Une marche de soutien pour Gaza à Casablanca, des questionnements sur la mobilisation Dimanche 18 janvier, une marche pour dénoncer l’agression israélienne sur la bande de Gaza et exprimer le soutien du peuple marocain au peuple palestinien a eu lieu à Casablanca. Une marche ouverte à tout citoyen, mouvement et parti politique. Des partis politiques, des syndicalistes et la société civile ont répondu à l’appel de la section locale du collectif de solidarité avec les peuples palestinien et irakien. En participant à cette marche, ce sont plusieurs constats et réflexions qui sont apparus. Outre la solidarité avec la population de Gaza, cette manifestation est significative de la mobilisation des jeunes, de la gauche marocaine, du Parti islamiste Justice et Développement et du mouvement islamiste Al Adl Wal-Ihssane. La manifestation pour la Palestine a été le moment de s’interroger sur les capacités de mobilisation des uns et des autres et sur leurs revendications propres. Dimanche matin, je retrouve des membres d’Action Jeunesse (le groupe jeune du Forum des alternatives du Maroc–FMAS) pour rejoindre la marche en solidarité à la population de la bande de Gaza. Chaque mouvement, association et parti se suivent. On rejoint, le troisième groupe : le Collectif « les journées de solidarité et de soutien au peuple palestinien » qui se compose de militants de partis de gauche et des fa’aliat Yassaria [1]. Derrière nous, se trouvent les islamistes représentés par le Parti Justice et Développement puis par l’association Al Adl Wal-Ihssane. Les manifestants ont scandé, durant cette marche, des slogans dénonçant les hostilités de l’armée israélienne contre les civils palestiniens, des slogans, contre l’impérialisme américain, et critiques face aux positions des gouvernements arabes (alignement sur Washington, défaitisme, etc.). Après deux heures de marche, des membres d’Action Jeunesse et moi-même sommes partis et avons observé les derniers groupes. Une masse organisée s’avance, représentant le Parti Justice et Développement puis l’association Al Adl Wal-Ihssane. Il est surprenant de voir l’organisation mise en place, le nombre de personnes mobilisées, une voix commune qui porte la mobilisation. Une atmosphère plus tendue apparaît. La forte présence des jeunes a été la caractéristique commune de la marche, tant dans les mouvements de gauche que dans les mouvements islamistes. Mais ce décalage entre l’engouement du Collectif et la masse disciplinée des islamistes m’amène à m’interroger : Pourquoi ce décalage entre les mouvements de gauche et les mouvements islamistes ? Pourquoi cette foule de personnes présentes, surtout, au sein de l’association Al Adl Wal-Ihssane ? Quelles sont les raisons de leur présence à cette marche, outre leur soutien à la résistance palestinienne, surtout à la résistance islamiste du Hamas ? Quelle est la position du gouvernement marocain ? La solidarité pour Gaza : une cause nationale Depuis 1973, le Maroc fait de la cause palestinienne l’une des questions prioritaires de sa politique étrangère. Pour le Maroc, c’est une cause nationale. Les efforts entamés par Hassan II sont aujourd’hui continués par le Roi Mohammed VI, président du Comité Al Qods [2]. Le Maroc est l’un des seuls pays arabes à avoir joué un rôle important dans le rapprochement entre Palestinien et israélien sous Hassan II. La population juive au Maroc constitue une communauté très ancienne et très enracinée avec une forte diaspora en Israël, aux Etats-Unis, en France, au Canada, etc. Dans une déclaration, mercredi 14 janvier, Simon Lévy, secrétaire général de la Fondation du Patrimoine culturel judéo-marocain, disait « Nous exprimons notre horreur devant cette tuerie sans perspective ni justification, qui a fait près de 1000 morts à Gaza ». Le responsable israélite a réaffirmé cette position, ce jeudi 15 janvier, dans un entretien téléphonique accordé à l’AFP, en qualifiant de « plus que déplorable » la situation à Gaza. Dans de nombreuses déclarations officielles, le Roi Mohamed VI réaffirme son soutien à la Palestine comme une cause nationale. Le Royaume fait parti des premiers pays à condamner l’agression israélienne sur Gaza. En outre le Maroc s’est engagé à accueillir 200 blessés palestiniens. Une centaine de tonnes d’aide a déjà été acheminée à Gaza dont 12 tonnes de médicaments. Néanmoins, la présence diplomatique, qui condamne les pratiques du gouvernement et de l’armée d’Israël, et fait des recommandations, ne semble pas suffisante pour faire avancer la résolution du conflit israélo-palestinien. En discutant avec Khalid Chahid, bénévole d’Action Jeunesse, cet attachement à la Palestine comme cause nationale reflète trois types d’interrogations : la signification du conflit au-delà des frontières ; les enjeux de cette cause pour les mouvements et les partis marocains ainsi que leurs pratiques. A travers la marche, ces trois questionnements peuvent être élucidés en se concentrant sur une réflexion sur les mouvements de gauche et islamistes. Une mobilisation soutenue mais dispersée des fa’aliat Yassaria et des partis de gauche Depuis le lancement de l’agression israélienne à Gaza, plusieurs marches populaires de solidarité et des sit-in ont été organisés. Le Collectif « les journées de solidarité et de soutien au peuple palestinien » n’en est pas à sa première manifestation pour soutenir la Palestine. Il a organisé plusieurs sit-in, débats inter confessionnels, des défilés de voitures dans les rues de Casablanca. Samedi 17 janvier, un festival devait avoir lieu, de manière à apporter une expression nouvelle et créative au soutien à travers des activités artistiques et culturelles. Malheureusement, ce festival a été annulé en début de matinée à cause du risque de sécurité selon les officiels. C’est la première fois que les autorités locales on formulé par écrit l’interdiction de rassemblement. Tandis que la manifestation plus formelle d’islamistes a été autorisée, une personne du Partie Socialiste Unifiée (PSU) trouve deux explications. D’une part, le risque de sécurité puisque deux manifestations auraient eu lieu simultanément. D’autre part, le fait est que le festival soit une expression de solidarité alternative et inhabituelle pour les services de l’ordre public. La participation à une marche entraîne, généralement un dynamisme de groupe. C’est, en tout cas, ce que j’ai ressenti en participant à cette marche. Pourtant, ne comprenant pas les revendications des slogans (en arabe littéraire et darija), il m’était difficile d’appréhender la véritable position des fa’aliat Yassaria et des partis de gauche. En discutant avec des membres d’Action Jeunesse, il semble que l’argumentaire pour une paix entre Israël et les territoires palestiniens était parfois divisé, oscillant entre soutien à la résistance palestinienne et rejet de l’islamisme radicale. L’absence d’un message unifié s’est ressentie sur la mobilisation des personnes, beaucoup plus dispersées au fur et à mesure de la marche. Sans trouver d’explications claires, ni concises à ce constat, la gauche a été fortement attaquée par le régime autoritaire d’Hassan II, en plus des dissensions internes et de la conjoncture internationale. Par conséquent, la gauche marocaine, très hétérogène, a été affaiblie tant dans son nombre que dans son idéologie. Elle continue à être minoritaire sur la scène politique marocaine. Devant la démonstration de force des islamistes dans les rues de Casablanca, les partis et mouvements de gauche semblent avoir réduit leurs capacités de mobilisations des masses populaires dont ils jouissaient jusqu’au début des années 1990. Le Parti Justice et Développement et l’association Al Adl Wal-Ishane : deux entités fortes de mobilisation Une efficacité de mobilisation du Parti Justice et Développement (PJD). Pas plus nombreux que le Collectif « les journées de solidarité et de soutien au peuple palestinien », le groupe des PJDistes, m’a surpris davantage sur l’organisation du mouvement. Composé tant d’enfants, de jeunes et de plus âgées, l’attention des sympathisants aux slogans lancés par le leader et répétés ensuite par la population est exemplaire de la complaisance des membres du parti. Le PJD est un parti politique islamiste modéré . Il a prouvé ses capacités de mobilisation, en se plaçant à la deuxième place des élections législatives de 2007, après l’Istiqal [3]. Le parti se constitue de jeunes, majoritairement cultivée et conscient des enjeux du pays et du parti. 91% ont moins de 49 ans dans le PJD et 80 % d’entre eux ont un niveau d’études universitaires [4]. La marche, un moyen de rendre visible l’association Al Adl Wal Ihssane. Non reconnue par les autorités marocaines, cette association mobilise encore plus que le PJD. La masse de population présente dans ce groupe, lors de la marche, était impressionnante en comparaison aux autres groupes de manifestants. Le plus surprenant fut la discipline avec laquelle la marche a été organisée, entre slogans, mise à feu de poupées symbolisant les enfants palestiniens tués dans les bombardements israéliens, et la discipline avec laquelle les personnes l’ont accompagné. Un véritable spectacle est mis en place entre le défilé de cercueil, de roquettes en carton, ses membres déguisés en combattants du Hamas, la distribution de casquette avec le visuel du Hamas, tout cela bercé par une sonorisation puissante. La stratégie est de mise lorsque l’on observe des membres de l’association dans les autres groupes, reconnaissable à leur bandeau vert du Hamas dans le but de transmettre des slogans aux autres groupes. L’association a démontré sa capacité d’organisation et de mobilisation, possible par des ressources financières indéniables. Mais quelle est-elle ? L’association mobilise autant les couches sociales défavorisées que les ingénieurs, médecins, avocats, etc. Al Adl Wal Ihssane a renforcé leur présence au sein des universités marocaines, en lien étroit avec le seul syndicat étudiant, l’Union Nationale des Etudiants du Maroc (UNEM) [5]. L’association vise à renforcer la daâwa (appel à Dieu) selon la voie éducative et de plus en plus vers la politique pour attirer le plus de monde. Leurs revendications se basent, généralement, sur un discours religieux sans distinguer le spirituel du politique. Elle est connue pour son action communicationnelle et caritative menée sur différents niveaux. L’unité, retrouvée pendant la marche, s’explique par leur appel à l’entraide et la solidarité entre musulmans à l’intérieur et à l’extérieur du Maroc. Ce consensus est profondément marqué par le culte de la personnalité du Cheikh Abdessalam Yassine, le fondateur et l’émir de l’association. Il reste difficile de connaître l’impact réel de l’association et l’importance de la diffusion des idées. Pourtant, il est clair que ce type de manifestations prouve la capacité organisationnelle de l’association ainsi que l’impact du conditionnement, de par la discipline observée des personnes. C’est, également, une opportunité de transmettre leurs messages et de recruter davantage de sympathisants. Selon M. Tozy, « son activisme ne débouchant pas sur une échéance électorale, faute de statut de parti politique. Al-Adl Wal-Ihssane ne représenterait rien d’autre que "l’islam contestataire" ». D’autant plus, que l’association considère sa constitution en un parti politique comme un risque de perte d’identité et des capacités d’action. Les manifestants de toutes tendances confondues, ont exprimé leur solidarité avec le peuple palestinien, appelant à la mobilisation de toutes forces vives du pays pour apporter de l’aide aux habitants de Gaza. Cet article éclaire sur la manière dont ces évènements peuvent être révélateur des capacités de mobilisation des uns et des autres. Il apparaît que des évènements de rassemblement pour la paix peuvent être instrumentaliser pour une cause plus extrémisme ou en vue d’un prosélytisme clair et oublier la souffrance d’un peuple, pris entre les tiraillements d’un conflit de territoire, et les enjeux politiques entre Gaza, la Cisjordanie et Israël. [1] Il faut préciser que le terme de Fa’aliat Yassaria se définit, dans ce contexte, comme les personnes activistes de gauche non partisanes. Ce terme peut, dans certains cas, impliquer des activistes partisans. [2] Crée en 1975, Le Comité Al Qods œuvre pour la défense et la préservation du caractère islamique de la ville sainte d’Al Qods Asharif (Jérusalem Sacrée) face aux tentatives de judaïsation entamées par d’Israël. Une œuvre initiée par Hassan II et continuée par le Roi Mohammed VI dès son intronisation. Il se compose de quinze membres, comme la Jordanie, le Niger, l’Egypte, etc. [3] Parti de l’indépendance. C’est un parti nationaliste de droite. [4] http://www.telquel-online.com/123/sujet1.shtml [5] A l’origine, ce syndicat est un mouvement de gauche proche, notamment de l’USFP (Union Socialiste des Forces Populaires), et des mouvements marxistes-léninistes. |
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