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Inde / Exclusion urbaine /

Au cœur de Bombay : le bidonville de Dharavi
3 mai 2009 par Valerie

Le bidonville de Dharavi situé en plein cœur du Grand Bombay, et le gigantesque projet de re-développement visant à le métamorphoser en quartier huppé de classes moyennes aisées, sont une illustration parfaite de l’orientation ultra-libérale de la classe politique indienne dans son ensemble, qui reste obstinément sourde et aveugle aux besoins des pauvres, représentant pourtant plus de 60% de la population urbaine de la mégapole indienne. Démonstration.

I - Dharavi, un bidonville hors du commun

Les bidonvilles [1] s’étalant au ras du sol font partie de l’image d’Epinal de Bombay (rebaptisée Mumbai), au même titre que les gratte-ciels de la capitale financière et commerciale de l’Inde. Vue du ciel, l’intrication de ces deux univers est impressionnante : les tâches grises que forme l’enchevêtrement des toits en tôle ondulée des bidonvilles à très forte densité contrastent avec les tours claires et les espaces plus aérés des quartiers résidentiels et d’affaire.

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Une des voies d’entrée dans Dharavi, depuis la station de train de Mahim

Parmi cette multitude de bidonvilles, celui de Dharavi est réputé pour être l’un des plus grands d’Asie mais c’est surtout l’un des plus anciens. Les habitants originels de Dharavi étaient les Koli, une communauté de pêcheurs dont la présence est attestée depuis plusieurs siècles dans la crique de Mahim, le long de la rivière Mithi située à la limite nord de Dharavi. A l’époque, la zone où s’étend désormais le bidonville était marécageuse : ce sont les migrants, pauvres et exclus des quartiers plus riches du sud de Bombay, qui, de décennies en décennies, ont accéléré l’assèchement de la rivière en l’emplissant de déchets organiques et autres matériaux pour en faire un terrain habitable et constructible.

Aujourd’hui, Dharavi occupe une superficie de plus de 200 hectares. La population officielle est d’environ 600.000 personnes (recensement 2001) mais les estimations faites par des organisations ou chercheurs travaillant sur Dharavi l’évaluent à au moins un million d’individus, soit près de 100.000 familles, avec une densité de population moyenne d’au moins 350.000 habitants par km² et une latrine pour 1.440 personnes.

Malgré la dénomination unificatrice de « Dharavi », la zone qu’elle désigne est davantage une juxtaposition de quartiers aux caractères distincts, liés aux différentes vagues de migrants venus des quatre coins de l’Inde rurale. Si l’on fait exception des pêcheurs Koli, qui ne représentent plus qu’un faible pourcentage de sa population, Dharavi est en effet largement l’œuvre d’hommes et de femmes ayant quitté leur village d’origine, le plus souvent suite à des catastrophes naturelles telles que les sécheresses, et venus chercher un emploi dans la mégapole attractive que représente Bombay.

Une zone à la fois résidentielle et industrielle

Les premiers migrants étaient originaires du Maharashtra (Etat dont Bombay est la capitale) et du Gujarat (Etat mitoyen au Nord de Bombay). Ils s’étaient tout d’abord installés dans les quartiers sud de Bombay, mais au fur et à mesure de la croissance de la ville, ils ont été repoussés toujours plus au Nord afin de permettre aux populations plus aisés de vivre dans les nouveaux immeubles résidentiels construits en lieu et place des anciens bidonvilles. Ces premiers migrants ont fini par s’installer durablement à Dharavi. Plus tard, une forte vague de migrants est venue de l’Etat du Tamil Nadu (sud de l’Inde) à tel point qu’aujourd’hui un tiers de la population de Dharavi parle le tamoul. Plus récemment, deux Etats très pauvres et très peuplés du Nord de l’Inde, l’Uttar Pradesh et le Bihar, ont été les principales sources de nouvelles arrivées. Tous ces flux migratoires contribuent à la grande diversité des populations et des activités de Dharavi : potiers Kumbhar du Saurashtra (Gujarat), tanneurs du Tamil Nadu et d’Azamgarh (Uttar Pradesh), travailleurs de la maroquinerie et du textile du Maharashtra et du Bihar, balayeurs Valmikis de l’Haryana.

Dharavi se distingue aussi par la forte activité économique informelle qui s’y déploie, dans la petite industrie et l’artisanat. Contrairement aux autres bidonvilles de Bombay dont la grande majorité des habitants travaille en dehors de leur lieu de résidence, 80 % des résidents de Dharavi y exercent leur activité professionnelle. En ce sens Dharavi est aussi une zone industrielle à part entière dont le chiffre d’affaire est évalué à 400 millions d’Euros. Une étude de l’association SPARC (Society for the Promotion of Area Resource Centres) estime que Dharavi compte 4.902 unités industrielles dont 1.036 dans le textile, 932 dans la poterie, 567 dans l’industrie du cuir, 722 dans le recyclage et la ferraille, 498 dans la broderie et 152 dans l’alimentation. On y trouve en outre 111 restaurants et plusieurs milliers de boutiques.

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Fabrication de poteries à Kumbharwada

Ce fort dynamisme économique ne doit cependant pas faire oublier que les conditions de travail dans ce secteur informel sont le plus souvent extrêmement pénibles et précaires : ainsi, les potiers et leur famille vivent et travaillent en permanence dans la chaleur et la fumée toxique des fours où ils cuisent les poteries, tandis que les travailleurs du cuir, du textile ou de l’alimentation passent jusqu’à 15 heures par jour dans des pièces sombres et sans aération. Les salaires sont évidemment extrêmement bas et la concurrence entre les anciens et les nouveaux migrants pousse constamment le coût de la main d’œuvre à la baisse.

Dharavi souffre également, comme tout bidonville, d’un manque d’infrastructures de base et d’installations sanitaires tandis que l’accès à l’eau et à l’électricité reste aléatoire.

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Maisons en briques et toits de tôle

Mais contrairement à de nombreux autres bidonvilles plus récents, la plupart des habitations de Dharavi sont consolidées, construites de ciment et de briques (sauf pour le toit fait de simples plaques métalliques récupérées ou de tôles, plus rarement de tuiles). Cela témoigne d’une installation ancienne et d’une amélioration progressive de l’habitat dans la mesure des moyens financiers et de l’espace disponible.

II - Quelle gestion de la pauvreté urbaine ?

Il faut se garder, comme le rappelle la journaliste et écrivain Kalpana SHARMA [2], d’une vision romantique de ce bidonville où s’opèrerait chaque jour un miracle économique, triomphe de l’ingéniosité et de la créativité des « pauvres » vivant par ailleurs dans des conditions inhumaines. La part de vérité de cette image ne doit pas faire oublier un point essentiel, à savoir que Dharavi pose avant tout un réel problème, toujours non résolu et largement ignoré par les pouvoirs publics : celui de la gestion de la pauvreté urbaine dans une Inde qui voit sa population citadine croître rapidement sous l’effet conjugué de la croissance naturelle et de l’exode rural. Ce phénomène est dû notamment à l’absence d’une véritable politique agricole qui permettrait aux paysans de vivre de leur activité rurale, leur évitant ainsi de venir s’entasser dans les bidonvilles. Dharavi rappelle donc aussi que de telles conditions de vie et de travail sont inacceptables et qu’il revient à l’Etat et au Gouvernement indiens d’assurer à tous leurs citoyens, y compris et peut-être même surtout aux plus pauvres, des conditions d’existence décentes, en prenant en compte leurs besoins en termes de logement et de travail dans l’élaboration de leur politique.

Jusqu’à récemment Dharavi était considéré par ses habitants et les nouveaux venus comme un lieu d’installation stable. D’après Jockin Arputham, fondateur de la National Slum Dwellers Federation [3] (« Fédération nationale des habitants des bidonvilles »), rencontré le 31 mars 2009 : « Quand les migrants viennent à Bombay, ils choisissent Dharavi pour deux raisons : ils sont sûrs d’y trouver un emploi et ils ne courent pas le risque d’être expulsés [4] ».

Pendant longtemps, l’environnement insalubre de Dharavi le rendait en effet peu attractif pour les investisseurs immobiliers. Situé sur des terres basses, près de la mangrove et de la rivière Mithi, extrêmement polluées par les déchets et les eaux usées de la ville, Dharavi subit chaque année les inondations de la mousson et les risques sanitaires qui les accompagnent.

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"90 Feet Road"

Par ailleurs, depuis les années 80, les autorités ont plus ou moins admis la nécessité d’améliorer la situation des bidonvilles, sans toutefois reconnaître officiellement leur existence. Plusieurs quartiers de Dharavi ont ainsi fait l’objet de projets d’amélioration ou de réhabilitation qui ont permis de reloger des milliers d’habitants dans des immeubles, d’élargir quelques routes principales, et de mettre en place des canalisations pour les eaux usées (cf. le Prime Minister’s Grant Project, PMGP, de 1986). Sous la direction de la Slum Rehabilitation Auhority (SRA), créée en 1995 pour faciliter la mise en œuvre des plans de réhabilitation des bidonvilles du Grand Bombay, environ 70 immeubles de sept étages ont été ou sont actuellement construits à Dharavi. Il faut ici rappeler qu’habiter un bidonville n’est pas synonyme de gratuité, puisque les habitants paient entre 500 et 1.000 roupies (soit 8 à 16 Euros) par mois à des « propriétaires » informels, sorte de mafia locale qui, en l’absence d’Etat, domine le marché du logement, l’accès à l’eau, à l’électricité, aux latrines et impose arbitrairement ses règles aux résidents.

Les résultats de ces projets sont très variables mais ils ont alimenté l’espoir des habitants que Dharavi finisse par être reconnu officiellement. Cela leur assurerait la sécurité de la propriété ou de la location et leur permettrait d’investir davantage dans leur habitat et leur entreprise, avec la garantie que l’Etat apporte les services publics de base.

Le Dharavi Redevelopment Project (DRP)

Mais la libéralisation économique des années quatre-vingt-dix a bouleversé la donne. Depuis 2004 un vaste plan de re-développement très controversé est à l’ordre du jour : le Dharavi Redevelopment Project. Dharavi se situe en effet désormais à un emplacement stratégique, à deux pas du nouveau centre international financier et des affaires du « Bandra Kurla Complex » [5], qui vise à désengorger le sud de Bombay. S’y sont donc installés la bourse nationale des valeurs, la bourse du diamant et plusieurs sièges de grandes institutions financières et bancaires. Dans un contexte où l’espace est une ressource de plus en plus rare à Bombay, les terres que Dharavi occupe ont ainsi acquis en quelques années une très grande valeur sur le marché immobilier en pleine explansion et attisé la convoitise des investisseurs indiens et étrangers. Sans oublier que Dharavi est idéalement situé à la croisée des deux principales lignes de chemin de fer desservant Bombay.

Le Dharavi Redevelopment Project (DRP), sans cesse remanié, reporté et au coût en constante augmentation (estimé aujourd’hui à 3 milliards d’Euros), est également piloté par la Slum Rehabilitation Auhority. D’une manière générale, les plans de la SRA reposent sur un partenariat public-privé où des constructeurs privés ou des sociétés coopératives sont chargées de construire de petits appartements d’environ 21 m² (225 sq ft) dans lesquels les habitants pouvant attester de leur présence dans le bidonville avant une certaine date sont relogés gratuitement, en général à la périphérie de la ville. En échange, les entrepreneurs immobiliers obtiennent le droit de construire sur les terres ainsi « libérées » par les bidonvilles d’autres appartements et espaces commerciaux vendus aux prix élevés du marché, ce qui leur permet de réaliser de juteux bénéfices.

Le DRP est un projet encore différent et de plus grande ampleur, puisqu’il prévoit de réhabiliter l’ensemble du bidonville et de reloger à Dharavi même tous les habitants dont les noms figurent sur la liste des électeurs avant l’année 2000 [6]. Cela représenterait, selon les chiffres officiels, 72.000 familles.

Ce projet, qui doit durer 7 ans, a été approuvé par le Gouvernement du Maharashtra en 2007 mais conçu dès 1995 par le cabinet d’architectes MM Project Consultants. Il est le fruit des idées de Mukesh MEHTA [7], un architecte indien formé aux Etats-Unis, désormais consultant du Gouvernement du Maharashtra. Il défend une approche dans l’air du temps, dite « intégrée et durable », qu’il a baptisée HIKES pour : Housing (habitat) ; Income (revenus) ; Knowledge (savoir) ; Environment et Socio-cultural development. Il propose de remplacer le bidonville de Dharavi par un ensemble de cinq secteurs autosuffisants avec immeubles résidentiels, commerces, parcs industriels, écoles, hôpitaux, jardins, golfs, complexes sportifs, etc. Les cinq constructeurs privés auxquels sera confié le re-développement de ces cinq secteurs doivent, contrairement aux autres projets de la SRA, assurer également la mise en place des infrastructures de base : eau, électricité, routes, canalisations. Cette clause doit permettre d’éviter que l’on ne transforme des bidonvilles horizontaux en bidonvilles verticaux, comme cela a trop souvent été le cas. L’ambition de M. Mehta est de faire du Dharavi Redevelopment Project un modèle de re-développement reproductible internationalement afin de parvenir d’ici 2025 à un « monde sans bidonvilles ».

Pommes de discorde

Sur le papier le projet peut séduire, mais la réalité est tout autre et le plan a suscité une levée de boucliers de la part des organisations représentant les habitants de Dharavi, en particulier le collectif Dharavi Vikas Samiti (comité pour le développement de Dharavi) qui comprend la National Slum Dwellers Federation, SPARC et Mahila Milan (association de femmes).

Le premier point de discorde concerne le nombre de personnes devant bénéficier du projet. Il apparaît largement sous-évalué car même en prenant l’année 2000 comme référence, la SRA ne parvient qu’à 72.000 familles alors que la NSDF estime que 100.000 serait plus juste. Et une question se pose : où iront les familles non réhabilitées ? Alimenter de nouveaux bidonvilles, plus loin, dans des conditions encore aggravées ?

La taille des appartements devant être attribués gratuitement aux habitants fait l’objet d’un autre différent : 21 m², c’est trop peu pour des familles de 5 à 10 personnes qui bien souvent exercent leur activité professionnelle sur le lieu même d’habitation, qu’ils ont parfois pu agrandir en construisant un étage. Cette possibilité sera inenvisageable dans un immeuble. A force de tractations, les associations ont réussi à imposer une surface de 28 m², ce qui semble plus acceptable, bien que certaines souhaitent obtenir 37 m². Car nombre d’activités industrielles exigent bien plus d’espace : leurs propriétaires devront donc soit acheter le terrain au prix du marché, ce que peu d’entre eux ont les moyens de faire, soir cesser leur activité, soit, à nouveau, la déplacer dans un autre bidonville.

Le sort des activités industrielles informelles polluantes (savonnerie, tannerie, poterie) pose également un problème : le DRP signifiera-t-il la cessation de leurs activités et la mise au chômage des travailleurs ?

Autant de questions toujours sans réponses et qui expliquent la forte inquiétude des habitants, petits entrepreneurs et artisans de Dharavi auxquels aucune garantie n’est donnée quant à la poursuite de leur activité professionnelle.

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Kumbharwada, quartier des potiers

Le cas des potiers de Kumbharwada est encore à part. Ce quartier de 2.000 familles de potiers venus du Gujarat au début du 20e siècle s’étend sur 5 hectares. L’espace est pour eux une donnée essentielle. Ils estiment qu’ils ont besoin d’au moins 92 m² pour entreposer la terre, la pétrir, faire les poteries, les sécher, installer les fours dans lesquels les cuire et, pour certains, avoir un espace sur la rue où les vendre. Les 28 m² proposés sont bien évidemment insuffisants et leur niveau de pauvreté ne leur permettra en aucun cas d’acheter de terrain. Ils refusent par ailleurs catégoriquement de se considérer comme un « slum » (bidonville) et, partant, de faire partie du projet. Ils s’estiment en effet toujours propriétaires de ces terrains qui leur ont été attribuées au début du 20e siècle par les colons Britanniques, pour une période de 99 ans, dans le cadre de la Vacant Land Tenancy act. Mukesh Mehta, lui, juge cette attribution obsolète à partir du moment où le Gouvernement du Maharashtra a adopté le DRP.

III - Réhabilitation des bidonvilles ou exclusion des pauvres ?

Les principaux griefs des habitants et des associations censées les représenter reflètent donc l’absence de véritable concertation entre les promoteurs du projet de re-développement de Dharavi et sa population [8]. Avant d’élaborer son projet, le cabinet de Mukesh Mehta n’a réalisé aucune étude de terrain approfondie pour connaître la situation actuelle, le nombre exact d’habitants et d’habitations, leurs activités économiques, leurs besoins en terme de logement et d’espace industriel, artisanal et commercial. Le DRP est typiquement un projet conçu par un expert technique, projet que l’on veut imposer « d’en haut » à une population qui souhaite bien évidemment le re-développement de Dharavi mais certainement pas contre ses propres intérêts.

Ce projet témoigne donc de la regrettable absence de volonté des décideurs indiens de penser et de mettre en œuvre une véritable politique urbaine incluant des logements à bas coût pour les pauvres qui représentent, ne l’oublions-pas, plus de la moitié de la population indienne. Il ne peut dès lors être qualifié de plan d’aménagement urbain dans la mesure où, loin de prendre en compte les conditions de vie et de travail des habitants actuels, il ne considère en dernier ressort que les gains financiers devant être réalisés non seulement par les promoteurs et les constructeurs immobiliers mais aussi par l’Etat : ce dernier escompte tirer un profit de 20 milliards de roupies grâce aux intérêts que ses « partenaires » privés s’engagent à lui verser.

A terme, et si le projet tel qu’il a été conçu est effectivement mis en œuvre, on peut craindre que, comme dans bien d’autres cas, les habitants relogés finissent par quitter Dharavi, de gré ou de force. Soit ils ne disposeront plus de l’espace nécessaire à l’exercice de leur activité économique, soit les coûts de maintenance seront tellement élevés (plus de 1.500 roupies par mois, sans compter les impôt municipaux et les charges d’électricité et d’eau) qu’il n’auront d’autre choix que de louer ou de vendre leur appartement et de se réinstaller dans un autre bidonville, malgré l’interdiction qui leur en est faite pendant 10 ans (expérience oblige !). Dharavi deviendra alors ce que Mukesh Mehta et le Gouvernement du Maharashtra souhaitent probablement : un quartier de classes moyennes bénéficiant de tous les services de base et de luxe à proximité de leur lieu de résidence.

Un avenir incertain

Il est actuellement difficile d’anticiper l’évolution de ce projet sans cesse repoussé depuis 12 ans mais dont les étapes avancent pourtant. L’appel d’offre a été lancé en juin 2007 et les promoteurs intéressés, indiens et étrangers, ont commencé à présenter leurs projets (aspects techniques non financiers) en février 2009. Certains prédisent donc déjà la disparition de Dharavi en tant que quartier populaire avec son remplacement par un quartier résidentiel et commercial de classes moyennes. D’autres affirment que la population s’opposera à tout plan qui les obligerait à partir, eux qui ont valorisé la terre marécageuse de Dharavi à force d’intense labeur pour en faire une zone vivable : ils menacent, par exemple, de bloquer la circulation des trains ce qui paralyserait effectivement toute l’activité économique de Bombay.

La politique des partis n’est pas non plus étrangère aux difficultés rencontrées dans la mise en œuvre du DRP. Le Dharavi Redevelopment Project est aujourd’hui défendu par la coalition menée par le parti du Congrès, à la tête du Gouvernement du Maharashtra (Etat de Bombay). Les partis d’opposition, BJP et Shiv Sena, bien ancrés à Dharavi, le rejettent donc catégoriquement, alors qu’ils l’avaient approuvés lorsqu’ils étaient eux-mêmes au pouvoir en 2004… Il faut donc maintenant attendre le résultat des élections nationales d’avril-mai 2009.

Autre élément conjoncturel de taille, la crise économique mondiale remet en cause ce gigantesque projet. Mais c’est aussi une occasion unique pour les associations de proposer des alternatives qui auront peut-être plus de chances d’être entendues par les autorités. C’est en tout cas ce qu’espère Jockin Arputham, récemment nommé au sein d’un comité devant conseiller le Gouvernement, et qui pense « réussir à convaincre les constructeurs de répondre à certaines demandes des habitants ». Lesquelles ? Il ne l’a pas précisé.


[1] Il n’existe pas de définition universellement reconnue d’un bidonville mais l’organisation des Nations unies UN-Habitat propose les caractéristiques communes suivantes : manque d’accès aux services de base, à l’eau et aux installations sanitaires ; des structures d’habitation illégales ou ne répondant pas aux normes de la construction ; très forte densité de population ; conditions de vie constituant un risque pour la santé ; occupation des terres irrégulière ou informelle ; pauvreté et exclusion sociale.

[2] Lire l’ouvrage de référence de Kalpana SHARMA, Rediscovering Dharavi, Penguin Books, New Delhi, 2000

[3] Voir le site du collectif d’organisations travaillant avec les habitants des bidonvilles, http://www.sparcindia.org

[4] Ajoutons que le plus souvent on vient aussi à Dharavi par le réseau de connaissances familiales ou villageoises.

[5] Voir le site de la Mumbai Metropolitan Region Development Authority (MMRDA), http://www.mmrdamumbai.org/planning_ifbc.htm

[6] Au départ, l’année retenue était 1995 mais les associations ont obtenu que ce soit finalement 2000 afin d’inclure plus d’habitants.

[7] Lire son portrait dans « Dharavi’s makeover man », LiveMint, June 23, 2007, http://www.livemint.com/mehta.htm

[8] Cf. « Dharavi : a view from below », par la NSDF et SPARC, http://www.sparcindia.org/docs/dharavi05.doc



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