Ces supermarchés où tout se fait en ligne, jusqu’au retrait en magasin par des livreurs, fragiliseraient l’économie traditionnelle. Nous nous sommes rendus rue de Bagnolet, une artère commerçante du 20e arrondissement de Paris, pour nous rendre compte de l’impact de l’un de ces magasins sur les commerces proches.
par Meryll Suchet-Alexandre
Les « dark stores », ces supermarchés 2.0, proposent un acte d’achat entièrement dématérialisé, du choix des produits jusqu’à leur paiement. Tout se fait de chez soi, via des sites internet ou des applications. Emmanuel Grégoire, premier adjoint à la maire de Paris en charge de l’urbanisme, a dénoncé dans une tribune publiée dans le JDD du 18 décembre dernier les problématiques économiques et sociales qu’engendre la multiplication de ces « dark stores ». Sa critique souligne un temps de livraison réduit pour un profit maximal. « Les commerces de proximité ne sont absolument pas en mesure de faire face à [cette] concurrence », insiste-t-il. Emmanuel Grégoire s’élève en particulier contre l’ubérisation de ces entrepôts fantômes, les conditions précaires des livreurs, et la pollution sonore, visuelle et environnementale, entraînée par leurs nombreuses courses.
Entrée strictement interdite aux particuliers
Pour comprendre l’impact d’une telle boutique sur les commerces traditionnels, nous nous sommes rendus devant l’un de ces magasins sans devanture de l’enseigne Flink, situé rue de Bagnolet : une rue commerçante où primeurs et supermarchés sont nombreux. Sur place, une longue enseigne fuchsia signale le concept de ce magasin-entrepôt, vantant la rapidité des livraisons : « Vos courses enfin livrées en 10 minutes ! » Quelques livreurs entrent et sortent du lieu, à un rythme soutenu. Impossible de les y suivre, l’entrée est strictement interdite aux particuliers. Un employé sort pour ranger un peu mieux les vélos posés négligemment sur le trottoir. Aucun des salariés ne souhaite répondre à nos questions. Certains sont concentrés sur leur tâche, d’autres semblent méfiants. De l’extérieur, on peut apercevoir des préparateurs de commandes et de longues rangées d’articles. Tout s’active de manière mécanique. Rien ne vient gripper la machine. La notion de temps semble avoir disparu du lieu.
Le chiffre d’affaires n’a pas diminué
Dans les rues alentour, les commerces de proximité foisonnent : épiceries, supermarchés, primeurs. L’ employé d’un magasin bio range les étals. Des primeurs orientaux déchargent un camion de livraison. Tout bouge, s’active et discute. « Vous avez besoin d’aide ? » lance l’un d’eux. À la mention du nom de l’enseigne, Flink, tous attendent que nous développions. De toute évidence, ils n’ont pas identifié le lieu. Seule l’évocation de la couleur flashy de la devanture permet à certains de situer le magasin-entrepôt. Beaucoup d’entre eux n’ont d’ailleurs pas entendu parler des « dark stores ». Le concept évoque pour eux celui du drive de concurrents mieux établis. Certains tentent de comprendre nos interrogations. Car à l’exception d’un employé de supérette, tous sont d’accord : depuis l’ouverture de ce supermarché en avril 2021, leur chiffre d’affaires n’a pas diminué.