« C’est la première fois au Maroc ? » Cette question on ne cesse de me la poser depuis mon arrivée il y a un mois. C’est en effet ma première fois. Le Maroc, on m’en a parlé des dizaines de fois de l’autre côté de la méditerranée, ce pays j’en ai rêvé, je l’ai imaginé, je l’ai désiré, je l’ai idéalisé. Aujourd’hui je le découvre.

Retour sur une semaine de découverte.

Dimanche soir. Eclairage à la bougie, eau chauffée à la bouilloire pour se laver un peu. Autour de moi, la montagne, des champs, des bergers avec leurs moutons et leurs vaches, les gens se déplacent en charrettes tirées par les ânes. Un kawa à la terrasse d’un café dans lequel je ne rentre pas parce que je suis une femme. Uniquement des hommes. Uniquement du darija (arabe dialectal marocain).

 

Ouled Ftata (12)

 

Lundi. Réveil au milieu d’un paysage magnifique, au-dessus de la montagne le soleil est déjà haut et me réchauffe doucement. Le calme de la nature m’apaise. Première rencontre, première réunion avec une association. J’observe, j’écoute : « Ici le bénévolat n’existe pas, les gens veulent une contrepartie financière pour chaque activité. Les gens ne connaissent pas l’associatif, ils ne font pas confiance aux associations ». Réunion avec les élus de la commune : « Votre projet on n’en veut pas, on ne veut rien savoir de votre association. Ça se passe toujours mal avec les associations On ne veut pas travailler avec vous.» Wahka, bah Yallah alors. Dîner en terrasse au milieu des morceaux de bétail suspendu, Kefta cuite au charbon dans la fumée abondante qui m’empêche de respirer. L’apaisement de ce matin est déjà loin.

Mardi. « Salam Aleikoum, Mer7ba (bienvenue) ». Repas-réunion avec une nouvelle association que je rencontre pour la première fois. Tajine. Non en fait Tajine suivi d’un couscous. Dix personnes, une seule femme, une seule française, une seule qui ne comprend rien : moi. Pourtant, un accueil chaleureux, des sourires, et surtout une grande envie de travailler ensemble. « Ici on est tous bénévoles, il n’y a pas de salariés. Nous cherchons un local pour installer notre association, on est prêts à mettre de notre poche, la population est aussi prête à participer aux activités et à participer financièrement pour ce local. » Réunion avec des membres de deux organismes étatiques : « On connaît la situation, on vous soutient, on va vous aider ». Dîner dans un restaurant chic, vue sur la mer.

Mercredi. Changement de cap. Sur la route se mélangent calèches, ânes, taxis, gros 4×4. On traverse les champs, puis les bidonvilles. Une pause dans une première ville. Des enfants attendent le car pour aller à l’école publique, mais ce matin le chauffeur du transport scolaire a décidé de venir à 11 heures alors que l’école a commencé depuis 8h. D’autres enfants, les plus jeunes âgé-e-s de 3 ou 4 ans s’accrochent aux passant-e-s pour vendre des mouchoirs en papier. Plus loin, les jeunes, pour certains touchés par l’analphabétisme, pour la plupart touchés par le chômage, attendent, pas de travail, pas d’activités. Une vieille femme s’approche, me tend la main, je ne la connais pas, je ne comprends pas la langue mais je comprends la souffrance et la précarité. On reprend la route.

Arrivée à la capitale, quartier résidentiel chic des ambassades, palais royal, Agdal, Hassan, les beaux quartiers. Les enfants prennent le bus scolaire des écoles privées, eux ils/elles sont arrivé-e-s à l’heure ce matin. Dans la rue des hommes costards quatre pièces et des femmes élégantes sortent des hautes tours qui abritent les grandes entreprises. Des jeunes arrivent dans une belle voiture, ils sortent certainement de l’Université où ils font des études supérieures, sac de sport à la main, ils rentrent dans la salle de musculation. Je ne les connais pas, je ne comprends toujours pas la langue mais je comprends l’allégresse et la prospérité.

Jeudi. Promenade. Autour de moi, les femmes se promènent dans la rue. La plupart portent le hijab, certaines la burqa, d’autres ont le visage découvert. Le respect et la tolérance sont bien visibles mais toujours la pudeur prime. Je me sens trop dévêtue. Autour de moi, les hommes se font la bise pour se saluer et certains comme il est culturel de le faire ici se tiennent la main en marchant dans la rue.

Discussion avec des ami-e-s nouvellement rencontré-e-s. L’appel à la prière retentit mais pourtant ils/elles me parlent librement de leur désaccord avec l’islam.

Plus tard, des ami-e-s subsaharien-ne-s nous racontent le racisme qu’ils/elles vivent ici, la difficulté de trouver un travail car ils/elles sont étranger-e-s, la difficulté de trouver un logement décent à un prix correct parce qu’ils/elles sont noir-e-s, la difficulté de simplement marcher dans la rue tranquillement sans être dévisagé-e-s.

Un autre ami, lui, nous parlera librement de son homosexualité, enfin librement mais jamais trop fort pour ne pas attirer les oreilles indiscrètes.

Vendredi. Hammam. Uniquement des femmes. Elles ont quitté le hijab et sont toutes dénudées. Toujours le respect et la tolérance, mais ici pas question d’être pudique. Je me sens trop couverte.

Travail. Rencontre avec un associatif avec qui je serai amenée à travailler. Il ne me sert pas la main. Motif : je suis une femme.

Plus tard, on rencontre de nouvelles personnes, on discute, tous/toutes sont unanimes « Au Maroc il n’y a pas de racisme, ce pays est une terre d’accueil, les européen-ne-s, les subsaharien-ne-s, tout le monde est bienvenu. »

Fin de journée. Agression d’un ami homosexuel. Il a été au commissariat mais à aucun moment il sera noté dans le procès-verbal qu’il est homosexuel. Ici l’homosexualité est pénalisée.

Samedi soir. Les lampadaires éclairent les rues, douche à l’eau chaude. Autour de moi, des bâtiments abritent de grandes multinationales, voitures haute gamme et tramway. Une bière à la main, je danse sur du Shakira. Des femmes partout, apprêtées, maquillées, en mini-jupe et une cigarette à la bouche. Des marocain-e-s, des européen-ne-s, des subsaharien-ne-s. Du français, de l’espagnol, de l’anglais et bien sûr du darija.

 

coucher soleil rabat février 2015 (1)

 

Une semaine. Un pays. Des coups de cœur. Des coups de gueule. Et surtout des contrastes.

Maroc au développement ultra rapide – Maroc sous développé

Maroc bénévole – Maroc intéressé

Maroc radieux – Maroc oublié

Maroc moderne – Maroc conservateur

Maroc cosmopolite – Maroc traditionnel

Maroc hospitalier – Maroc raciste

Maroc musulman – Maroc athée

Maroc égalitariste – Maroc sexiste

Maroc libre – Maroc censuré

Maroc solidaire – Maroc divisé

« Tu penses quoi du Maroc ? » Cette question aussi on ne cesse de me la poser depuis mon arrivée. Ambivalence, paradoxe, contradiction, antagonisme. Je ne peux répondre à cette question en parlant d’un Maroc unique. Aujourd’hui, ce pays je le découvre oui mais avec toutes ses diversités à appréhender.