London calling.... Après un an et demi dans une jungle du nord à répéter chaque soir « good luck, call me from London !! » aux migrants érythréens passant par Norrent-Fontes, j’ai moi-même répondu à l’appel de Londres… Arrivée à Victoria station vers 21h un samedi soir, je m’engouffre avec la foule dans le métro tout en m’interrogeant sur ce qui peut bien rendre cette ville si attractive. Que vont trouver ici tous ceux que j’ai laissés quelques heures plus tôt dans la boue et le froid d’un fossé ? Qu’ont trouvé ici tous ceux passés ? Que vont-ils devenir ? Que sont-ils devenus ? Société de consommationPremier pas, première surprise : l’escalator que j’emprunte résume le paradoxe qu’offre Londres. Le long des murs étincelants sont encastrés des dizaines d’écrans plats high-tech aspirant métropolitains et touristes dans un flot de publicités hypnotiques -« Achetez ! Achetez ! »- tandis que le plafond offre à la vue de celui qui veut bien sortir de cette profusion d’images et lever la tête, une structure délabrée. Sur le quai, l’attente n’est pas vaine, un énorme rétroprojecteur optimise la place entre deux affiches pour encore déverser un flot de pubs. Tout, dans la rue, les lieux publics, la TV, est fait pour consommer. Les rues cachent leur misère par une accumulation de panneaux publicitaires, d’enseignes d’échoppes ou de restaurants en compétition. A la TV, tous les programmes sont entrecoupés de publicité, toutes les 15minutes. Même cette étrange émission, Combat chefs, où l’on découvre un certain point de vue sur la guerre d’Afghanistan, à mi chemin entre l’émission de télé réalité et de propagande, le quotidien des troupes dans un camp militaire, où l’on organise… un concours de cuisine. Le but étant d’améliorer la cantine pour donner de l’entrain aux soldats ! Tout y est, la recherche du meilleur plat, la pression, le doute des compétiteurs, le passage devant le juge, la fierté ou la déception.Tout cela entrecoupé de scènes d’occupation, où ces mêmes chefs cuistots et soldats se promènent dans les villes et villages afghans miséreux...Mais on est vite aspiré par la pub avant de se rendre compte de l’incongruité de la situation, un monde idéal défile sur l’écran, où l’on pourra acheter deux cadeaux de noël pour seulement 8 livres- quand le café est à 2 livres et le ticket de métro à 4 ! Oui ! C’est la crise. Elle est présente à chaque coin de rue, grâce aux vendeurs de journaux qui affichent « bank’s collapse », « brown attacks the rich London »… Les taxes seront augmentées. La TV s’affole sur les mêmes scènes de trader dans le métro avec leur carton, rentrant piteusement chez eux. Woolworth, emblème mythique de la consommation british, est en passe de mettre la clef sous la porte. Bref à l’ouest…rien de nouveau. Enfin presque…loin, très loin, Mumbay est la proie des flammes et de la barbarie. On s’attaque aux « britons » et aux américains. Un « brit » à la double nationalité meurt en héros en brandissant son passeport anglais. Effroi, incompréhension, les « baby face killers » comme on les surnomme déjà, dès les premières heures, sont soupçonnés par la rumeur d’être citoyens anglais [1] …comment se peut il ?? PrécaritéLes kiosques parisiens -comme les nouvelles- me manquent. Ici une minable bâche et un tabouret sert de point de vente. Mais ils sont mieux lotis que les distributeurs de journaux gratuits que l’on rencontre tous les 10mètres dans les rues à forte affluence. Ils sont parfois 4 à un coin de rue, emmitouflés, repérables à un baudrier, souvent jeunes, la plupart du temps d’origine étrangère. Payés 6 livres de l’heure, pour 3 heures par jour, selon l’un d’entre eux d’origine indienne, ils distribuent ces journaux à mi chemin entre le magasine people et le ragot populiste, où les victimes de faits divers sont automatiquement qualifiées par leurs moyens financiers ; écolier mort dans son école à 18 000 livres l’année, femme agressée en sortant de sa maison à 1,5millions de livres... [2] Si on prend le temps d’observer Londres, on s’aperçoit que son côté « busy », comme le disent tous les exilés, tient du fait qu’on ne fait pas que passer dans les rues, on y travaille aussi. Après ces distributeurs de journaux, c’est une multitude de jeunes qui vous tendent des flyers, invitation à entrer dans une échoppe. Ici, c’est un jeune d’origine pakistanaise qui vous tend un ticket offrant un sandwich pour un acheté, là c’est une jeune anglaise pour une maison de thé bio et de commerce équitable. Là bas c’est un homme sandwich qui arpente la rue. Ici encore un teneur de pancarte d’origine afghane, plus âgé que les autres, sur le visage duquel on lit l’inutilité et l’humiliation, mais qui s’illumine quand on accepte le bout de papier proposant un buffet pour 5 livres dans la direction qu’indique la pancarte qu’il tient justement. Tout cela brassé par une foule hétéroclite faite de punks, de gothiques, d’étrangers, de costumes d’école, d’hommes d’affaires en trench-coat, qui font la queue sur plusieurs mètres au guichet de retrait, parfois plus d’un quart d’heure. Le tout sera dépensé dans les échoppes de Camden plus vite qu’il n’a été retiré… Dans ces échoppes, justement, on y trouve le « tout-London », « le tout-touriste » mais aussi le « Calais-underground » avec les petits vendeurs afghans, fiers de me faire un prix, en français s’il vous plait, « pour toi 10, car française ! »(j’aurai donc une piste pour les suivre). On y trouve en fait un goût de souk de Marrakech. Si l’échoppe est petite, 2 ou 4 vendeurs se la partagent, si elle est grande, jusqu’à 8 vendeurs peuvent y travailler le week-end. De toutes origines, des jeunes anglaises dans les boutiques bobo, aux pakistanais dans celle « are krishna », en passant par les chinois déguisés en mexicains. On vous hèle « come here miss !! » pour un peu j’entendais « par ici la gazelle ! » En tous les cas seuls les prix me rappellent que je suis à Londres… Est ce possible de se construire une vie avec ces jobs précaires et ce niveau de prix ? Faut-il que ceux que je suis venue chercher se contentent tous d’un simple moyen de subsistance ? Exilés à Londres ?Je m’enfuis rejoindre ceux que j’ai laissés quelques jours plus tôt dans la boue de notre jungle. Maintenant « passés », ont-ils imaginé tout ça ? Ont-ils imaginé une ville de plus de 7 millions d’habitants, avec plus de 40% appartenants à une minorité ethnique, avec une estimation de 400 000 sans papiers ? Une ville violente, qui compte son 16ième meurtre par arme blanche depuis le début de l’année, la plupart des victimes étant issues de l’immigration ? Une ville pourtant ultra policée, avec plus de 50000 caméras de surveillance, et presque 10 000 radars ? Une ville où tout est déterminé par l’argent ? Où quand on parle immigration, c’est en terme financier ? Du coût, certes, mais surtout, de l’apport en taxes, en masse de travail rentable ? [3] [4] Exilée moi aussi, je me heurte aux mêmes difficultés. Comme eux je ne connais pas la ville, comme eux l’accent anglais ne me permet pas de communiquer correctement, ni de connaître les ficelles pour ne pas me ruiner, pour me déplacer. J’ai pourtant une longueur d’avance, contrairement à eux et selon leurs confidences, je n’ai pas honte de ne pas comprendre, ni d’être perdue, j’ose aller vers ces « helper » destinés à orienter les touristes et autres désoeuvrés. Oui. Le « helper » autre espèce d’emploi précaire, pour jeunes étudiants ou étrangers, peuplant les rues de Londres, en baudrier eux aussi, selon leur catégorie -helper de bus, helper de métro, helper de gare- ils attendent là quelques heures chacun pour vous orienter. Ça m’aide à me déplacer, mais les retrouver dans la ville n’est pas une mince affaire. Leur prononciation ne me permet pas de savoir où ils sont, nos prononciations n’ont rien à voir avec celle anglaise. Eux-mêmes ne savent pas vraiment où ils se trouvent, n’osent pas encore se déplacer seuls, pour ceux qui me connaissent, osent dire qu’ils ne peuvent se débrouiller seuls, qu’ils ont besoin de la communauté « stabble here for long time » pour les accompagner à chacun de leurs premiers pas. Nos premières conversations se résument à : « _where are you ? _I am in to-re-ton. _where ?? _I TORENTON !! _Torenton ? That’s not english !! i’m sorry lily, i don’t know ! where are you, you ? _Tufnell park. _where ? Oh we don’t know..we are not able to find you, sorry... _leave it...text me your adress, i will try to find you..” C’est pas gagné...Le désert et la mer ne semble rien à côté de la jungle urbaine. Je les sens désemparés. Alors que je décrypte le tableau d’affichage de la gare de Croydon, où ils sont sensés être placés en foyer depuis leur récent passage de la manche, j’aperçois une affiche pour le moins étrange à mes yeux d’exilée française. On demande à ceux qui connaissent quelqu’un portant un couteau, d’envoyer son nom ou surnom, le nom de son école, l’année et l’endroit où il se trouve… je m’attache à cadrer ma photo, preuve pour moi d’une incitation à la délation. La photo est prise quand on me tape sur l’épaule et que je me retrouve face à face avec un agent de police, baudrier jaune, qui entame une conversation d’abord incompréhensible. Après qu’il ait compris que j’étais étrangère, il répète plus lentement sa question : pourquoi ai-je pris une photo dans la gare ? Qu’ai-je pris en photo ? Que vais-je en faire ? Avez-vous des papiers ? Passeport ou autre prouvant mon identité ? Je m’explique brièvement. Il sort alors un calepin où, selon ses explications, il va inscrire qu’il m’a fait perdre mon temps aujourd’hui (…) mais qu’il doit le faire car Croydon est placé sous un haut niveau de surveillance anti-terroriste (…) d’après lui, je sais bien sûr que c’est évident, normal et d’actualité. Ha bon ? J’allais lui demander pourquoi quand je vois qu’il inscrit « terrorism act, sect 44 » sur son calepin. Je m’interroge, inquiète et en profite pour placer que je suis française -ça pourrait servir- n’ayant pas mes papiers sur moi (je suis en Angleterre ou pas ?) j’appuie sur mon accent nordiste pour qu’il en soit certain. Je sens que ça le rassure. Je lui demande alors pourquoi Croydon. Une réponse évidente à ses yeux, résume ce que je viens chercher au RU : « bâtiment officiel des services d’immigration et d’asile, beaucoup de demandeurs d’asile, dangereux, fort risque terroriste, nécessité d’être prudent ». Tout ça dans la même phrase… Il ne m’a pas fallu 5 jours pour être fichée, je repars avec mon papier, où mon nom est suivi de « stop under section 44, terrorism act 2000 ». Mais pourquoi dit-on qu’il n’est pas obligatoire d’avoir des papiers d’identité en Angleterre si on les demande aux passants ? J’oublie peut être que j’avais l’air suspect, comme le sont les immigrés qui seront bientôt les seuls à posséder une pièce d’identité... Les exilés avaient –ils imaginé cet accueil ? Ont-ils conscience de la manière dont on les perçoit ? Ont-ils pensé ce pays comme une terre d’accueil où demandeurs d’asile rime avec terrorisme ? Où l’on expulse une personne toutes les 8 minutes ? Où sans ironie on clame qu’il est impossible d’expulser tout le monde, pour raison de finance, mais que quelques uns paieront le prix pour l’exemple ? Où la durée de rétention administrative est illimitée, le record étant de 7 ans pour un indien ? Car ici les centre de rétention ne brûlent pas, mais ici, rétention = prison. [5] J’arrive enfin au foyer de demandeurs d’asile de Croydon, deux femmes et un homme, érythréens, passés trois jours après moi, me tombent dans les bras, « i miss jungle » me souffle l’une d’entre elles, quand à l’homme, il rit et me dit « next step is USA ». Welcome to England !!![1] http://www.dailymail.co.uk/news/worldnews/article-1089711/Massacre-Mumbai-Up-SEVEN-gunmen-British-came-area-7-7-bombers.html [2] http://www.metro.co.uk/news/article.html ?Pupil,_12,_killed_by_hockey_ball&in_article_id=430696&in_page_id=34 [3] https://www.viewlondon.co.uk/news/uks-economic-recovery-dependent-on-immigrant-work-18918727.html ?utm_source=FeatureVenueSiteStats&utm_medium=internal&utm_campaign=FeatureVenueSiteStats [4] http://www.cityoflondon.gov.uk/Corporation/media_centre/files2007/immigration_report.htm [5] http://www.opsi.gov.uk/acts/acts1995/ukpga_19950039_en_1 ? |
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