Haïti-Politique : la rumeur, l’arme des faibles Suite aux manifestations sur l’augmentation du coût de la vie qui ont coûté la place du premier ministre démissionnaire Jacques Edouard Alexis, Haïti est sans chef de gouvernement. Contrairement à Eric Pierre et Robert Manuel, précédemment désignés au poste de premier ministre, une mobilisation des intellectuels et de la diaspora s’est mise en place afin de permettre la ratification de Michèle Pierre-Louis. L’enjeu est de taille ! Alors que Michèle Duvivier Pierre-Louis est, semble-t-il, la personne la plus qualifiée nommée à ce poste depuis 1988, une vive polémique souterraine anime la société haïtienne, depuis sa désignation le 25 juin dernier par le Président René Préval. La campagne calomnieuse Depuis toujours, "les hommes ont fait de la politique entre eux. Ils ont ainsi défini une culture, des usages, un langage que l’intrusion des femmes perturbe. Ils ont fondé une république des frères, un fratriarcat que la présence des femmes remet en question" [1] Après sa désignation au poste de premier ministre, un déferlement d’insultes, l’indexation de son mode de vie avec des attaques non fondées et l’usage de stéréotypes sexistes circulent dans les médias de la capitale (Port-au-Prince) à l’encontre de Michèle Duvivier Pierre-Louis. La rumeur porte sur les préférences sexuelles de Michèle Pierre-Louis parce qu’elle partage son lieu de séjour avec une autre femme. Cependant, en Haïti, il est courant que deux femmes ou deux hommes partagent un même lieu de vie. Si Michèle Pierre-Louis avait été un homme, il semblerait qu’il n’y aurait pas eu une telle polémique. Cette campagne qui vise à ternir l’intégrité du futur premier ministre est la manifestation concrète de la peur de l’homme de partager ou de céder démocratiquement le pouvoir à des femmes compétentes aux qualifications avérées. "Toute femme qui fait de la politique éprouve un jour ou l’autre, le sentiment d’être une intruse dans un microcosme dont elle découvre que les codes lui échappent et les usages la marginalisent", (Françoise Gaspard). Face à cette situation le Ministère à la Condition Féminine et aux Droits des Femmes (MCFDF), ainsi que de nombreux mouvements de femmes, des professionnels, intellectuels, syndicalistes, universitaires, écrivains de différents milieux en Haïti ou à l’étranger ont réagi pour mettre un terme à ces rumeurs considérées comme une volonté pure et simple d’exclure les femmes de la politique. La sexualité Conditionnée par le système patriarcal, d’une manière générale, la société haïtienne s’arroge un droit de contrôle de la sexualité des femmes car celle-ci fait peur. Ceci explique l’attention portée à ce sujet dans la sphère politique haïtienne, refuge de la masculinité. Ainsi, lorsqu’une femme affiche une forte personnalité et son indépendance, si celle-ci est célibataire, sans enfants, elle sera systématiquement soupçonnée de ne pas être une « vraie » femme. Il s’agit de vérifier la conformité aux normes sexuelles établies et d’user prétexte à l’exclusion, sans tenir compte du droit à la protection et au respect de la vie privée. AInsi, en Haïti, la majorité des femmes politiques rencontre des problèmes de genre qui s’enracinent dans les mythes associés à leur sexualité. Pour ces raisons, le MCFD avec d’autres organisations de la société civile haïtienne réclament l’égalité femmes-hommes, droit consubstantiel à la démocratie. Aussi, les femmes qui ont développé les capacités et la personnalité pour entrer dans l’univers concurrentiel de la politique devraient pouvoir exercer, au même titre que les hommes, la fonction briguée ou occupée sans être sujettes aux préjugés séculaires. Cette polémique était un avant goût de ce qui attend Michèle Pierre-Louis en tant que future premier ministre. Si Pierre-Louis est ratifiée, elle aura à former un gouvernement et présenter sa politique générale aux sénateurs et députés, qui la sanctionneront avant qu’elle puisse se confronter aux défis économiques et sociaux de taille qui caractérisent la conjoncture actuelle. [1] Françoise Gaspard - 1995, « Des partis et des femmes », M. Riot-Sarcey éd., Démocratie et représentation, Paris, Kimé |
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