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Radio Bois Caïman, première expérience de communication participative populaire en Haïti
4 août 2008 par Marie

Radyo Bwa Kayiman (Radio Bois Caïman) située à Mare Rouge, au Môle Saint Nicolas (Département du Nord Ouest), est la première expérience radiophonique communautaire qui a vu le jour en Haïti il y a cela 17 ans. Depuis 15 ans elle bénéficie de formations et d’accompagnement technique, promulgués par la Société d’Animation et de Communication Sociale (SAKS), pour continuer la lutte de transformation sociale dans la communauté de Mare Rouge et œuvrer à la démocratisation de la communication en Haïti.

La naissance de Radio Bois Caïman [1]

Créée en 1990 par un nommé Tchatchou, à l’origine, Radyo Bwa Kayiman n’avait pas pour mission d’être une radio d’expression communautaire. Son fondateur Tchatchou, qui est mort depuis, aimait réparer les radios. Au fur à mesure de cette activité, il a commencé à collectionner un certain nombre de postes et d’émetteurs radiophoniques.

Après avoir effectué divers arrangements techniques, il décide alors de faire un essai de transmission. Un visiteur en possession d’un récepteur radio qui flânait dans la commune, interpelle les locaux pour connaître le nom de cette station qu’il écoutait. Les habitants lui expliquent qu’ils avaient effectivement entendu cette station mentionner la localité de Mare Rouge mais qu’ils n’en connaissaient pas le nom. Au premier de répliquer que cette station ne pouvait être que la radio Mare Rouge. C’est de cette anecdote que Radyo Bwa Kayiman vu le jour.

Suite à cette expérience effectuée sur une distance de 15 à 20 mètres, les habitants de Mare Rouge ont pris conscience que si certaines villes du territoire pouvaient se doter d’une station de radio, il en était de même pour leur communauté. Ainsi, à l’initiative de l’organisation locale Mouvman Nèg Mawouj (MONEM), les habitants ont commencé à réfléchir et à échanger leurs idées pour pouvoir permettre à cette radio de diffuser dans un périmètre plus vaste. Aussi, en comprenant l’impact que pourrait avoir une telle initiative, des personnes de l’étranger ont diffusé l’information au sein de la diaspora haïtienne qui par la suite donna un coup de pouce pour permettre que cette radio devienne réalité. Le 26 juillet 1990, Radyo Bwa Kayiman était sur pied. Aujourd’hui, elle est appuyée par le Groupe de Recherche et d’Appui au Far-Ouest (GRAF).

Un contexte politique difficile

Avant la création de Radyo Bwa Kayiman, la communication était loin d’être évidente. Par chance certaines personnes réussissaient à capter, de temps à autre, les émissions de radio Lumière qui venait de s’implanter dans le secteur.

Dans les années 1990, période pendant laquelle le pays a connu plusieurs coups d’état, la majeure partie des médias traditionnels étaient dans l’incapacité de fonctionner. La communauté de Mare Rouge avait essentiellement accès aux émissions diffusées par la Voix de l’Amérique. De plus, ceux qui possédaient une radio étaient des personnes qui en avaient les moyens, ce qui n’était pas fréquent dans cette localité.

Malgré ce contexte d’instabilité caractérisé par la terreur qui plongeait la population dans une pauvreté extrême, le besoin de liberté d’expression et de faire circuler l’information s’intensifiait. C’est ainsi que la radio communautaire de Mare Rouge a intégré en 1993 les réseaux de radios communautaires communication réalisant à son tour, des expériences de communication participative et de proximité.

Lutter pour un changement social

Pour répondre aux besoins de la communauté, les animateurs ainsi que l’ensemble de l’équipe de Radyo Bwa Kayiman ont décidé de se former aux techniques radios. N’ayant aucune expérience dans ce domaine, certains membres de la communauté leur ont fait bénéficier de quelques contacts à Port-au-Prince (la capitale) pour pouvoir joindre des formations.

De manière générale, que ce soit dans ou hors la capitale se rendre à une formation était un exercice périlleux dans un tel contexte de méfiance et d’insécurité. Ainsi, les membres de la radio ont mis en place une stratégie pour y accéder. En faisant croire que les formateurs étaient des membres de l’église qui animaient des séances de catéchisme, l’équipe de Radyo Bwa Kayiman a pu assister aux différentes formations sans éveiller aucun soupçon.

Néanmoins, pendant ces coups d’états successifs, la radio était contrainte de diffuser des émissions musicales sans pouvoir poursuivre le travail commencé, c’est-à-dire celui d’un média qui agis au sein de la communauté et permettre l’expression de la citoyenneté en vue d’un changement social.

Radyo Bwa Kayiman du nouveau millénaire `

Depuis, la radio a repris la diffusion d’émissions éducatives en faveur de la communauté. Durant l’année 2006 elle a accédé aux nouvelles technologies grâce à un programme lancé 4 ans avant par SAKS et l’organisation des Nations Unies pour l’éducation la culture et la communication (UNESCO/PIDC).

Ce programme qui consiste à implanter des centres multimédias dans les communautés reculée comme à Mare Rouge, permet aux membres de Radyo Bwa Kayiman et les jeunes qui fréquentes le centre d’avoir en leur possession des outils de nouvelles technologies de communication dans le but de poursuivre le travail de démocratisation.

Aujourd’hui Radyo Bwa Kayiman, avec les autres radios communautaires partenaires de SAKS, oeuvre pour la ratification d’un projet de loi garantissant la liberté d’expression et la pluralité du paysage médiatique haïtien.

Les 17 et 18 juillet 2008 derniers, des membres de Radyo Bwa Kayiman se sont rendus à la rencontre nationale des radios communautaires organisée par SAKS. Rencontre pendant laquelle ils ont participé à la création d’un nouveau réseau national, appelé Association des médias communautaires haïtiens (Ameka).

Allô biladi… merheba fbledek : le Maroc accueille ses ressortissants à l’étrangers.
28 juillet 2008 par Nadia

Le 15 juin 2008 a été lancée l’opération Marhaba 2008 sous le slogan : "Où que nous soyons, le Maroc est en nous", (le même que pour l’année 2007). L’opération « Transit 2008 » est menée par la Fondation Mohamed V pour la solidarité

Le Maroc constitue un des principaux pays d’émigration au monde avec 2,7 millions de ressortissants à l’étranger [2], communément appelés MRE [3]. Leurs transferts de fonds constituent une des plus importantes ressources du pays avec le tourisme (58 milliards de dirhams) [4] et les phosphates. Ils ont atteint 5 milliards d’euros (55,126 milliards de dirhams [5] ) en 2007, plaçant le Maroc au 15ème rang mondial des pays receveurs de fonds de leurs émigrants et au 2ème rang, après l’Egypte, des pays de la zone Afrique/Moyen-Orient [6].

Le transit des MRE s’est d’abord fait dans des conditions très difficiles (longues heures d’attentes en pleine chaleur, bagages à déballer et à remballer pour des voitures chargées, mépris de certains douaniers et des forces de sécurités marocains et espagnols, bakchichs, etc.).

Le Maroc a maintenant réalisé l’importance de ne pas dissuader ces ressortissants à venir passer leurs vacances estivales au Maroc. en effet, les MRE représentaient en 2006 près de 50% des 6 millions de touristes comptabilisés.

Ceux-ci font donc maintenant l’objet d’un accueil particulier comme l’atteste les nombreux panneaux leur souhaitant la bienvenue et les services mis à leur disposition : centre d’appel opérationnel 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24, structures d’assistance et d’accueil aux différents ports, point de transit et aux aires de repos.

Centres d’accueil à l’étranger : Gênes, Algesiras, Almeria, Sète, Naples, Port Vendres Aires de repos : Briech (Asilah), Taourirt, Larache

Centres d’accueil au Maroc : Ports de Tanger, Nador et Al Hoceïma, Bab Sebta, Aéroport Oujda Angad et Aéroport Mohammed V Casablanca

Plus de 400 assistantes sociales, médecins, cadres paramédicaux et volontaires sont mis à la disposition de la communauté marocaine à l’étranger, ainsi que divers équipements (salles de repos, espaces pour enfants, salles de consultation médicale, ambulances, sanitaires, fontaines, eau minérale). Un mois après le démarrage effectif de Marhaba 2008, les différents postes frontières ont enregistré jusqu’au 17 juillet l’entrée de 1.030.859 personnes, en augmentation de 18,06 % par rapport à la même date de l’année 2007. D’un autre côté, le nombre des véhicules ayant transité a enregistré une augmentation qui a atteint seulement 2,4 %.

Jusqu’à la même date, la Fondation a apporté l’assistance à plus de 15.600 personnes concernant les soins médicaux (2.178 cas), le transport ainsi que l’accomplissement des formalités administratives [7].

Mini- guide MRE 2008

Les MRE sont maintenant choyés même si cette attention particulière tend à en irriter quelques uns, conscients que les intérêts financiers ne sont pas tant éloignés de l’argument mis en avant : celui de la solidarité... Cette attention ne veut d’ailleurs pas dire que ces ressortissants marocains à l’étrangers n’aient plus à se plaindre de traitements discriminatoires : obligation de prouver sa marocanité à la douane en entrant avec un passeport étranger, davantage de contrôles routiers avec une corruption de certains fonctionnaires de police qui bien qu’ayant diminuée n’a pas disparue, etc., sans parler des prix qui leur sont parfois appliqués (tarif des locations et achats divers) par notamment des commercants considérant que ces "zmigri" (émigrés) ont réussis leur vie à l’étranger, voire doivent contribuer au développement de leur pays.

Au-delà des plages qui se remplissent, des fêtes et mariages qui s’organisent, le Maroc se tourne pendant cette période vers ses ressortissants qui rentrent au bercail ... notamment pour investir mais surtout pour retrouver famille et racines.

D’ici le 15 septembre prochain, date de la fin de l’opération, près de 3 millions de passagers et 800.000 véhicules sont attendus, selon la Directrice générale de la protection civile espagnole, Pilar Gallego, citée par la Map [8].

vidéo sur l’opération transit 2008

"Allô biladi… merheba fbledek" = allô mon bled... bienvenu dans ton bled (= chez toi)... messages que les MRE entendent régulièrement tout au long de leur séjour au Maroc.

Ubajara !
21 juillet 2008

La brève de cette semaine ne va parler d’économie solidaire. Je vais vous compter Ubajara... qui n’est pas une incantation, mais un parc national. Avec une amie, on est donc parti visiter ce parc situé à l’est du Ceará et réputé pour ces grottes, ses cascades et son petit téléférique, le « bondinho ». La montagne surplombe le célèbre sertão nordestino.

Nous sommes arrivés de nuit en provenance de Fortaleza, après 7 heures de bus. La première rencontre (mais de loin...) fut celle avec trois personnes ayant des battes de base-ball et des têtes étranges (l’effet batte sans doute). Réflexe de Fortaleza, on s’éloigne. Après s’être renseigné dans un bar pour aller dans l’auberge, on appris qu’il s’agissait de la vigie de la ville, payée par les commerçants pour protéger le quartier. Après avoir réveiller un taxista, on arrive à bon port, prêt pour visiter le parc le jour suivant. Après un parcours de sept km dans la montagne, on arrive dans les grottes, qui étaient utilisées de temps par les indiens comme lieu sacré ou par les portugais. Elle est aujourd’hui habitées par les chauves-souris porteuses de la toxoplasmose et les touristes porteurs d’appareils photos.

De retour de visite, on est passé faire un tour dans le grand village. Dans certaines devantures, pendus aux crochets, trônaient au soleil des grands morceaux de viande... Avec une légère odeur embaumant les magasins. La population étaient elle réunie autour d’un camion, sur lequel trois personnes s’occupaient du tirage du loto. L’animateur parlait avec cette intonation bien particulière qu’ont les animateurs brésiliens de s’exprimer, avec en plus un écho qui amplifiait sa voix et qui augmentait lorsque qu’il présentait les sponsors. Malgré les plusieurs centaines de personnes (au moins le village entier et ses alentours), un silence religieux régnait, les premiers prix étant des objets très convoités au Nordeste, 4 motos 125cc. Toute la place et les rues alentours étaient occupées. Une vraie messe !

On fit un bout de chemin du retour à l’auberge, avec la femme de l’ancien maire de la ville, plusieurs fois conseiller municipale et de nouveau en compétition pour les prochaines élections. Sa maison est immense, avec plusieurs voitures, un car privé, etc. Il y a beaucoup de maison de ce type quand on sort de Fortaleza (notamment dans la montagne de Baturité), le contraste de désinégalité sociale avec de nombreux quartiers de la ville est saisissant... Beaucoup d’entres elles sont en construction pour servir de maison de vacances... Comme quoi être maire de Ubajara...

On a logé dans une auberge tenue par un allemand, habitant au Brésil depuis 27 ans. Les chambres sont en fait des mini-chalets... situés dans une forêt presque tropicale avec des bananiers ou des manguiers. La nuit venue, la chambre fut envahie par une dizaine de petites grenouilles.

On est ensuite parti avec notre hôte, visiter la cascade de Frade à 30 km, à bord de sa « chevette DL » de 17 ans d’âge. Sur le chemin on passe devant la plus grande fabrique de cerise du Brésil (paraît-il), détenue par des américains. Elle ne sert pas pour la consommation, mais pour récupérer la peau du fruit pour ensuite faire des crèmes de beauté... C’est le plus grande employeur de la région.

Le début du parcours dans la broussaille du sertão fut bien sympathique. Après quelques kilomètres notre guide nous fit descendre une falaise, avec des parties en escalade et une ou l’on doit se jeter contre un arbre pour se retrouver suspendu en haut, balancer tranquillement puis atteindre une échelle... Ce n’est pas bien compliqué, mais pour deux citadins peu rompus aux joutes avec la nature et soumis à un léger vertige, cela devient une expédition. Notre guide sautait lui de roche en roche, tranquillement. Pour éviter le retour par la falaise, on remonta les rapides, le corps à moitié dans l’eau, on mis la main sur un arbre bourré de fourmis qui piquent... quelle idée d’avoir inventé des fourmis qui piquent... Mais cela valait le coup, les rapides de Frade sont remarquables. On a ensuite repris la route pour Fortaleza. Ubajara bonito por natureza !

Le mouvement syndical au sein du Forum Social Maghrebin
15 juillet 2008 par Souad

Le 21 et 22 juin s’est tenu à Mohammedia le Forum Syndical Marocain. Cette rencontre est partie de l’idée d’un groupe de participants du Forum Social Marocain de janvier 2008 de développer une dynamique syndicale. Les différents acteurs s’étaient concertés pour lancer un appel aux organisations dans le milieu, et s’était donc donné rendez-vous le mois dernier afin de faire un point sur l’état d’avancement de la plate forme syndicale.

Etaient présent une soixantaine d’acteurs syndicalistes et associatifs du Maroc, du Maghreb et du Moyen-Orient. Cette rencontre à Mohammedia avait pour objectif de renforcer le mouvement mis en place afin d’aller vers un Forum Social Maghrébin.

Les précédentes discussions avaient mis en lumière un certains nombre de problématiques auxquelles doit faire face le corps syndical. Face aux effets néfastes du néolibéralisme le milieu syndical a encore du mal à s’imposer.

Les grandes institutions financières internationales, et les multinationales pèsent énormément sur la société et tendent à écraser les droits et les acquis de la classe ouvrière. Le système de plan qui prônent aujourd’hui sur la société va dans le sens d’une désintégration et d’immobilisation de ces mouvements syndicales, ce qui à moyen terme tend à dissoudre les composantes de la lutte et de la résistance sociale.

C’est pourquoi les différents acteurs syndicalistes et associatifs présents au Forum de Mohammedia ont souhaité créer ce mouvement plus ample, afin d’unifier les luttes, car ces organisations font face à la même menace et au même défis face à la mondialisation.

Que ce soit au Maroc, Algérie, Tunisie, Mauritanie, Congo ou dans d’autres pays les conditions sociales de l’ensemble des masses populaires sont en réel danger, notamment ceux de la classe ouvrière. Depuis 2004 les syndicats ont trouvé au sein du Forum Social Maroc un véritable espace de mobilisation. Jusqu’à arrivé à cette rencontre du 21 et 22 juin qui a rassemblé presque 200 participants.

La rencontre qui s’est passé sur deux jours a débuté avec une introduction sur « la nature et effets de la mondialisation sur la situation des ouvrière et du monde du travail ». Le lendemain les conclusions des travaux ont été exposées à l’Université de Mohammedia, et par la suite un projet de charte du Forum Syndical Maroc a été énoncé pour appeler à une dynamique maghrébine lors du prochain Forum Social Maghrébin.

L’objectif de cette rencontre repose surtout sur la convergence des résistances sociales vers l’édification d’un Maghreb des peuples. Les débats ont été très riches pendant ces deux journées. Les échanges ont permis de constater la réelle volonté de travailler sur un projet commun dont la prochaine étape se passera au mois de juillet 2008 lors du FSMAGH. Même si le contexte socio politique est différent d’un pays à un autre, il n’en reste pas moins que les échanges des idées, pratiques et expériences sont des éléments primordiaux pour consolider une dynamique plus globale, et défendre des intérêts communs.

A suivre donc au mois de juillet…

Protéger le Gange… au nom de quoi ?
7 juillet 2008 par Valérie

Le 14 avril dernier, l’éminent scientifique et environnementaliste indien G.D. Agrawal publiait une lettre dans laquelle il exprimait sa ferme intention d’entamer une grève de la faim, à compter du 13 juin 2008, afin de protéger la rivière Bhagirathi, autrement dit le Gange dans sa partie la plus haute située dans l’Etat himalayen d’Uttarakhand. Bien que profondément en faveur de la protection du Gange, je m’interroge ici sur la legitimité, dans le cadre d’une action publique, des raisons invoquées par G.D. Agrawal.

L’Uttarakhand, ses rivières et ses barrages

L’Etat d’Uttarakhand, déjà évoqué dans un précédent article est particulièrement connu pour abriter les sources de deux des plus grands fleuves sacrés de l’Inde, le Gange et la Yamuna. C’est pourquoi cette région, riche en lieux de pélerinage aux sources de ces rivières et de leurs affluents ainsi que tout au long de leur cours, est dénommée Devbhumi, la terre des Dieux, dans les textes religieux.

Mais l’eau des rivières de montagne, sacrée ou pas, est aussi une source potentielle d’énergie via les barrages hydro-électriques. Les Gouvernements de l’Etat, quelque soit leur tendance, souhaitent ainsi faire de l’Uttarakhand un Etat-énergie qui puisse aussi bien servir leur projet de développement touristique de la région (tourisme religieux et tourisme « vert ») que répondre aux besoins énergétiques, monnayables, des Etats voisins.

Les barrages permettent aussi d’assurer un approvisionnement régulier en eau pour l’irrigation mais aussi pour les grands centres urbains, en particulier la capitale Delhi qui fait face à de très graves problèmes de pénurie d’eau. Elle dépend, entre autres, du gigantesque barrage hydro-électrique de Tehri, l’un des plus grand d’Asie (2.400 Mw), situé en Uttarakhand à environ 400 km de la capitale. Malgré les protestations de la part des environnementalistes mais aussi des scientifiques, soulignant le danger que représente une telle retenue d’eau dans une zone fortement sismique, la construction de ce barrage s’est poursuivie, entraînant la submersion totale de la ville de Tehri ainsi que d’une trentaine de villages et le déplacement de plus de 12.000 familles.

A l’heure actuelle, outre de nombreux autres projets dans le reste de l’Etat, une série de cinq barrages hydro-électriques est prévue en amont de la ville d’Uttarkashi, située à 125 km en aval de Gangotri, source du Gange, sur les rives de la Bhagirathi. Ils impliqueraient de détourner l’eau du Gange pour la stocker en la faisant passer dans des tunnels sur une distance totale de 80 km et provoqueraient des coupures régulières dans le flux de la rivière. Ces projets suscitent le mécontentement des habitants de la région, des environnementalistes mais aussi des religieux hindous qui y voient une atteinte à la sacralité du Gange et s’inquiètent de la diminution, déjà régulièrement observée, du cours du fleuve sacré. C’est contre ces projets que G.D. Agrawal a choisi de se mobiliser.

Première victoire pour G.D. Agrawal

Le professeur G.D. Agrawal, aujourd’hui âgé de 76 ans, est un ingénieur spécialisé dans l’environnement. Très renommé en Inde, il a enseigné à l’Indian Institute of Technology de Kanpur et est membre du Bureau Central de Contrôle de la Pollution du Gouvernement indien. Il participe à de nombreux comités gouvernementaux visant à mettre en place une politique et des mécanismes d’amélioration de la qualité de l’environnement. Respecté pour son expertise scientifique, notamment dans le cadre d’évaluations d’impact environnemental de projets industriels, il l’est aussi pour son mode de vie frugal incarnant au quotidien le respect de la nature et les valeurs de simplicité qu’il prône.

Sa décision d’entamer une grève de la faim pour protester contre la destruction du Gange est un acte symbolique qui vient en appui de la lutte déjà menée par des organisations telles que le National Committee for Protection of Natural Resources (NCPNR, comité national pour la protection des ressources naturelles) regroupant 50 organisations non-gouvernementales et le Bhagirathi-Ganga Bachao Abhiyan (mouvement pour sauver la Bhagirathi-Ganga).

Mais il semble que sa démarche, bénéficiant de sa stature nationale, ait pesé davantage aux yeux des politiques que les nombreuses marches de protestation organisées par ces ONG et par les habitants visés par d’éventuelles mesures de déplacement. En effet, dès le 19 juin 2008, soit après seulement sept jours de jeûne, le Gouvernement de l’Etat d’Uttarakhand dirigé par le parti nationaliste hindou BJP (Bharatiya Janata Party, parti du peuple indien), a annoncé qu’il suspendait de manière indéfinie la réalisation de deux des cinq projets (Bhairon Ghati et Pala Maneri). Fort de ce succès, G.D. Agrawal souhaite désormais se rendre à Delhi pour faire pression sur le Gouvernement central qui est également partie prenante de ces projets.

Des enjeux sociaux et environnementaux négligés au profit du religieux

Je souhaite ici non pas m’attarder sur cette « victoire » et les enjeux politiques du revirement du Gouvernement de l’Uttarakhand, qui risque fort d’être provisoire comme cela avait été le cas pour le barrage de Tehri, mais plutôt souligner la difficulté morale et politique qu’il y a, me semble-t-il, à invoquer prioritairement voire exclusivement les raisons religieuses du combat pour la préservation du Gange.

L’engagement de G.D. Agrawal est en effet explicitement double, scientifique et religieux [9], mais la cause religieuse est clairement privilégiée et chaque argument tire sa valeur du lien qu’il établit avec la culture hindoue, présentée, à tort, dans une vision figée, organique et essentialiste de la culture, comme la seule propre à l’Inde.

Ainsi, dans sa lettre annonçant sa grève de la faim il écrit : « Comme vous le savez, la rivière Bhagirathi Ganga (i.e. le Gange) occupe une place très particulière dans la culture, la pensée et la tradition indiennes. […] j’ai décidé d’entamer une grève de la faim pour m’opposer à la destruction de cette merveille écologique et de la quintessence de la foi et de la culture hindoues. » Inscrivant sa propre dévotion pour la rivière sacrée Ganga dans sa foi hindoue, il relie directement son geste à la culture de l’ascétisme et du sacrifice, propres, selon lui, à l’hindouisme. Dans un discours d’exclusion, il précise que le Gange ne signifie rien pour les « musulmans, parsis, juifs et chretiens » dont la culture ne serait pas liée à la terre ni à la géographie indiennes, reprenant en cela, de manière plus nuancée mais bien présente, l’équivalence que les nationalistes hindous veulent imposer entre indianité et hindouité.

Se présentant par ailleurs lui-même comme « avant tout, un fervent hindou » G.D. Agrawal stipule clairement que ses motivations relatives à « la foi, la culture et aux sentiments » sont les plus importantes, celles relatives à la science et à l’environnement étant tout à fait secondaires voire dénuées de sens. A l’inverse, il critique le positionnement des environnementalistes non religieux, dont le célèbre Sunderlal Bahaguna qui a mené, en vain, un long mouvement de lutte contre la construction du barrage de Tehri dans les années 90, incluant également des grèves de la faim. Usant d’un vocabulaire passablement agressif, il s’insurge contre la volonté de tels scientifiques et environnementalistes de désacraliser le Gange et considère que la raison principale de leur échec est le fondement « séculaire et socialiste » de leur action… La puissance des intérêts politico-économiques contre lesquels ils ont tenté de se battre n’est en rien évoquée.

La notion du sacré est universelle et dépasse le religieux institutionnalisé

A l’instar de G.D. Agrawal, les mouvements religieux hindous les plus fondamentalistes tels que la Vishwa Hindu Parishad ainsi que des Gurus et autres saints hommes hindous ont eu tôt fait de récupérer ce combat en le transformant en une « croisade pour la restauration du caractère sacré et de la gloire perdus du Gange » [10]. Dépités, de nombreux environnementalistes dénoncent le détournement de la cause écologique par les extrêmistes hindous en vue, notamment, de s’assurer des gains politiques aux élections, en mobilisant le sentiment religieux dont on sait qu’il est particulièrement réactif en Inde. Le pouvoir politique indien n’est évidemment pas étranger à cette confiscation par le religieux de problématiques temporelles, puisqu’il réagit bien souvent plus volontiers favorablement aux campagnes faites au nom de la religion qu’à celles faites au nom des droits fondamentaux de l’homme et de la démocratie.

Je souhaite pour finir réaffirmer que la conservation de l’environnement en Inde, dans lequel s’inscrit et s’épanouit la diversité culturelle du pays, ne doit pas être laissée aux extrêmistes religieux hindous qui y trouvent une nouvelle et fallacieuse source de légitimation auprès des Indiens hindous.

La vie, sous quelque forme qu’elle se présente ou qu’on la considère, est sacrée. Le combat pour la préservation du Gange est bien entendu fort en symboles et reconnaître que le Gange est un fleuve culturellement sacré est important. Pour autant, la sacralité du Gange n’appartient pas en exclusivité à l’hindouisme : non seulement d’autres religions le considèrent comme tel mais il peut également revêtir ce caractère particulier aux yeux de quiconque est doté d’une certaine sensibilité. Le sacré n’est pas l’apanage de la religion.

Et limiter son engagement à la protection d’une seule et unique rivière au seul nom de sa sacralité c’est oublier les millions d’Indiens et les dizaines de régions menacés par d’autres projets de barrage hydro-électriques dans tout le pays.

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