Haïti, les ONG, les institutions internationales et le droit à l’autodétermination Durant mes premières semaines en Haïti, j’ai été très frappée par le nombre d’ONG présentes dans le pays. La présence de chars de l’ONU dans les campagnes paisibles m’a aussi beaucoup intriguée. Tout au long de mon séjour, j’ai tenté de dépasser cet étonnement pour comprendre leurs rôles et décrypter le jeu d’acteurs. Un jeu non dénué de violence symbolique, qui se fait au nom des idéaux de la démocratie et du développement. Ce portrait à grands traits ne doit pas masquer la complexité des enjeux et de la situation. Plutôt qu’une synthèse, ces questions constituent aujourd’hui pour moi une introduction à la dialectique entre droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et aide internationale. Haïti est en effet l’un des pays du monde où on trouve la plus forte concentration d’ONG. Les fortes carences des institutions dans le domaine de la santé ou de l’éducation, par exemple, expliquent en partie cette « invasion ». Les infrastructures, la police, la justice sont d’autres domaines désertés dans lesquels interviennent les puissances étrangères et les Nations unies. L’Etat haïtien est en effet régulièrement classé parmi les Etats les plus faibles du monde. A priori donc, tout paraît n’être affaire que de bonne volonté. De l’autre côté du miroirEt pourtant, sur le terrain, le constat ne peut qu’être mitigé. Pour commencer, l’ensemble de ces activités ne sont pas coordonnées par le gouvernement haïtien ou les collectivités locales. Chaque organisme réalise donc selon ses propres constats et ses moyens. Ainsi donc, si on superpose les cartographies des projets et des besoins, on est souvent loin d’une adéquation parfaite. Certains territoires sont abondamment assistés par des ONG tandis que d’autres sont désertés. Les difficiles conditions d’accès à certaines villes ou campagnes expliquent aussi souvent ces disparités. Cette problématique de la pertinence de l’intervention sur le territoire constitue, à mon sens, un premier déni de la souveraineté nationale. Quelle légitimité des interventions ?Le second point qui m’interpelle concerne la légitimité de ces ONG et bailleurs internationaux. Car en somme, alors que chacun se réclame d’une volonté de mettre en œuvre la démocratie, aucun de ces intervenants n’est élu. La plupart des ONG étant étrangères, elles ne représentent ni ne sont représentatives des Haïtiens. Sur quoi repose la légitimité de leur intervention ? Et quels sont les recours face aux acteurs non étatiques, lorsqu’ils prennent littéralement la place de l’Etat ? Cette question, proche de celle du droit d’ingérence, se pose de façon plus aigue encore lorsqu’on se penche sur les bailleurs et institutions internationaux, sources de financements de ces mêmes ONG. La place des Nations unies aujourd’hui en Haïti est très importante, non seulement à travers la mission de maintien de la paix (MINUSTAH), mais aussi via la FAO, le PNUD, l’OMS [1] etc. Etats-Unis, Canada, Europe et France interviennent également massivement en Haïti. Tant et si bien que le budget de l’aide internationale est de très loin supérieur à celui de l’Etat haïtien. Et si au quotidien on peut lire ou entendre beaucoup de critiques à l’égard de ce dernier, il est plus rare d’en entendre à l’encontre des bailleurs et institutions internationales. Porter un jugement positif ou négatif sur les interventions étrangères n’est pas un exercice aisé, d’une part parce qu’il s’agit des bailleurs du pays, d’autre part parce que leur action est moins ouvertement politique et donc leur stratégie plus difficile à cerner. A l’aune des enjeux géopolitiquesDeux « pouvoirs » travaillent ainsi conjointement à diriger le pays. L’un officiellement légitime (officieusement les interrogations ne manquent pas) car « démocratiquement » [2] élu. L’autre jugé légitime par beaucoup grâce à sa mission de paix et de développement. Pourtant, les implications géopolitiques d’un contrôle du territoire haïtien par les Etats-Unis sont connues : frontière de Cuba durant la guerre froide, terre de départ de très nombreux réfugiés depuis la fin des années 1970, aujourd’hui plaque tournante de la drogue en direction de l’Amérique du nord. Dans ce jeu concurrentiel avec les Etats-Unis, l’Union européenne tient à jouer son rôle. Et depuis peu, l’Amérique latine cherche également à s’imposer, en particulier le Brésil. C’est l’une des raisons pour laquelle Brasilia a pris la direction de la force de maintien de la paix : dans l’optique, entre autres, d’obtenir un jour un siège au conseil de sécurité de l’ONU. Comment nier alors que les intérêts nationaux prétendument défendus par ces instances ne sont pas directement dépendants d’autres intérêts, régionaux, internationaux et macro-économiques ? Dès lors, comment – au-delà de son seul Etat – considérer qu’Haïti est une démocratie ? Et surtout comment croire que cette tour de Babel des intérêts internationaux reçoit une aide, et non plutôt des coups, de l’étranger ? Enfin, comment s’articulent, dans le pays, les rapports entre cercles du pouvoir nationaux et internationaux pour perpétuer ou infléchir cette situation ? Sur cette question voir aussi l’article de Cindy, "La valse des ONG, une domination néo coloniale ?" [1] FAO : organisation des nations unies pour l’alimentation et l’agriculture ; PNUD : programme des nations unies pour le développement ; OMS : Organisation mondiale de la santé. [2] On peut s’interroger sur l’adéquation entre la conception occidentale de la démocratie et ce qui est appelé « démocratie » en Haïti par les observateurs internationaux. En effet, au vu des difficultés pour l’accès à l’information et de la forte proportion d’analphabétisme dans la population, les éléments indispensables au vote pour un citoyen se trouvent très compromis. |
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