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Angleterre / Droits des étrangers /

Le menu du moment pour des dublinisables érythréens d’Italie...
18 février 2009 par Lily

"Dublinisable" est dans le jargon des bénévoles ou militants d’organisations de soutien aux exilés et demandeurs d’asile, un terme faisant écho à la Convention de Dublin désignant celles et ceux qui ne pourront demander l’asile là où ils sont pour cause de franchissement irrégulier de frontières ou de précédente demande d’asile dans un état de l’Union Européenne.

Dans une jungle française

Voir des hommes et des femmes se brûler les doigts sur du fer rougi par les braises n’est pas une image facile à oublier. Comprendre pourquoi ils en sont arrivés à faire ça est encore moins facile à avaler. Souvent dans la jungle, on entend :

"_Ha ! je vais me couper les doigts !

_Ils prendront la paume de ta main.

Je me couperai la main.

_Ils prendront tes pieds.

Je me les couperai.

Ils prendront ta rétine."

Là généralement un charabia s’en suit dans une langue que l’on ne comprend pas. Je me plais à imaginer qu’il y a un équivalent dans chaque langue à "putain, quel monde à la con !" avec l’accent ch’ti.

Mais bon...

L’autre conversation fréquente elle aussi entre les migrants et les bénévoles est celle du “pourquoi-tu-vas-quand-même-en-Angleterre-puisque-tu-sais-pour-tes-empreintes ?”

La réponse quasi automatique est "j’essaie, je dois essayer, avec de la chance..."

Je l’ai abordé dans l’article sur Asile en Angleterre, mode d’emploi, le fait d’avoir la quasi assurance d’être logé et aidé fait tout pour le choix du pays de stabilisation, avec les opportunités de travail.

A la question pourquoi l’Angleterre ? Les réponses automatiques sont : les facilités d’emploi, la langue, la communauté fortement installée, le système d’accompagnement des demandeurs d’asile.

Mais pourquoi risquer la rétention et l’expulsion (qui riment avec temps et argent perdus, santé physique et mentale abimées) si on a ses empreintes ailleurs ?

Il s’avère d’abord que, outre ceux qui avaient à la base plus d’argent ou étaient aidés par la famille précédemment installée en Europe ou aux USA, donc la possibilité d’éviter la Libye et l’Italie en passant par la Turquie et la Grèce (cette dernière ne semble pas prendre très souvent les empreintes des africains ou surtout des africaines que j’ai rencontrés), seuls ceux qui ont pu s’échapper des camps de réfugiés italiens, sont sûrs de ne pas avoir leurs empreintes prises quelque part avant l’Angleterre.

Les autres ne sont sûrs de rien.

Dublin, ou le jeu de hasard.

En effet, ce n’est pas parce que vous vous souvenez d’hommes en uniforme prenant les empreintes de vos mains, que celles-ci seront trouvées par l’Angleterre ou n’importe quel pays qui interrogerait la base de données européenne : Eurodac.

"J’essaie parce que mon ami, en Angleterre depuis plusieurs mois, a pu avoir les papiers car ils n’ont pas trouvé ses empreintes, c’est la chance."

Des tas d’exemples de ce genre pourraient être répertoriés.

Prenons Ermi et Fotsum, passés ensemble par la Grèce, les empreintes du premier ont été mises dans le système, pas celles de Fotsum. Celui-ci a un statut de réfugiés de 5 ans, travaille et améliore son anglais grâce à des cours pourvus par des organismes mandatés par l’état. Ermi ne parle encore que trois mots d’anglais après presque un an passé dans le pays, il vivote comme il peut selon que l’on veut bien l’employer. Il a été plusieurs fois volé par certains employeurs. Il est en ce moment quasiment jamais employé, dû à la crise. Dans la jungle, il nous faisait souvent le signe de s’égorger, pour nous dire qu’il n’en pouvait plus. Je l’ai d’abord vu en Juin 2008, quelques mois après son arrivée en Angleterre, il avait l’air mieux, il souriait et dansait volontiers. Maintenant je revois ce regard angoissé et perdu, il s’acharne d’une voix tremblante à m’expliquer ce qu’il vient de comprendre au sujet de la vie clandestine : la peur, l’exploitation, le manque de tout, l’interdiction de voyager, de faire des études.

Ou Fatma et Heiyat, qui ont également fait le voyage ensemble, ayant été fichées toutes les deux en Italie, Fatma a obtenu l’asile pour 5 ans, vit à Londres en centre d’accueil, Heiyat a été ramenée en Italie, après de longs mois dans les jungles calaisiennes.

Situation actuelle et conséquences

Parmi ceux que j’ai rencontrés et qui n’ont aucun papiers, trois situations se distinguent.

La première : ceux qui ne veulent pas "essayer", qui savent pour leurs empreintes, ont l’intention de rester là à travailler au noir quelques mois voire années et se déclarer plus tard quand ils auront économisé assez pour se débrouiller en cas d’expulsion dans un pays où ils n’ont aucune attache et d’après eux aucune chance d’obtenir un travail, ils parlent ici de l’Italie.

La deuxième : ceux qui ont précédement "essayé", qui ont "donné leurs mains", selon l’expression consacrée, et à qui on a bloqué l’accés à l’asile sous les termes de la convention de Dublin et du système Eurodac. Ceux là ont déjà été expulsés une ou plusieurs fois, mais reviennent toujours car leur famille, petit(e) ami(e), ami sont là, qu’ils avaient commencé à se poser pour la première fois depuis plusieurs mois ou années. La première expulsion a lieu dans la foulée de la découverte des empreintes ailleurs, mais les autres ont souvent lieu après un contrôle dans les entreprises ou les magasins dans lesquels ils travaillent ou surtout lors d’intervention banale de la police, autour des bars, dans les gares etc .. Il est faux de croire qu’en Angleterre on peut vivre sans papiers.

La troisième est celle qui est la plus courante en ce moment, celle de ceux qui sont passés en Angleterre depuis les derniers 6 mois. En effet, je peux de mémoire me souvenir des dernières fois où j’ai entendu que certains venant juste de passer, allaient se faire expulser, c’était aux alentours d’octobre. Je suis encore en contact avec certains d’entre eux.

Mais depuis il s’avère qu’il y ait une "pause" dans les expulsions dites "réadmissions en pays tiers", c’est-à-dire des demandeurs d’asile fichés dans un premier pays d’entrée dans l’Union Européenne, ici cela n’a l’air de concerner que les Erythréens fichés en Italie mais faisant une demande en Angleterre. Pour confirmation, je suis en quête de ce groupe d’avocats qui semblent avoir monté un dossier devant la cour anglaise, ce qui a provoqué la pause dans les réadmissions.

De fait beaucoup, de ceux passés depuis quelques mois, sont toujours en attente. Selon leur témoignage, on les a écoutés lors de la formulation de leur demande de protection (screen interview), ils ont à ce moment là précisé ou non qu’ils étaient fichés ou passés ailleurs, on leur a accordé un logement, une allocation, mais aucune indication sur la suite.

De tous ceux que j’ai écoutés qui étaient dans ce cas, seul un sait exactement ce qu’il se passe, il s’est battu en rétention plus de 3 mois, pour ne pas être expulsé, soutenu par sa petite amie anglaise, il avait un accès bien meilleur aux informations, aux bonnes personnes. Il a été libéré de rétention sous le système de caution, "on bail", qui vous permet si vous avez de la famille ou quelqu’un qui peut se rendre responsable de vous et surtout vous prendre en charge, de poursuivre les procédures administratives hors les murs. Vous êtes alors libéré sans aucune aide d’état, ni, aux vues des difficultés qu’il rencontre, accès aux soins, ni même au volontariat (il n’en peut plus de ces mois d’attente et d’inactivité).

J’apprends de lui et de sa petite amie, que le dossier serait constitué sur la base de la Convention de Genève, qu’une requête a été faite devant la "High Court", cour de justice, contre les conditions d’accueil des réfugiés en Italie. La formulation de la requête aurait été acceptée sous les arguments que l’Italie ne peut être considérée comme un état sûr. Reste à voir la décision prise. En novembre cela concernait environ 200 personnes, placées en rétention.

Depuis la liste a dû s’allonger.

Dublin , Mensonge et Punition

Comme je l’ai dit dans mes précédents articles, j’ai rencontré dans le sud de Londres, dans un centre d’accueil, ceux qui étaient dans la jungle de Norrent-Fontes encore quelques jours avant mon arrivée en Angleterre, fin novembre. Après les retrouvailles et les sorties dans les clubs traditionnels, la réalité reprend le dessus.

Après plusieurs semaines "en liberté", certains m’ont rappelée du centre de rétention d’Oakington à Cambridge ou de Camps field House à Oxford. Pas très inquiets, ils acceptent le fait d’être enfermés parce que "ça n’est que pour quelques semaines", ils savent déjà qu’ils seront libérés. Pourtant certains d’entre eux avaient été déplacés jusqu’à leur logement attitré, aux alentours de Manchester. Le tout est annulé.

Pourquoi ?

Il s’avère que selon les différentes conversations téléphoniques que j’ai eues avec eux ou des proches de retenus, le point commun était le fichage en Italie mais surtout le fait qu’ils n’avaient rien dit lors de la screen interview.

Y. passé il y un mois, me dit hier en rigolant : "Moi j’ai tout dit ! tout ! pour l’Italie, la France, tout ! et bien, ils m’ont dit « C’est bien » et ils m’ont emmené au foyer. Mon pote lui, il a menti, il a dit qu’il était arrivé en France direct par avion, ils ont trouvé ses empreintes en Italie, et bien lui, direct détention. Hein ? J’ai eu raison hein ? De toute façon, moi je peux plus mentir !"

Y. a quitté son pays il y plus de deux ans, pour échapper à l’enrôlement forcé en Erythrée, outre tous les ennuis "classiques" de la fuite, il a été emprisonné plus d’un an en Libye, torturé en Erythrée, en Libye, errant depuis tellement de temps qu’il semblait heureux en jungle calaisienne, comme s’il avait retrouvé un semblant de vie sociale. Il ne cherchait pas du tout l’Angleterre à tout prix, traitait de fous tous ceux qui ne voulaient pas rester en France. Mais ses tentatives de demandes d’asile en France ont toutes avorté du fait de Dublin. On a eu aucun espoir de dialogue avec les autorités.

Je lui souhaite de ne pas être déçu de ce premier accueil anglais.

Dans tous les cas, on ne l’a pas renvoyé dans une jungle.

Pour l’instant...

La rétention, dans le cas de celles et ceux que l’on enferme pour avoir menti sur leur parcours, pour ensuite les relâcher du fait de ce processus juridique en cours, le tout sciemment, n’est alors ni plus ni moins qu’un organe répressif. Un outil de punition pour ceux qui contreviennent au règlement d’entrée sur le territoire (l’expression récurrente ici est "they broke the law") mais surtout qui tombent sous le coup de l’article de loi "credibility" [1] : ayant menti une fois, d’abord on les punit, puis il semble difficile qu’ils bénéficient du doute à l’écoute de l’ensemble de leur parcours, y compris des raisons de leur non stabilisation dans ce premier état européen.

Le processus inverse est arrivé, il y a quelques semaines : S. présent dans la jungle de Norrent-Fontes de juin à août 2008, a demandé l’asile malgré son précédent fichage en Italie. Il aurait dit toute de suite toute la vérité, lors de la screen interview, il n’a pas été mis en rétention, il a obtenu un rendez-vous pour l’entretien d’asile en décembre 08, a obtenu une protection de 5 ans en Janvier 09.

Dublin, quelle punition pour les Etats ?

Si on demande aux exilés de faire franc jeu, qu’en est-il de la crédibilité des Etats de l’Union ?

S’il est facile de comprendre pourquoi toutes les empreintes prises en Italie ne sont pas placées dans le système, il est plus difficile d’admettre l’hypocrisie ambiante au sujet des accords entre états sur les réadmissions. Chacun fait sa sauce de son côté.

Il est courant d’entendre dans les fossés du nord de la France, comme dans ses squats, que des empreintes prises en France ne jouent pas sur le reste de son parcours. Pas question de pousser à vider Calais et les environs, pourvu qu’ils aillent tous ailleurs.

J’ai par contre vu plusieurs fois des groupes revenir à la jungle, après une garde à vue, où seulement 2 personnes avaient reçu un APRF [2]. 2 sur 25. Quand je demande au groupe pourquoi, personne ne sait me répondre, on ne leur a pas expliqué ce qu’était ce papier. Ils comprennent seulement qu’il est écrit quelque chose au sujet de 48h après. [3] Quand je demande comment la police a "choisi" ceux à qui les aprf ont été remis, personne ne comprend pas ma question. Quand je demande si les policiers leur ont demandé de présenter leurs mains, tous me répondent que oui. Ils ont donc obtempéré, montré leurs mains. Ceux qui ont de belles mains lisses, où les empreintes sont clairement visibles, reçoivent un aprf. Les autres sont relachés sans plus de formalités.

Oui la France pousse vers l’Angleterre. Non elle ne joue pas le jeu de se rendre responsable des demandeurs d’asile présents sur son territoire.

Comme l’Italie, qui prend son "lot", et laisse les autres désoeuvrés, elle s’arrange avec les conventions, mais surtout avec les êtres humains derrière ces conventions et ces lois.

Grand bien soit fait à ceux qui avaient de belles mains et ne voulaient pas rester en France. Mais qu’en est il de celles et ceux fatigués par des mois ou des années d’errance ? De ceux qui finiront clandestins quelque part, sans protection, sans voix, avec pour seul destin l’exploitation ? De ceux qui feront de la vie dans la jungle, un mode de vie temporaire, comme une vie de nomade, et n’auront d’autre choix de survie que de devenir "fermeurs de portes" [4] ?

D’autres points de la Convention de Dublin 2 et du système eurodac n’ont pas l’air d’être respectés mais l’opacité des administrations rend difficile une réelle étude.

Ainsi selon ces règlements, les empreintes digitales de tout étranger expulsé hors Union Européenne devraient être automatiquement effacées. Mais comment expliquer qu’A., afghan, débouté du droit d’asile en Angleterre, expulsé en Afghanistan en Avril 2008, emprisonné là bas 5 mois, une fois revenu en Europe, se décide à demander l’asile en France. Mais là on lui répond qu’il a déjà fait une demande d’asile en Angleterre en 2005, dont devrait dépendre. Il a pourtant bien quitté le territoire de l’Union, sous l’égide de l’Angleterre.

Qu’en est il du délai de 6 mois de présence irrégulière sur un territoire, qui rend cet état responsable de la demande ? Combien sont ils à être ou coincés à Calais pour plus de temps que ça, ou perdus à attendre en Angleterre ?

Qu’en est-il du délai de 2 mois où l’état qui tolère sciemment un étranger sur son territoire durant ce délai, en devient responsable ?

En Décembre 2008, Jacques Barrot a parlé de la nécessité de modifier Dublin, car inquiet du trop lourd fardeau pour les premiers pays d’entrée dans l’Union. Tâchons de lui faire entendre la voix de ces invisibles qui constituent le fardeau et d’enrailler l’usine à clandestins qu’est Dublin 2...


[1] page 10 Immigration History

[2] arrêté préfectoral de reconduite à la frontière

[3] ces aprf les jugent reconductibles dans leur pays, sans considérer leur cas personnel ni même les conventions internationales, alors que dans les faits ils sont inexpulsables au pays d’origine. Ils ont alors 48h pour faire appel de la décision, contester l’aberration d’une signature au bas d’un document décrétant que l’on ne se considère pas en danger dans le pays qu’on vient de fuir, sinon, demander l’asile en France devient un vrai casse tête, et rallonge considérablement les délais, le tout en restant à la rue

[4] terme plus adéquat que passeurs, tellement la noirceur de leur image est loin de la réalité



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