En Espagne, une campagne publicitaire fait la promotion du « retour volontaire » des immigrés dans leur pays d’origine Pour répondre à la montée du chômage, le gouvernement Zapatero prend ouvertement pour cible les immigrés en mettant en place des mesures qui visent à favoriser leur « retour volontaire » dans leur pays d’origine. L’augmentation du chômage fait régulièrement la une des journaux espagnols ces jours-ci : il a atteint un taux record de 12,8 % au mois d’octobre, faisant de l’Espagne le pays le plus touché de l’Union européenne. Il s’agit du taux le plus élevé depuis 12 ans. [1] Pour nuancer ces chiffres qui dérangent, le gouvernement espagnol met l’accent sur la part d’étrangers qui sont touchés par le chômage. Selon le Ministre du travail, Celestino Corbacho, les immigrés présents en Espagne sont particulièrement victimes de la crise économique que traverse le pays actuellement. Nombre d’entre eux auraient perdu leur emploi au cours de ces derniers mois, en particulier ceux qui travaillent dans le secteur de la construction, secteur frappé par une forte baisse de la demande au cours des derniers mois. Quelle réponse le gouvernement espagnol apporte à cette crise ? Il encourage les immigrés au chômage à rentrer dans leur pays d’origine. En échange, il s’engage à leur verser l’ensemble des indemnités auxquelles ils ont droit, en deux versements : 40% avant leur départ et 60% un mois après leur retour dans leur pays d’origine. Le programme, appelé « plan de retour volontaire », est destiné aux ressortissants des 20 pays avec lesquels l’Espagne a signé des accords en matière de sécurité sociale [2], dont l’Equateur et le Maroc, pays d’où proviennent plus de la moitié des immigrés non communautaires, selon les sources officielles. Ce programme a été validé le 19 septembre dernier par le Conseil des Ministres et il est applicable depuis le mois de novembre. Sont concernés les ressortissants des 20 pays, inscrits comme demandeurs d’emploi et qui ont droit à des allocations chômage [3]. En contrepartie, ces personnes doivent quitter le pays dans les 30 jours qui suivent le premier versement des allocations, en compagnie de leur famille si celle-ci est venue par le biais du regroupement familial, et elles doivent s’engager à ne pas retourner en Espagne pendant les trois années qui suivent leur retour dans leur pays d’origine. Tout visa de travail leur sera automatiquement refusé au cours de ces trois années. Or, les personnes visées par ce programme sont celles qui se trouvent en situation régulière en Espagne. Elles ont le droit de séjourner en Espagne légalement, d’y travailler ou de toucher des allocations de chômage. Les personnes qui disposent d’un permis de séjour permanent sont entre autres concernées par cette mesure. Bien sûr, le gouvernement met l’accent sur le caractère « volontaire » de la décision de retour. Mais le simple fait d’encourager des migrants en situation régulière à regagner leur pays d’origine constitue selon nous une atteinte à un droit qui leur est pourtant garanti. En terme économique, on voit mal en quoi ce programme se justifie : qu’ils restent en Espagne ou rentrent dans leur pays d’origine, les étrangers toucheront le même montant d’allocations chômage auquel ils ont droit. Dans le cas du « retour volontaire », le gouvernement peut même accorder une aide supplémentaire pour payer le voyage jusqu’au pays d’origine. L’objectif serait donc plutôt de faire baisser à la fois les chiffres du chômage et le nombre d’immigrés en Espagne ? Là encore nous pouvons émettre des doutes. Un programme de « retour volontaire » existe en réalité depuis plusieurs années en Espagne. Le gouvernement affirme que la mesure adoptée en septembre est une simple réactivation de ce programme auquel elle apporte quelques compléments. Selon l’OIM, entre 2003 et 2007, seules 2 054 personnes ont bénéficié de ce programme. La plupart des étrangers présents sur le territoire espagnol ne sont pas concernés par le « retour volontaire » : les migrants en situation irrégulière, ou ceux qui ont des papiers mais qui ne touchent pas d’allocations chômage, soit parce qu’ils travaillent, soit parce qu’ils n’ont pas suffisamment cotisé, ne peuvent pas bénéficié de cette aide. Quant aux étrangers qui remplissent les conditions (situation régulière et bénéficiaire d’allocations chômage), il s’agit pour la plupart de personnes qui vivent en Espagne depuis de nombreuses années et qui sont peu disposées à retourner dans leur pays d’origine. Beaucoup ont fondé une famille en Espagne et sont liés par divers engagements, entre autres par des prêts qu’elles ont contractés. C’est pourquoi, même si le gouvernement espagnol affirme qu’il s’agit d’une mesure permanente, et non conjoncturelle, nous considérons que la réactivation de ce programme consiste davantage en une mesure de propagande qui vise sans doute plus à satisfaire l’électorat espagnol à court terme qu’à mettre en place des mesures économiques ou de « gestion des flux migratoires », comme les autorités aiment à nommer les politiques migratoires restrictives qu’elles mettent en place. La preuve en est la campagne de publicité qui accompagne la mise en place du programme. Une campagne publicitaire vient appuyer ce programmeDans le métro madrilène, on peut voir d’immenses panneaux placardés sur les murs, avec deux photos en gros plan du visage d’une personne à la peau mate. L’un représente un homme jeune, d’une vingtaine d’années, cheveux courts, peignés avec du gel. La photo laisse penser qu’il peut s’agir d’une personne maghrébine ou latino-américaine, en raison de sa couleur de peau. Une sorte d’ « étranger type » en Espagne en quelque sorte. Le second panneau représente le visage d’une femme, jeune également et de type vraisemblablement latino-américain, métisse. Les deux visages sont peu expressifs. Deux phrases se superposent à ces photos. Une question : « Si estás pensando en regresar… » (Si tu penses au retour…) ; Et la réponse : « retorno voluntario, tú eliges tu futuro » (retour volontaire, tu choisis ton avenir).Ces images très lisses par leur aspect graphique dégagent une grande violence dans le propos qu’elles diffusent, à savoir l’idée de l’étranger indésirable, que l’on encourage à quitter le pays. Cette campagne est en fait significative des orientations prises par le gouvernement Zapatero depuis quelques temps en matière d’immigration : une politique d’ « immigration choisie » à la française, qui accepte les immigrants en fonction du marché du travail national, et qui les rend responsable du chômage dès que son spectre apparaît. Notons qu’en France, un programme de « retour volontaire » existe également, mais il est de nature différente. L’aide au retour volontaire concerne les personnes en situation irrégulière qui acceptent de retourner dans leurs pays moyennant l’octroi d’une somme censée favoriser leur réinsertion dans leur pays d’origine. Il s’agit en réalité d’une expulsion déguisée, dans la mesure où ces retours sont comptabilisés dans les « reconduites à la frontière ». Selon un rapport sénatorial, rédigé par la commission des Finances du Sénat, un tiers des reconduites en 2008 s’est fait de manière « volontaire » contre seulement 7% en 2006. Mais, selon Cédric Mathiot, journaliste à Libération, « le rapport, s’appuyant sur les données de l’Agence Nationale de l’Accueil des Etrangers et des Migrations (Anaem), apporte également une précision d’importance qui ruine la démonstration du ministre. » Car sur les 10 577 retours à la frontière « volontaires » enregistrés fin octobre 2008, 8 710 entraient dans le cadre de "retours humanitaires". Ces derniers concernent en très grande partie des Roumains (7 028) et des Bulgares (834) qui sont plus difficile à expulser depuis que la Roumanie et la Bulgarie sont entrés dans l’UE et que leurs ressortissants bénéficient d’une statut particulier qui se situe entre les ressortissants communautaires et les ressortissants des pays tiers. Nous voyons qu’en France comme en Espagne, les programmes d’ « aide au retour volontaire » sont des mesures qui visent à gonfler les chiffres des performances du gouvernement en matière de « reconduite à la frontière », afin de satisfaire un électorat qui, préoccupé par la situation économique du pays, a tendance à rendre les étrangers responsables de la crise. De là à qualifier ces mesures de populistes, il n’y a qu’un pas… Pour aller plus loin, voir : En Espagne : www.planderetornovoluntario.es Article paru dans El Pais, Madrid - 19/09/2008 http://www.elpais.com/articulo/espana/plan/retorno/voluntario/inmigrantes/entrara/vigor/noviembre/caracter/permanente/elpepuesp/20080919elpepunac_10/Tes En France : Article de Cédric Mathiot paru dans Libération : http://www.liberation.fr/societe/0101304206-hortefeux-l-immigration-et-le-trompe-l-oeil-des-retour-volontaires [1] http://www.economiaynegocios.cl/noticias/noticias.asp ?id=56861 [2] Les 20 pays sont : l’Andorre, l’Argentine, l’Australie, le Brésil, le Canada, le Chili, la Colombie, l’Equateur, les Etats-Unis, la Russie, les Philippines, le Maroc, le Mexique, le Paraguay, le Pérou, la République Dominicaine, la Tunisie, l’Ukraine, l’Uruguay et le Vénézuela. [3] www.planderetornovoluntario.es |
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