Migrantes au Maroc : violences, discrimination et difficile protection Cet article s’intéresse à la situation particulière des femmes migrantes subsahariennes au Maroc. Il est constitué d’une première partie (indiqué) extraite du rapport réalisé par le GADEM sur l’application au Maroc de la Convention sur les droits de tous les travailleurs migrants et membres de leur famille (février 2009). Il développe ensuite certains éléments concernant l’assistance aux femmes victimes de violences et la protection prévue par la Convention de Genève de 1951. Au travers de la situation des femmes migrantes apparaissent celles, exacerbées par un statut administratif précaire, des femmes au Maroc. Selon une étude approximative, 15 à 20% des migrants subsahariens en transit au Maroc seraient des femmes [1]. Lorsqu’elles sont victimes de violences, elles n’ont que peu d’interlocuteurs, de protecteurs... Lorsqu’elles sont violées et se retrouvent enceintes, ces femmes et jeunes filles sont contraintes de garder les enfants issus de ces viols, l’avortement étant interdit au Maroc. La vulnérabilité des femmes en situation irrégulière Selon un rapport de Médecins sans frontières Espagne (MSF) [2], en 2004 et 2005, les femmes et les enfants migrants étaient victimes de violences sexuelles de la part de différents acteurs : corps et forces de sécurité algériennes et marocaines et groupes de délinquants et/ou réseaux de trafic de personnes. Au-delà, les femmes sont parfois aussi mères, situation qui vient s’ajouter aux difficultés de vie et à la vulnérabilité quotidienne. Rapport GADEM, p42. : C’est ainsi que DN, Congolaise de 16 ans, a été violée dans les forêts par d’autres subsahariens. [Rabat, août 2008, GADEM] Si les refoulements rendent les femmes encore plus vulnérables et les exposent d’autant plus aux violences sexuelles, les viols n’ont pas lieu qu’au cours des refoulements et certaines femmes subissent des viols à répétition, par des auteurs et dans des cadres différents. E., femme seule avec 3 enfants en bas âge a été violée à différentes reprises lors de son voyage pour arriver au Maroc. Elle a également été violée dans le nord du Maroc par des maghrébins en présence de ses enfants. Elle est tombée enceinte suite à l’un de ces viols [Oujda, 2/08/2008, Gadem-ABCDS]
Rapport GADEM, p36 : Par ailleurs, certaines femmes subsahariennes au Maroc sont, ou risquent d’être, victimes de traite à des fins d’exploitation sexuelle. Comme a pu le révéler le rapport de MSF-E de 2005 : « En échange de la protection qui leur est offerte, on leur exige des faveurs sexuelles qu’elles ne consentent pas toujours, ainsi que des avortements. (…) Tous ces facteurs (dépendance des réseaux, absence de protection face aux auteurs des violences sexuelles) ne font qu’augmenter la vulnérabilité des femmes, qui sont souvent contraintes de vivre dans des conditions d’insalubrité et de promiscuité, qui incluent la prostitution et les travaux forcés »[MSF–E, op.cit., p23] L’US département déplore le manque d’engagement du Maroc contre la traite : « Le gouvernement marocain n’assure pas le minimum requis pour l’élimination de la traite des êtres humains. [Il] n’a pas pris de mesures à même de renforcer l’arsenal juridique contre le commerce sexuel et l’exploitation des adultes et des femmes étrangères. Le gouvernement a également échoué dans l’assurance d’une protection aux victimes de la traite des être humains » [US. Départment [3]]. Alors que ces migrants sont souvent stigmatisés et assimilés à toutes sortes de trafics, aucune mesure n’est prise pour assister les victimes et pour détecter les cas de traite et les situations de risque. Les difficultés à trouver une protection sont en outre accentuées par l’image des femmes subsahariennes véhiculée par une certaine presse ne fait qu’accroître le risque d’un mépris envers cette population et d’une vulnérabilité croissante. .... Journal Arabophone Al Nahar Al Maghribia, n°835, Lehcen Akoudir, « Avertissement aux intermédiaires de louer aux Africains », 06/02/2007 : « Une partie des femmes africaines s’adonnent à la prostitution populaire, dont le prix ne dépasse pas cinq dirhams, ce qui conduit à des problèmes énormes, notamment la prévalence du SIDA, dont l’Afrique est le plus grand fournisseur dans le monde. Le prix bas de l’acte sexuel avec les Africaines augmente le nombre de victimes du SIDA, vu que le préservatif n’est pas utilisé, puisque le prix de celui ci est plus cher que le prix de l’acte sexuel lui-même » .... Au-delà, le rapport GADEM (février 2009) [4] dénonce certains cas de femmes, que des employeurs mal intentionnés ont recrutées dans leur pays d’origine pour les faire travailler en leur faisant miroiter un contrat de travail et une situation régulière au Maroc... L’assistance aux femmes victimes de violences Les femmes victimes de violences, marocaines comme étrangères, ont peu d’alternatives… le regard social, marocain et de leur communauté, est souvent lourd à assumer et les dispositifs de protection restent très limités. Dans un rapport alternatif intitulé « Violence against Women in Morocco »(2003), l’Organisation Mondiale contre la Torture (OMCT) exprime son inquiétude sur la violence très répandue exercée contre les femmes dans la sphère privée et communautaire. Les mouvements féministes marocains ont permis des avancées louables (réforme du code de la famille en particulier). A l’occasion du 60ème anniversaire de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, le 10 décembre 2008, le Souverain marocain a annoncé la levée les réserves du Maroc sur La Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, ratifiée le 14 juin 1993 [5] Des associations mènent aujourd’hui des programmes novateurs pour l’assistance juridique et sociale aux femmes marocaines. Pour exemple (non exhaustif) : ADFM, Réseau ANARUZ (Voir aussi le rapport sur les violences fondées sur le genre) Mais les femmes étrangères sont éloignées de ces programmes et ceux-ci ne s’adressent pour le moment clairement pas à cette population ! c’est ce qui explique que certaines associations, comme Terre des Hommes (TDH) suisse à Rabat et le Service accueil migrantes (SAM) à Casablanca, se soient spécialisées dans le soutien aux femmes migrantes au travers de différentes activités liées à la santé maternelle, à la santé et à l’accompagnement de l’enfant, à l’alphabétisation, à l’écoute, etc. Ces associations agissent en collaboration avec les quelques associations d’assistance humanitaire qui interviennent sur le terrain et auprès de la population subsaharienne dans son ensemble. Le Ministère de l’Intérieur marocain limite son action à la lutte contre la traite des êtres humains, sans que d’autres institutions (gouvernementales et organisations plus ou moins autonomes) ne soient impliquées pour venir en assistance aux victimes migrantes (de traite, de réseaux ou de violences). L’approche quasi exclusive se cantonne à la « lutte contre » même si certaines associations tentent de soutenir ces femmes, sans avoir les moyens de réellement les protéger. Contrairement à certaines initiatives pouvant avoir été lancées dans certains pays, notamment arabes [6], le Maroc n’envisage que très rarement la situation de ces femmes soumises à la violence ou à l’exploitation (parce qu’en situation irrégulière, parce qu’étrangères, parce que de culture « différente », etc.). Une étude sur les violences à l’encontre des femmes migrantes a été menée et devrait prochainement être publiée par le REMDH. Au-delà, la préoccupation, en terme d’actions concrètes de protection et de défense, semble commencer à émerger et pourrait permettre à terme de réfléchir autour de programmes concrets de protection et d’accès des femmes à leurs droits... au-delà de la lutte contre les discriminations que celles ci subissent. Les programmes nationaux (certes déjà insuffisants) les ignorent le plus souvent (même si nous saluons la solidarité que certaines on pu manifester… [7]) et les autorités ne répondent le plus souvent que pas le retour au pays (par le biai des ambassades, de l’OIM, etc.). Mais qui peut les protéger sur le territoire ? Le retour au pays révèle parfois des problèmes bien plus graves … des menaces d’un réseau sur la famille, des risques d’être sanctionnée pour être rentrée bredouille, des risques de mariages forcés, etc. La persecution liée au genre et la convention de Genève Comme le mentionne la Déclaration de l’Assemblée générale des Nations unies sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes, « la violence à l’égard des femmes constitue une violation des droits de la personne humaine et des libertés fondamentales et empêche partiellement ou totalement les femmes de jouir desdits droits et libertés (…). » D’après la définition donnée par cette Déclaration la violence à l’égard des femmes désigne « tous actes de violence dirigés contre le sexe féminin, et causant ou pouvant causer aux femmes un préjudice ou des souffrances physiques, sexuelles ou psychologiques, y compris la menace de tels actes, la contrainte ou la privation arbitraire de liberté, que ce soit dans la vie publique ou dans la vie privée » (article 1). Elle comprend diverses formes de violences dont « la violence physique, sexuelle et psychologique perpétrée ou tolérée par l’Etat, où qu’elle s’exerce » (article 2). La Déclaration indique que « certains groupes de femmes, dont les femmes appartenant à des minorités, les femmes autochtones, les réfugiés, les femmes migrantes (…) sont particulièrement vulnérables face à la violence ». Les principes directeurs du HCR sur la persécution liée au genre dans le cadre de l’article 1A(2) de la Convention de Genève (juillet 2008)indiquent qu’« adopter une interprétation de la Convention de 1951 qui prenne en compte le genre ne signifie pas que toutes les femmes ont automatiquement droit au statut de réfugié. La personne qui présente une demande de statut de réfugié doit établir qu’elle craint avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques. » De plus, « si un Etat, dans ses politiques ou sa pratique, n’accorde pas certains droits ou une certaine protection en réponse à des sévices graves, la discrimination dans l’octroi d’une protection (de la part de l’Etat), menant à un préjudice grave infligé en toute impunité, pourrait constituer une persécution. Des cas particuliers de violence familiale ou de maltraitance fondée sur une différence d’orientation sexuelle, par exemple, pourraient être analysés dans ce contexte » Comme l’indiquent les principes du HCR dans certains cas « il arrive qu’un Etat interdise une pratique de persécution (par exemple les mutilations génitales féminines) tout en continuant de tolérer cette pratique ou en étant incapable de la faire cesser efficacement. Dans de tels cas, cette pratique constitue aussi une persécution. Le fait qu’une loi a été adoptée pour interdire ou dénoncer certaines pratiques de persécution n’est donc pas suffisant en soi pour décider que la demande de statut de réfugié n’est pas valable ». Selon la Convention de Genève les acteurs de persécution peuvent être étatiques ou non-étatiques. Ainsi « des actes graves de discrimination ou d’autres actes offensants commis par la population locale ou par des individus peuvent également être considérés comme une persécution si de tels actes sont tolérés en connaissance de cause par les autorités ou si les autorités refusent, ou sont incapables, d’offrir une protection efficace. » (Guide des procédures du HCR) La persécution doit enfin être reliée à un motifs prévus par la Convention. Si toutes les femmes ne peuvent prétendre au statut du réfugié au simple motif de persécution faite aux femmes, la demande de protection peut se baser sur « l’appartenance à un certain groupe social ». En effet, comme l’indique les principes directeurs du HCR concernant les persécutions liées au genre « Les demandes liées au genre sont souvent analysées dans le cadre des paramètres applicables à ce motif » « Il en résulte que le sexe peut, de façon appropriée, figurer dans la catégorie du groupe social, les femmes constituant un exemple manifeste d’ensemble social défini par des caractéristiques innées et immuables, et étant fréquemment traitées différemment des hommes ». Ainsi, selon le Comité exécutif (Conclusion n°39 sur les femmes réfugiés et la protection internationale, 1985), « les Etats sont libres d’adopter l’interprétation selon laquelle les femmes en quête d’asile soumise à des traitements cruels ou inhumains pour avoir transgressé les coutumes de la communauté où elles vivent peuvent être considérés comme appartenant à « un certain groupe social » au sens de l’article 1A(2) de la Convention de 1951 ». Néanmoins, pour Claudie Lesselieron [8], "en réalité, , comme le montre l’étude globale du HCR [9][...] on est loin d’une politique cohérente, et les États sont réticents à prendre la mesure des persécutions sexuées et à véritablement inclure le genre dans leurs politiques. A cette date et d’après ce rapport 1/3 des pays du Conseil de l’Europe avaient reconnu le statut de réfugié à des femmes persécutées en raison de leur appartenance à un groupe social particulier" [10]. [1] Tel Quel, « En attendant, elles survivent… », Penna Amandine, ed. du 26/11 au 02/12/2005, p 42-43. [2] MSF-E, Violence et immigration, Rapport sur l’immigration d’origine subsaharienne (ISS) en situation irrégulière au Maroc, septembre 2005 (portant sur la période de novembre 2004 à mai 2005). [3] U.S. Department of State, Trafficking in Persons Report 2008, http://www.state.gov/g/tip/rls/tiprpt/2008/105388.htm [4] Rapport relatif à l’application par le Maroc de la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, février 2009, p35 [5] Dahir n°1-93-361 du 26 décembre 2000, publié au JO 18 janvier 2001 [6] notamment avec le soutien de certains ambassades [7] je me souviens en 2006 la réponse positive au soutien demandé à Casablanca pour une femme subsaharienne que son compagnon avait jeté du balcon [8] Responsable du projet « Traces, mémoires et histoire des mouvements de femmes de l’immigration » [9] Haut commissariat aux réfugiés, Guidelines on the protection of refugee women, 1991. Voir aussi FREEDMAN, Jane, « Introduire le genre dans le débat sur l’asile politique : l’insécurité croissante pour les femmes réfugiées en Europe » in : CEDREF, Genre travail et migrations en Europe, 2003 [10] Source : Femmes et politiques d’asile en Europe, Bruxelles, 19 novembre 2005, sur http://www.femmes-histoire-immigration.org/claudie%20Article%20Bruxelle%2005.htm |
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