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Fabien Roussel, une "belle locomotive" pour les communistes
Dans le Béthunois désindustrialisé, les militants de Fabien Roussel tentent de regagner le terrain perdu au profit de l'extrême-droite ces dernières années. La nouvelle figure du parti communiste veut redonner un peu d'espoir à une classe ouvrière en souffrance.
Texte : Aurélie Marty – Photos : Delphine Lefebvre
David Thiébaut, Christian Duchateau, Jacques Delelis et Romain Sannier, militants communistes en tractage devant Aperam, une usine SEVESO specialisé dans l’acier, à Isbergues. Photographie de Delphine Lefebvre.
La fraîcheur de ce 17 février sur les berges du canal d’Aire, accentuée par les violentes bourrasques de la tempête Eunice qui s’abat sur les Hauts- de-France, n’entame en rien la bonne humeur de David Thiébaut. Militant communiste, il est posté à l’entrée du site de l’entreprise de métallurgie Aperam d’Isbergues, à 20 km de Béthune. Accompagné de Romain, Dominique et Véronique, le quadragénaire, air avenant et belle allure, profite de la pause méridienne pour distribuer aux salariés le bulletin des communistes du Pas-de-Calais. Effigie de Fabien Roussel en une, le tract de quatre pages attaque le gouvernement sur la hausse des prix, et les antennes locales des grands groupes comme Arc et Prysmian sur leur refus d’augmenter les salaires.
Ça motive les troupes
«Avec les copains, on organise nos plannings pour tourner sur les entreprises, explique David. Ici l’accueil est bon, il n’y a pas un conducteur qui n’ait pas baissé sa vitre. Notre candidat à la présidentielle est une belle locomotive. Ça motive les troupes !» Ce jour-là, Fabien Roussel, natif de Béthune, atteignait les 500 parrainages.
Les terres de la région ont payé un lourd tribut à la fermeture des mines de charbon, entre les années 1960 et 1990, après presque trois siècles d’exploitation. Le bassin houiller s’étendait sur 1 800 km2 des départements du Nord et du Pas-de-Calais, incluant notamment les villes de Béthune et de Lens, et a employé jusqu’à 220 000 personnes. Quelques décennies plus tard, les terrils, sombres masses coniques de schistes, se dressent encore dans le paysage et témoignent de cette histoire.
«Lorsque les fosses ont fermé, les pouvoirs publics ont investi dans l’industrie. Ils ont notamment donné de l’argent à Renault et Peugeot pour créer la Française de mécanique à Douvrin, le fabricant japonais de pneus Bridgestone a installé une usine à Béthune, et on a demandé aux mineurs de se reconvertir», raconte Jacques Delelis, oncle de Fabien Roussel et figure béthunoise du Parti communiste.
«On a eu des usines importantes, avec de gros effectifs, mais cette industrie ne remplaçait pas le charbonnage. Notre terre ouvrière a été démolie, tout comme la fierté des gens pour leurs mines», enchaîne Bertrand Péricaud, assistant parlementaire PCF de la sénatrice Cathy Apourceau-Poly. Ancien président de la commission du développement économique au sein du conseil régional, il se bat pour la défense de l’industrie française et le maintien de l’emploi.
Ancien site industriel de Bridgestone, à Béthune dans le Pas-de-Calais, qui a définitivement fermé ses portes le 30 avril 2021, suite à une délocalisation en Pologne. Photographie de Delphine Lefebvre.
LA FRANCE A TIRÉ UN TRAIT SUR L’INDUSTRIE
Aujourd’hui, une nouvelle mue économique est engagée. Les délocalisations s’accentuent. «La France a tiré un trait sur l’industrie et a fait le choix de la finance, du tourisme, de la logistique, déplore Bertrand Péricaud. Les grands groupes mettent en concurrence leurs sites français avec ceux situés en Pologne, Hongrie ou Roumanie. Ils préfèrent utiliser le réservoir de main-d’œuvre qu’offrent ces pays.»
Chez Stellantis, qui regroupe depuis 2021 Peugeot et Fiat, on choisit de fabriquer désormais les moteurs en Hongrie plutôt qu’à l’usine de Douvrin. Une nouvelle entité a été créée, ACC, qui installe sur le terrain voisin son usine flambant neuve de batteries électriques. Pour faire face à la transition énergétique, assure la direction. Plus de 1 000 emplois sont menacés.
Le combat judiciaire d’ex-salariés de #Bridgestone #Béthune continue en appel.... https://t.co/HG2OLM3B9r pic.twitter.com/WRQkalLUWz
— Voix du Nord Bruay (@vdnbruay) January 27, 2022
«Ce sont pourtant les ouvriers qui font la richesse d’une entreprise, considère Christian Duchateau, militant de la fédération PCF de Béthune. Le travail a une valeur inestimable.» Ce dernier a subi la fermeture de l’usine Bridgestone en avril 2021, quand 863 employés avaient été licenciés. À 58 ans et après trente-huit ans de «boutique», il a pu devenir référent au sein du cabinet de reclassement mis en place et aide ses anciens collègues.
«La direction nous paie pour qu’on parte en retraite, préretraite… On est alors rangé dans la case “en solutions”. Mais l’argent ne répare rien. Il y a beaucoup de salariés en détresse, des dépressions, des divorces, certains ont même fait de la prison. Un camarade s’est suicidé la semaine dernière. C’est la violence du capital.»
MERCI Cathy @Apourceau pour ton formidable travail et ce beau discours. Le Pas-de-Calais est fier de toi, fier de nous, @jheureuxcalais @PCF62 @mjcf62 @PCF @deputesPCF @senateursCRCE pic.twitter.com/QKF3vUCnV4
— Guillaume Denis Charles FOURNIER (@CIEPAC_2012) February 24, 2022
Cathy Apourceau-Poly, sénatrice PCF du Pas-de-Calais, est inquiète pour les «copains». Elle suit de près, avec Bertrand Péricaud, la situation de ces entreprises et connaît bien les ouvriers qui y travaillent. «Ils ont exercé le même métier toute leur vie, on ne les a pas fait évoluer, et ils se retrouvent à faire un CAP de menuiserie à 52 ans. On promet le même emploi à tout le monde !» Et de fustiger les choix politiques de l’État qui bouleversent les orientations économiques : «La France ne peut pas être qu’une société de services. Ce sont les industries qui produisent les richesses !»
Antonin Édoire, secrétaire fédéral des Jeunes Communistes du Pas-de-Calais, dans les locaux du Parti communiste de Lens, à deux mois des élections. Photographie de Delphine Lefebvre.
Le siège du PCF de Lens est une grande et élégante bâtisse de briques, au pignon à gradins. Dans un des bureaux, des affiches de campagne du candidat Fabien Roussel attendent d’être collées, et des tracts annonçant un meeting dans une ville voisine, Avion, sont prêts à être distribués.
Antonin Édoire tient une permanence une journée par semaine. À bientôt 20 ans, il est déjà secrétaire fédéral des Jeunes Communistes du Pas-de-Calais, et ce depuis octobre 2020. «On fait beaucoup de tractages en ce moment. Notre campagne est en très bonne voie.» Étudiant à la Faculté des sciences, il se destine à l’enseignement. Antonin décrit les angoisses des vingtenaires, liées à l’ombre persistante du chômage et aux questions écologiques. «Le programme de Roussel rassure, séduit par son progressisme. Il fait de l’emploi un de nos fondamentaux.»
Cédric Delelis et Emeline Delplanque, 26 et 25 ans, sont à l’origine de la réouverture de la section communiste de Divion. Très engagés dans la vie locale, leur porte reste ouverte à qui le souhaite. Photographie de Delphine Lefebvre.
Ici, la misère s’est installée
«Fabien, c’est le renouveau, il a redonné de la dignité au communisme, alors qu’on n’était plus à la mode. On sent le mouvement renaître», confirme Émeline Delplanque, 25 ans. À Divion, aidée de son compagnon Cédric Delelis, 26 ans, neveu de Fabien Roussel, elle a remonté il y a un an une section communiste.
«Ici, la misère s’est installée.» Cet automne, les deux jeunes militants se sont rendus dans la Cité des musiciens, un quartier populaire à l’abandon, rencontrer les familles qui vivent dans ces anciens corons. «Ils sont délaissés ; on peut les aider, pour leur recherche d’emploi ou pour la réhabilitation de ces logements parfois insalubres, faire bouger les choses.» Comme Antonin et ses camarades de Lens, ils discutent beaucoup avec les populations défavorisées, font du porte-à-porte, tentent de redonner «foi en la politique» et de «semer leurs graines».
L’extrême droite s’est installée avec la montée du chômage dans cette région historiquement «rouge», à tout le moins ancrée à gauche. «Ils se trompent de colère. C’est facile de détester l’autre.» Face à ce vote identitaire, le combat est constant, et porte ses fruits, assurent-ils. Quatre cantons reconquis aux dernières élections départementales. Peut-être l’amorce de jours heureux pour les Pas-de-calaisiens.
"L'image d'un bastion frontiste est erronée"
Pierre Wadlow, en troisième année d’une thèse sur la politisation des classes populaires dans le bassin minier, analyse l’électorat dans le Pas-de-Calais.
« Dans le Pas-de-Calais, la perte d’influence des partis de gauche s’est accélérée dans les années 1980-90, avec la fermeture des mines. Et l’extrême droite en a profité. Cependant l’image d’un bastion frontiste est erronée. Aux élections locales, le Rassemblement national n’obtient pas des scores aussi importants qu’à la présidentielle. À peine deux mairies sur une centaine sont d’extrême droite. Les autres villes sont très largement dirigées par la gauche. À Lens, le maire – étiqueté PC/PS – a été élu au premier tour aux dernières élections municipales de 2020. Le RN n’arrive pas à transformer les bons scores qu’il réalise à l’échelle nationale.
On observe par ailleurs que le vote frontiste est très minoritaire dans les classes populaires. L’électorat RN est plutôt issu des populations de droite, les classes intermédiaires, ou chez celles installées récemment dans la région. Et les partis de gauche bénéficient d’un important réseau associatif et militant. Cela se traduit dans la campagne que mènent les candidats de gauche, qui misent sur des enjeux locaux alors que l’extrême droite s’appuie sur une personnalisation du pouvoir, incarné par Marine Le Pen. »
Le discours populiste, xénophobe et anti-mondialisation du RN aurait convaincu des électeurs gauche à se rallier aux thèses frontistes. Le bassin minier de Lens montre une réalité plus nuancée.
Pierre Wadlow, doctorant en science politique au laboratoire de recherche de l’Université de Lille.