Histoire du quartier de Kreuzberg à Berlin : rénovation urbaine, mobilisations habitantes et mouvement squat Le petit « musée de la rénovation urbaine et de l’histoire sociale du quartier de Kreuzberg » nous invite, en textes et en images, à découvrir l’histoire des plans de rénovation urbaine d’un quartier populaire de l’ouest berlinois et celle, intriquée avec la première, de ses habitants : par leurs mobilisations, ces derniers se sont opposés à des projets urbanistiques qui oubliaient souvent que Kreuzberg avait toujours été un quartier mélangé, et qu’il entendait bien le rester.
Le quartier de Kreuzberg a été érigé il y a plus de cent ans pour accueillir les plus pauvres des plus pauvres : les migrants venant de Pologne ou des anciennes provinces allemandes de l’Est (Silésie) pour trouver du travail dans la capitale du nouveau Reich. Les logements de mauvaise qualité y côtoient de petites usines : les rues sont très étroites et les espaces communs rares. Le quartier a donc une tradition populaire depuis sa création. L’après guerre et la reconstructionA la sortie du second conflit mondial, les habitants de Kreuzberg se mobilisent pour reconstruire les bâtiments détruits par les bombardements alliés : 42% des logements du quartier ont été rasés ou bien sont inutilisables. A l’époque, on manque d’argent et de matériaux pour envisager une véritable reconstruction. Ce sont donc les habitants qui prennent en main le travail de réhabilitation absolument nécessaire pour que les milliers de sans abris retrouvent un toit. A partir de 1954, les fonds du Plan Marshall permettent de lancer une reconstruction de grande ampleur. Les vieux principes de la construction sociale de la République de Weimar sont repris : on veut des appartements avec « de la lumière, de l’air et du soleil ! ».
Un quartier marginal de Berlin OuestAvec la construction du Mur séparant l’Est et l’Ouest, Kreuzberg, qui était jusqu’alors situé au centre de la ville, devient un quartier périphérique de Berlin Ouest.
L’argument brandi pour défendre ces destructions est l’inadaptation des anciens logements aux nouvelles structures sociales de Berlin Ouest : les urbanistes de l’époque expliquent que ce ne sont pas seulement les bâtiments qui sont anciens, mais que la société qui vit dans le quartier de Kreuzberg est « sans moyens, surannée, inculte, doucement asociale, incapable d’adaptation, et de toute façon rétive à tout changement » [1]. Dans cette « société désuète », les éléments de la société moderne du nouveau Berlin Ouest ne peuvent pas gagner de terrain.
Le premier plan de rénovation urbaine pour le quartier de Kreuzberg, en 1963, est conçu autour de cette idée : les traces de l’histoire noire de la ville doivent disparaître pour que le nouvel ordre démocratique s’exprime pleinement dans la ville. La municipalité considère tout de même l’importance de la participation des habitants dans ces projets de rénovation : si dans la zone ouest du quartier de grands ensembles sont érigés très vite, sans une consultation approfondie des locataires concernés, la rénovation de la zone qui se trouve au sud du métro aérien prendra beaucoup plus de temps, à cause des obligations en matière de consultation des habitants, que fixe une loi de 1971. L’émergence d’une contestation citoyenneLe projet d’un ensemble d’investisseurs privés voit tout de même le jour sur la place de la porte de Cottbus : un massif « dragon » de 300 logements et de 15 000 m2 d’espaces commerciaux s’élève désormais tout autour de la place.
C’est seulement à l’issue de la construction de ce complexe que s’élèvent de véritables protestations de la part des habitants. Ces nouveaux bâtiments ont des conséquences pour les locataires alentours : la population du quartier change, la tradition de mixité sociale appartient au passé, les loyers augmentent, beaucoup de personnes, notamment les travailleurs immigrés, doivent quitter l’endroit. Le reste du quartier est promis, dans un terme assez court, au même sort : du coup les baux de location indiquent ainsi le terme prévu du contrat : « jusqu’à démolition ».
Des lieux de convergence des oppositions aux projets de rénovation urbaine apparaissent.
Par exemple, le Mieterladen organise des actions contre les pratiques des maîtres d’ouvrage des projets en cours, qu’ils accusent notamment d’acheter des bâtiments anciens puis de les laisser à l’abandon pour justifier leur démolition, dont ils ont besoin pour mener leurs grands programmes.
Une République libre de Kreuzberg ?L’ensemble des squatteurs du quartier se réunit pour partager leurs expériences et élaborer des stratégies communes de négociations vis-à-vis des pouvoirs publics. Ils forment un « conseil des squatteurs ». Certains rêvent d’une « République libre de Kreuzberg », avec ses propres instances alternatives de fonctionnement commun. Des projets à dimension sociale voient le jour : un centre artistique et culturel, un centre de santé, un lieu de conseil pour les femmes, une ferme collective…
Les rapports avec les pouvoirs publics se tendent de plus en plus, lorsque le nouveau gouvernement élu en 1981 déclare qu’il veut développer une « ligne berlinoise de la raison » : il s’agit tout simplement d’expulser tous les squats et surtout d’empêcher à tout prix l’occupation de nouveaux bâtiments, notamment au profit des propriétaires qui entament immédiatement le processus de rénovation ou de démolition.
La légalisation de certains squats… et l’expulsion définitive des autresDans ce contexte de rapports très tendus entre le mouvement squat et les pouvoirs publics, le besoin se fait sentir de rechercher des moyens de pacifier la situation en légalisant certains lieux. Plusieurs formes sont adoptées pour ça : la coopérative, le groupement de travailleurs. Ces nouvelles entités louent désormais les bâtiments ou les rachètent. Ils mènent eux-mêmes les opérations de rénovation nécessaires. Mais beaucoup de projets sont tout de même expulsés parallèlement à cela.
A partir de 1983 s’ouvre une période de « rénovation prudente » : le mot d’ordre en est « orientation globale des projets vers les habitants, réhabilitation du « mélange » traditionnel à Kreuzberg, renforcement des infrastructures sociales ». Les pouvoirs publics cherchent le consensus, notamment en mettant en place une Commission de la rénovation urbaine qu’investissent les groupes d’habitants autoorganisés.
Kreuzberg dans Berlin réunifiée…Avec la chute du Mur, Kreuzberg redevient un quartier central de la ville, un quartier de passage, de transit. Mais il voit une partie de sa population migrer vers l’Est, dont les bâtiments non rénovés proposent des prix très attractifs pour les étudiants et les artistes à la recherche de grands ateliers.
Aujourd’hui, on trouve dans ce quartier de multiples exemples architecturaux de tous les types de rénovation urbaine qui ont été menés dans la ville.
Infos : Le musée se trouve au cœur du centre de Kreuzberg, vers la Kottbussertor, Adalbertstrasse 95A Vous pouvez visiter le site du musée [1] Karin Zapf, 1969 [2] le nom correspond au code postal de la zone [3] On modernise les logements en y construisant des sanitaires individuels, mais on préfère conserver du chauffage au charbon pour ne pas voir les prix des loyers augmenter trop. |
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