de l’Amap, la MEP propose des projections ou soirées débats sur le changement climatique, ainsi qu’un atelier cuisine et un atelier radio. Une fois par semaine, Ben-Vinda Nsimba, stagiaire à la MEP, et sa collègue Syrine assurent le rôle d’écrivaines publiques pour aider les habitants dans leurs démarches administratives.
« Le projet est né en 2019 de discussions entre Alternatiba, mouvement citoyen et écologiste, et Front de mères », explique Gabriel Mazzolini, l’un des porte-paroles du lieu. « L’idée, c’était de parler d’écologie, mais en prenant en compte les problématiques des quartiers populaires, complète Ben-Vinda. Trop souvent, les mouvements écologistes oublient que les problèmes environnementaux sont aussi liés à des discriminations raciales. » En somme, « l’objectif visait à rassembler le public des marches pour Adama et celui des marches pour le climat », résume Gabriel Mazzolini.
« Faire passer les musulmans et les Arabes pour des islamistes et des indigénistes »
Verdragon a choisi de ne pas répondre aux attaques. « Ça ne sert à rien, à part faire gonfler la polémique », commente le porte-parole. « Leur idée, c’est de diviser : faire passer les musulmans et les Arabes du projet pour des islamistes et des indigénistes, et les écologistes pour des cache-sexes. » Lors de la dernière réunion du conseil municipal, la mairie a confirmé son soutien à Verdragon et renouvelé pour deux ans la convention de mise à disposition des lieux. Ben-Vinda prévient : « Nous, on est là, et tout ça ne nous fait pas peur. »