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Pays-Bas / Droits des étrangers /

Travailleurs domestiques et migrants aux Pays-Bas : la reconnaissance des uns pour la régularisation des autres
22 avril 2009 par Johanne

Le 4 décembre 2008, s’est tenue à Amsterdam une conférence internationale intitulée "La ménagère mise au placard : la place des étrangers dans le ménage hollandais" (De huishoudster uit de bezemkast : Buitenlandse hulp in het Nederlandse huishouden). L’article qui suit reprend certains points discutés à l’occasion de cette conférence, enrichis de la réflexion entamée le 3 octobre 2008 lors d’une réunion d’experts portant également sur la situation des travailleurs domestiques étrangers.

Les experts présents lors de la Conférence du 4 décembre 2008 sont partis d’un même constat. Les femmes hollandaises, ordinairement chargées des tâches ménagères, embauchent à présent des personnes pour s’en occuper à leur place dès lors qu’elles travaillent à l’extérieur de leur maison. Dans les grandes villes, cette personne est souvent un étranger, souvent en situation irrégulière. Bien qu’il s’agisse d’un travail, nombre de ceux qui l’exercent ne peuvent bénéficier ni d’une couverture sociale ni d’un permis de séjour faute de déclaration de cet emploi, ce qui est souvent le cas. Secteur, par conséquent, largement informel. Cette situation s’accompagne régulièrement de mauvaises conditions de travail et de rémunération, voire de graves abus. Le travail domestique échapperait ainsi à toute réglementation ou professionnalisation.

Cependant, à y regarder de plus près, le fait que le travail domestique échappe au droit commun du travail serait moins le fait de ceux qui l’exercent et en bénéficient que celui des lois l’encadrant. La question qui se pose n’est alors plus tellement celle de savoir comment régulariser les migrants exerçant cette activité mais plutôt de comprendre pourquoi une telle activité connaît un statut si exceptionnel. La régularisation des migrants doués des compétences et de l’expérience nécessaires pour exercer ce métier ne doit plus, dans ce cas, être considérée comme le préalable de la reconnaissance du travail domestique comme un travail à part entière mais bien comme son effet logique.

Le travail domestique, une tâche pour les femmes

Pourquoi le travail domestique n’est-il pas considéré comme un vrai travail, comme une activité ayant une valeur économique significative, s’interroge Marjan Sax (cofondatrice de la Fondation Mama Cash soutenant financièrement les organisations défendant les droits fondamentaux des femmes). Pour répondre, il faut tout d’abord prendre acte de l’association qui est traditionnellement faite entre les femmes et les tâches ménagères. Selon Sarah K. van Walsum (co-auteur de l’ouvrage Women and Immigration Law : New variations on classical feminist themes, 2007), parce que les tâches au sein du foyer ont longtemps été considérées comme allant de soi pour une femme et comme n’exigeant aucune compétence particulière, leur valeur économique demeure encore aujourd’hui sous-estimée.

Indice de cette dévalorisation persistante du travail domestique, l’Etat hollandais appelle depuis peu les familles à prendre davantage en charge leurs membres âgés, malades ou handicapés afin de réduire les dépenses publiques en la matière. Par familles, il faut entendre les femmes, desquelles l’Etat attend un investissement bénévole à l’égard de leurs proches. L’assistance à domicile dans le secteur de la santé a par conséquent fait l’objet d’une réforme en 2007 ; elle a essentiellement eu pour effet de précariser les travailleurs concernés et d’en réduire le nombre.

Les professionnels de l’aide à domicile dans le secteur de la santé, révoltés par ce déni de leurs compétences, ont entamé une campagne pour la reconnaissance de leur travail. Betsy Albers - ancienne directrice du STING (organisation hollandaise pour les aides à domicile) - expose, à cet égard, les étapes d’une campagne visant à rendre visible le travail des aides à domicile : il s’agit non seulement d’identifier les différentes fonctions des aides à domicile en activité (assistance pratique du client, communication avec lui, etc.) et leurs besoins en formation afin de leur permettre de se perfectionner, mais aussi de rassembler travailleurs hollandais et étrangers (de plus en plus présent dans ce secteur) sous la même bannière.

Le travail domestique, une tâche pour les étrangers

Maintenant que l’association entre les femmes et un travail forcément dévalué tend à ne plus être aussi pregnante dans une société où un si grand nombre de femmes travaille hors domicile, la mauvaise image du travail domestique survit à ce changement de décors pour être désormais associée aux étrangers. Pour comprendre pourquoi, il suffit de préciser que la grande majorité des travailleurs domestiques étrangers sont des femmes.

Le droit hollandais relatif aux étrangers consacre la dévalorisation du travail domestique en maintenant les travailleurs domestiques étrangers dans la précarité, voire les expose aux abus et à l’exploitation. En les contraignant à travailler hors la loi, il les place en effet dans une situation de vulnérabilité propice à de tels agissements.

Précisons que si le travail domestique est effectué par un étranger séjournant irrégulièrement aux Pays-Bas, aucune sanction autre que son éloignement n’est prévue par la loi hollandaise. Seul l’employeur doit payer une amende de 4 000 €. Rares sont les amendes en pratique, la Police et l’Inspection du travail accordant peu d’attention à ce genre d’infraction commises dans l’espace privé [1].

Pour obtenir le statut de salarié, le droit hollandais exige du travailleur domestique étranger de d’exercer ses activités pour le même employeur au moins quatre jours par semaine. Or, la plupart des femmes hollandaises travaillant à mi-temps, il est rare que des travailleurs domestiques soient employés plus de quelques heures par semaine par la même personnes.

Lorsque, exceptionnellement, un étranger souhaitant obtenir un permis de séjour comme travailleur domestique trouve à s’employer auprès de la même personne pendant 4 jours par semaines, d’autres obstacles doivent encore être dépassés. Tout d’abord, il doit prouver que son employeur le paiera le revenu minimum mensuel (pour 120h par mois). Ensuite, il doit être établi qu’aucun autre travailleur déjà sur place ne peut effectuer ce travail considéré comme non qualifié. Cela peut, par exemple, être le cas lorsqu’il est nécessaire de parler la langue de l’employeur, lui-même étranger, ou lorsqu’il s’agit de prendre soin d’un handicap ou d’une maladie exigeant une certaine expérience. Obtenir un permis de séjour en tant que travailleur domestique n’est donc pas chose courante.

Dans les cas rares où ils remplissent effectivement cette condition, ils demeurent partiellement exclus du droit commun du travail.

D’une part, l’employé domestique est supposé n’apporter qu’un revenu complémentaire au foyer. Il doit certes toucher le revenu minimum par heure et peut bénéficier de congés payés et d’allocations de retour à l’emploi, mais il n’est plus rémunéré après 6 semaines d’arrêt maladie [2].

D’autre part, l’employeur n’est pas exactement considéré comme un employeur ce qui justifie que ses responsabilités soient allégées : il ne paye aucune cotisation sociale (il ne finance donc pas la retraite de son employé), peut rompre à tout moment le contrat et laisse à son employé le soin de déclarer aux sevices des impôts le montant des salaires perçus [3].

Pour les étrangers destinés à travailler pour plusieurs employeurs, une autre voie peut être envisagée : celle du permis de séjour comme professionnel indépendant. D’autres difficultés sont alors rencontrées. La loi exige de ceux qui demandent un tel titre de séjour de présenter un projet professionnel en lien avec ses compétences, d’exercer une activité présentant un intérêt pour l’économie nationale et de prouver l’existence d’un capital conséquent. Difficultés souvent insurmontables.

Par conséquent, la plupart des travailleurs domestiques étrangers ne sont pas déclarés, en raison de l’irrégularité de leur séjour ou de leur travail, et ne bénéficient donc d’aucune couverture sociale. Double invisibilité, non seulement physique du fait de l’exercice de leur activité dans l’espace privé, mais aussi juridique.

Pour une reconnaissance du travail domestique

Si le mouvement des travailleurs domestiques migrants a, dans un premier temps, réclamé leur « régularisation », il a progressivement fait de la reconnaissance de l’ensemble de la profession le préalable de l’amélioration de leur sort. En effet, comme le rappelle Rhacel Salazar Parrenas (auteur de l’ouvrage Servants of Globalization : Women, migration and domestic work, 2001), l’expérience des travailleurs domestiques migrants régularisés en Espagne ou aux USA a montré qu’elles étaient les limites de leur seule régularisation.

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Ca passe mieux avec du beurre

Afin d’éviter que les travailleurs domestiques migrants n’optent pour un autre secteur d’activité, moins dévalorisé, les Etats tendent à conditionner la régularisation des travailleurs domestiques étrangers au respect du contrat les liant à leur employeur actuel. Le rapport de subordination entre le travailleur domestique et l’employeur devient de ce fait particulièrement prononcé. Selon Rhacel Salazar Parrenas, cela revient à asservir les travailleurs domestiques poussés à se plier à la volonté de leur employeur afin de ne pas perdre leur place, et la régularité de leur séjour avec. Cette situation n’est pas sans rappeler celle des travailleurs saisonniers étrangers dans plusieurs des Etats membres de l’Union européenne.

C’est pourquoi Rhacel Salazar Parrenas conclut que la voie à suivre doit être celle de la « reconnaissance », entendue comme la valorisation du travail domestique, de laquelle doit découler la régularisation de ceux qui exercent cette profession.

C’est la voie que tend à emprunter le mouvement des travailleurs domestiques migrants aux Pays-Bas. Ce mouvement a gagné en visibilité au début des années 2000 avec la campagne lancée par la branche hollandaise du réseau RESPECT (Rights, Equality, Solidarity, Power in Europe and Co-operation Today) défendant les droits des travailleurs domestiques étrangers aux Pays-Bas. Ce réseau créé en 1998 rassemble des syndicats, des organisations de travailleurs domestiques étrangers, des ong ainsi que des personnes soutenant sa démarche.

En 2006, avec le soutien de la CFMW (Commission pour les travailleurs migrants filipins), travailleurs domestiques étrangers et représentants du syndicat ABVAKABO FNV se sont finalement rencontrés. Ce syndicat hollandais représantant habituellement les travailleurs à domicile du secteur de la santé a alors accepté de porter les revendications des travailleurs domestiques migrants, en situation régulière ou non, en partant de l’idée suivante [4] : c’est le manque de reconnaissance du travail domestique comme un travail à part entière ou une catégorie du travail des étrangers qui met les travailleurs domestiques étrangers dans une position de vulnérabilité et entraîne la violation de leurs droits que ce soit en tant que travailleurs ou étrangers.

Quelle tournure prendrait une telle reconnaissance du travail domestique, aujourd’hui essentiellement fourni par des étrangers ? Lors d’une réunion d’experts tenue le 3 octobre 2008, plusieurs pistes ont été explorées. Corine van Egten – membre de l’organisation hollandaise E-Quality travaillant sur les questions liées à la famille, l’égalité des sexes et la diversité – a fait part de l’expérience canadienne. En réponse à un manque de main-d’œuvre dans le secteur de l’aide à domicile pour la prise en charge des enfants ou des personnes âgées ou handicapées, l’Etat canadien a créé un permis de séjour temporaire destiné aux travailleurs domestiques domiciliés chez l’employeur. En cas de rupture du contrat de travail, ils n’ont certes que quelques mois pour trouver un autre employeur mais, après deux ans d’exercice, un titre de séjour permanent peut leur être délivré.

Sarah K. van Walsum est pour sa part convaincue que le statut d’indépendant, malgré ses nombreux inconvénients (haut niveau de responsabilité, coût élevé en termes de TVA ou d’assurances privées, et exclusion du droit commun du travail), offrirait l’avantage non négligeable de rendre moins dépendants de leurs employeurs les travailleurs domestiques. D’autres, comme Margriet Kraamwinkel (membre du syndicat FNV BONDGENOTEN), souligne le danger pour les travailleurs à faibles revenus de se déclarer en tant qu’indépendants : ils peuvent très vite se retrouver à exercer leur métier dans des conditions indécentes et pour un revenu n’atteignant pas le minimum légal. Lors de la Réunion des experts en 2008, elle a rappelé à cet égard la situation des postiers hollandais indépendants travaillant dans le secteur privé.

Un moyen, toutefois, non seulement d’alléger les charges pesant sur les travailleurs domestiques exercerant leur métier en tant que salarié ou indépendant mais aussi d’identifier plus facilement l’employeur avec lequel négocier (collectivement) ses conditions de travail serait, selon Marcel Reurs (membre du Cabinet Everaert Advocaten regroupant des avocats spécialisés en droit des étrangers), de créer un organisme-employeur faisant office d’intermédiaire entre les travailleurs domestiques et leurs clients. La visibilité de ces derniers et de leurs besoins en terme de main d’œuvre qui en découlerait faciliterait, en outre, l’obtention de permis de séjour ou de travail par les travailleurs domestiques étrangers.

Resterait toutefois à résoudre le problème du coût des services fournis, relève Mari Martens (elle aussi membre du syndicat FNV BONDGENOTEN) : les clients ne sont, selon elle, pas prêts à payer 23 € brut de l’heure, cotisations sociales comprises, pour un salaire net de 10 € par heure. Une telle solution ne serait donc pas viable, à moins que l’Etat n’accepte d’alléger le montant des cotisations sociales prévues par le droit commun du travail [5].

Pour conclure, comme l’explique Rhacel Salazar Parrenas, il ne faudrait pas seulement régulariser la situation des travailleurs domestiques étrangers, séjournant ou travaillant en violation des lois (exceptionnelles) relatives au travail domestique ; ces lois trahissent une idéologie de la domesticité, à l’intersection des inégalités liées au genre et au travail, qu’il convient d’abandonner. Si les politiques relatives au travail domestique et à l’immigration ne sont pas modifiées en ce sens, la régularisation des travailleurs domestiques étrangers ne suffira pas, selon elle, à mettre un terme à leur marginalisation.


[1] Cf. Compte rendu de la Rencontre du 3 octobre 2008 réunissant des experts autour du sujet de la situation juridique des travailleurs domestiques (migrants), réalisé par Humanitas-BLinN, ABVAKABO FNV, The Dutch Association Women and Law, and RESPECT NL.

[2] Pour les travailleurs autres que domestiques, 104 semaines d’arrêt maladie sont prises en charge.

[3] Le fait que seul l’employé ait à déclarer le montant de la rémunération perçue incite à la non-déclaration de ceux-ci.

[4] Parmi ceux qui avaient alors adhéré à ce syndicat, beaucoup l’auraient depuis quitté, déçus par les résultats obtenus.

[5] Ce type de mesures consistant à défiscaliser le travail domestique, à l’avantage de l’employeur comme de l’employé, a d’ailleurs été recommandé par le Conseil consultatif hollandais sur le travail et les revenus (RWI) à l’issue d’une étude réalisée en 2006 à la demande du Parlement.



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