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Turquie / Exclusion urbaine /

Rénovation urbaine et mobilisation habitante : Paris/ Istanbul
15 avril 2008 par Derya

Que ce soit les habitants des cités à Paris ou les habitants d’anciens bidonvilles à Istanbul, on se mobilise et on s’organise pour « lutter contre la rénovation urbaine ». Echanges d’expériences entre Kaïssa Titous, animatrice de la Coordination Anti-Démolition des Quartiers Populaires d’Ile-de-France et Derya Ozel, volontaire envoyée à Istanbul dans des échanges autour de la lutte contre l’exclusion urbaine.

D.O : Dans quel contexte s’est formée la Coordination Anti-Démolition des Quartiers Populaires ?

K.T : Un vaste programme de rénovation urbaine a été mis en place depuis 2003 (Loi Borloo). Cette politique nationale prétend résorber les inégalités territoriales, répondre de manière durable aux problèmes sociaux des banlieues et régler la question de la mixité sociale. Les habitants découvrent les projets ANRU [1] par voie de presse ou par des avis affichés dans leurs halls. Ils se retrouvent confrontés à des décisions majeures sur l’avenir de leurs quartiers. En effet, les démolitions sont la pierre angulaire des projets ANRU. L’ANRU subventionne très fortement les démolitions et les exige parfois pour valider les projets. Les démolitions sont souvent exécutées avant même que les nouvelles constructions aient été réalisées. Les habitants n’ont alors plus aucune garantie d’être relogés dans leur quartier. C’est pour cela que les habitants parlent d’ « épuration sociale ». Les démolitions aggravent le manque de logement social. Elles nient la mémoire et l’histoire des habitants quand elles ne les font pas disparaître pour accueillir des populations à profil fiscal plus intéressant.

D.O : A Istanbul, avec l’arrivée au gouvernement de l’AKP (parti pour la justice et le développement) en 2004, les projets de renouvellement urbain se sont multipliés. Les quartiers concernés sont aussi stigmatisés par les politiques comme des foyers de « terroristes », de drogue, de prostitution...en bref des quartiers insalubres qu’il faut éradiquer. Pour le quartier rom de Sulukule, la mairie s’appuie sur la Loi de « rénovation pour la protection et l’usage des biens historiques et culturels détériorés » (juin 2005). Or, il ne s’agit pas de restaurer le bâti mais de le détruire tout simplement. Voilà leur conception de sauvegarde du patrimoine. Ces projets touchent aussi bien des îlots comme à Sulukule que des quartiers de 70 000 habitants. A Istanbul, ce sont des vrais projets de spéculation foncière, où la question de la participation des habitants aux projets n’est même pas évoquée. Ils apprennent eux aussi la nouvelle par les médias. Ce sont des quartiers qui ont 50, 60 d’histoire, d’anciens bidonvilles où les habitants ont apporté les services de base, ont légalisé leur statut d’occupants. C’est leur mémoire et leur histoire que l’on détruit pour des classes aisées de la société. La question du relogement est en plus un leurre : on propose un endettement à ces habitants à long terme (15 ans) pour acheter des logements soi-disant sociaux construits par la ville d’Istanbul. Dans la majorité des cas, ils n’ont pas les moyens de payer les mensualités et se retrouvent à chercher des solutions par eux-mêmes.

K.T : Tu parlais d’habitants qui se sont constitués en plateforme. Tu disais qu’elle réunit 17 quartiers contre les projets de renouvellement urbain.

D.O : Oui, elle s’est formée en 2006 avec 7 ou 8 quartiers contre les projets de rénovation urbaine lancés par les différentes mairies d’arrondissement à Istanbul. Elle s’est agrandie en 2007 et elle compte aujourd’hui 17 quartiers. Elle a organisé en juin 2007 un forum : « les quartiers s’expriment ! » avec la participation de 800 habitants. Ce type de manifestation est très important pour fédérer les quartiers entre eux et créer une dynamique de lutte et de mobilisation à l’échelle métropolitaine. Depuis la fin de l’année 2007, cette plateforme cherche à être autonome par rapport aux professionnels de la ville et aux universitaires. Les associations de quartiers sont de plus en plus au cœur de ce dispositif d’organisation et de mobilisation.

D.O : Et à Paris, qui a été à l’initiative de la Coordination Anti-Démolition ?

K.T : Les habitants de la Coudraie à Poissy et ceux de Gennevilliers. Ils ont lancé un premier appel en 2004 avec l’appui d’associations. [2] Les 608 logements de la Coudraie allaient être détruits. Ils l’ont appris par voie de presse. Le maire stigmatisait la population pour justifier la disparition de la cité afin d’y construire un hôpital. La Coordination Anti-Démolition s’est créée à ce moment-là. Aujourd’hui, des quartiers sont en lutte partout en France : de Marseille à Montpellier, d’Epernay à Vaulx-en-Velin, d’Hérouville à Argenteuil, du Havre à Alençon en passant par Gennevilliers. De nouveaux quartiers ont rejoint la Coordination et les demandes de contacts sont nombreuses grâce au blog et aux rencontres...

D.O : Quel est le but de cette Coordination ?

K.T : C’est un lieu d’échange d’expériences, de partage d’informations et de solidarité de luttes. Les habitants essaient d’élaborer des réponses collectivement : comment contester le permis de démolir ? comment faire respecter les relogements sans augmentations de loyer ? comment interpeller les préfets et la direction de l’ANRU sur les incohérences et les insuffisances de la rénovation urbaine ? Les reconstructions ne compensent pas les démolitions. Les relogements ne respectent pas les règles édictées. En somme, on veut faire respecter le droit des habitants ! Dans le même temps, les collectifs, les associations sur les quartiers conservent toute leur autonomie pour décider des actions qui leur semblent adéquates pour organiser la résistance face à ces projets. On fait des tracts, des réunions publiques, des contestations des projets lors des conseils municipaux. Les habitants arrivent à organiser de vraies résistances ! De plus, aujourd’hui, quelques résultats électoraux municipaux peuvent donner à espérer un abandon de certains projets de démolition. Rien ne remplace la mobilisation et la détermination des locataires concernés !

D.O : Peux-tu nous donner des exemples de quartiers qui ont gagné des petites « victoires » ?

K.T : La plus grande victoire des habitants organisés au travers des associations, de collectifs est d’avoir compris très vite les finalités de ces projets et de pouvoir en dénoncer les excès ! D’ailleurs, on peut noter que les différents rapports (Fondation Abbé Pierre, Ponts et Chaussées, comité de suivi de l’ANRU) reconnaissent que ces projets pèsent de manière significative sur le nombre de logements sociaux, que la mobilité résidentielle des habitants ne se fait pas, que la concertation avec les habitants est quasiment nulle et que les relogements se font avec des augmentations de loyers. Les subventions ANRU ne servent pas à résoudre la question du chômage ni l’absence des équipements publics ni l’échec scolaire...Les discriminations et les inégalités ne disparaissent pas, les problèmes demeurent : on ne fait que déplacer des habitants en reconstituant des ghettos... Les quartiers luttent en effet et ce depuis plusieurs années. La Coudraie résiste depuis 4 ans ! Ils ont réussi à maintenir leur école et à ce que le projet de l’hôpital soit abandonné. Ils se battent pour que les 120 familles qui restent, puissent bénéficiers des prestations pour lesquels ils paient. Ils ont même contribué à chasser le maire –ce qui desserre l’étau et ouvre des perspectives pour une réhabilitation et un projet exemplaire. D’autres quartiers, comme le petit bar à Montpellier, ont réussi à faire en sorte que les petits propriétaires ne soient pas expropriés et que les projets de démolitions ne se fassent pas sans construction avant. C’est pareil pour Champigny : les habitants ont réussi à faire diminuer le nombre de démolitions et ont exigé le relogement des habitants dans les immeubles neufs reconstruits au même niveau de loyer. A Hérouville, les démolitions n’ont pas eu lieu, mais en plus l’immeuble vidé de ses occupants a été réinvesti par les anciens locataires grâce à la bataille de quelques habitants déterminés et solidaires. Pour Argenteuil, Colombes, la nouvelle configuration municipale permet d’envisager l’avenir avec plus d’optimisme. Tout redevient possible et ça c’est aussi grâce à la lutte des habitants !

K.T : Et à Istanbul, elle fait quoi la plateforme ?

D.O : Ces derniers temps, elle multiplie les rencontres entre les associations de quartiers. Les quartiers cherchent à mieux se connaître les uns les autres. Dernièrement, après des émeutes entre la police et les habitants dans un quartier, elle a apporté son soutien. Elle a participé avec eux aux manifestations contre les projets de la ville. Elle a même organisé des après-midi d’interventions avec informations et prises de parole des habitants, des militants et des professionnels ! C’est très important d’informer, d’échanger les expériences et finalement de convaincre ! La mobilisation peut être si facilement brisée entre habitants-propriétaires et habitants-locataires avec les stratégies malhonnêtes de la mairie. La plateforme est menée par des militants avertis et confirmés. Elle est dans un processus de construction. En même temps, selon moi, elle a déjà posé des bases solides. Elle défend l’idée de l’autonomie dans sa lutte : elle ne veut pas être récupérée par des partis politiques ou par des professionnels de la ville. Elle veut réellement que les habitants prennent les choses en main !

K.T : Et les habitants de Sulukule, est-ce qu’ils mènent leur lutte avec cette plateforme ?

D.O : Il n’y a pas vraiment eu de lutte d’habitants à Sulukule excepté quelques-uns d’entre eux ! Ce sont surtout quelques experts architectes, des journalistes et des universitaires qui se sont emparés de la lutte et qui ont fantasmé sur une histoire qui ne leur appartient pas ! Pour lutter, ils ont médiatisé l’identité rom du quartier. En réalité, elle n’est pas du tout représentative des habitants ! Donc en fait, la plateforme des 17 quartiers d’Istanbul, est bien loin des préoccupations des experts et des habitants de Sulukule ! Pourtant, au début, les quelques habitants mobilisés de Sulukule ont rencontré et travaillé avec cette plateforme. Puis, ils se sont séparés faisant probablement confiance à ces personnalités de la société civile et des médias...La mobilisation habitante à Sulukule n’a pas duré longtemps. L’énergie et la détermination des habitants ont été mises à l’épreuve tous les jours et ils ne comprennent pas non plus que c’est une longue lutte...Dommage, car il y avait un potentiel de mobilisation. Mais on ne peut pas en vouloir aux habitants, ils ne se sont pas reconnus dans cette lutte d’experts...

K.T : Pour en revenir à l’échelle d’Istanbul, comment vois-tu l’évolution de cette lutte ?

D.O : Ce mouvement ne va pas s’essouffler du jour au lendemain. Les militants sont déterminés et ils ont de l’énergie. Même si ce n’est pas facile tous les jours. Il faut convaincre sans cesse ses voisins. Sans cesse dénoncer les pièges de ces projets. Il faut insister sur l’importance de la mobilisation à l’échelle du quartier. En tout cas, je leur ai parlé de la Coordination Anti-Démolition, ils sont très motivés pour vous rencontrer et connaître vos luttes et vos actions ! Qu’en penses-tu ? Est-ce que ça intéresserait les membres de la Coordination de rencontrer la plateforme istanbuliote ?

K.T : C’est une bonne idée. Je souhaite profondément que des liens de solidarité se tissent entre les habitants pour renforcer leurs luttes et leur donner du courage. Il est vital de construire des forces de résistances européennes.

Pour en savoir plus :

Blog de la Coordination Anti-Démolition : http://antidemolition.blogspot.com


[1] L’Agence Nationale de la Rénovation Urbaine a été créée par la loi Borloo en 2003. Elle devient le guichet unique qui distribue les fonds alloués aux collectivités locales souhaitant financer des opérations de renouvellement urbain sur leur territoire. A l’horizon 2013, entre 530 et 700 quartiers « fragiles » classés en ZUS et 8 millions d’habitants devraient être concernés. Le coût des travaux devrait s’élever à 35 milliards d’euros. 300 000 logements devraient être démolis.

[2] DAL (Droit au Logement), la LDH (Ligue des Droits de l’Homme), la CNL (Confédération Nationale du Logement), la CSF (Confédération Syndicale des Familles)




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